8 h – lever. Dernières vérifications des valises, ce qui n’empêchera pas d’oublier lunettes de soleil et tongs de A. (J’ai comme l’impression que cela ne va pas lui manquer (hélas)).

9h30 – départ

10h35 – arrivée à la gare Montparnasse. J’y abandonne C., et lui abandonne mon livre Les aventures d’un tee-shirt dans l’économie globalisée puisqu’il a oublié le sien. (Il a quand même cinq heures de train à endurer). Cela va lui donner un petit air alter-mondialiste… M’étonnerait qu’il en lise plus de cinquante pages, mais un livre, c’est comme un doudou : une affaire de présence.
Pour la peine j’erre une demi-heure dans la librairie de la gare et repars avec Notes d’un souterrain de Dostoïevski.

11h30 – Je gare la voiture gare d’Austerlitz. Je prends les bagages de O. Nous traversons le pont Charles de Gaulle à pied.

11h50 – Nous arrivons gare de Lyon au lieu de rendez-vous de départ de colonie de O. Une heure et quart à attendre, les organisateurs ont prévu large. Nous émargeons puis allons prendre un café. La voie du train n’est toujours pas indiquée. Notre voisin de table a un tatouage étonnant sur tout le bras droit, un motif de rectangles très art contemporain, Mondrian en noir et blanc. Voilà qui change des motifs celtiques ou hindous.
J'achète les billets pour A. et moi, en pestant contre les écrans tactiles qui restent impassibles sous mes doigts. Ce n’est qu’après dix minutes et plusieurs tentatives que je découvrirai qu’il faut effleurer l’écran et non appuyer dessus comme une malade. A. est écroulée de rire.

12h50 - Nous retraversons la garde de Lyon puisque bien entendu la voie du train est la plus éloignée possible du point où nous avions rendez-vous. Je préviens O. : « Nous ne resterons pas jusqu’à ton départ, sinon nous allons rater notre train. — C’est pas grave. » Visiblement la seule chose qui lui importe, c’est qu’on s’en aille le plus vite possible, qu’il puisse enfin lire son Picsou tranquille.

13h10 - Retour à la voiture gare d’Austerlitz, je récupère les bagages de A. Nous trouvons des places dans notre train.

13h35 – Départ pour Blois.

21h21 – Gare de Blois, je rentre seule à Paris. Le train a dix minutes de retard. Je m’installe où il reste de la place, dans l'un des quatre fauteuils centraux des voitures. En face de moi un jeune homme avec un coup de soleil (beaucoup de coups de soleil en général, les gens ont vraiment voulu profiter de cette première journée ensoleillée), à côté de moi au jeune homme le bras dans le plâtre. De l’autre côté de l’allée, une famille occupe les quatre sièges, lui, géant, elle, très jolie, enceinte de cinq mois environ, et une fille et un garçon très blonds de 18 mois et trois ans. Ils sont calmes. Ils s’énerveront peu à peu, c’est inévitable, il est tard, bien trop tard pour eux.
Je commence Dostoïevski en négligeant la préface de Todorov.
Le petit garçon se met à chanter très fort « Papa a pété, papa a pété », les parents ne réagissent pas (ils ont raison), la petite fille joue à la dînette, son frère veut manger du bébé, le père s’insurge, la mère rit, je pense à Swift. Ils sont bruyants et incohérents, le jeune homme à côté de moi les regarde avec ébahissement, bouche ouverte, œil exorbité. Il n’est pas près d’avoir des enfants.
La petite fille pleure, j’essaie de dormir.

La petite fille pleure de plus en plus fort, le père est totalement inerte, la mère très calme, toujours aussi jolie (mais qu’est-ce qu’elle fait dans cette galère ?), déplie une poussette dans l’allée, y met sa fille et tente de la calmer en marchant.
Quelques minutes passent, elle revient, le train s’arrête à Orléans, les deux jeunes hommes descendent, j’ai les quatre places pour moi seule, la poussette bloque le passage, le couple qui vient de monter ne peut pas avancer.
Et c’est la catastrophe.
Il reconnaît la famille de l’autre côté de l’allée, s’exclame, s’embrassent, parlent en français, en italien, tout le wagon en profite, le vacarme est ahurissant, ils s'installent en face de moi sans un regard et continuent à parler avec l'autre côté de l'allée. J’attends un peu, au cas où ils reviendraient à la raison et adopteraient un ton plus mesuré.
Las.
Je me lève et vais m’installer exactement à la même place dans l’autre partie du wagon. J’essaie de dormir. Le train est déjà en train de s’arrêter aux Aubrais, l’homme en face de moi rassemble ses affaires, je remarque ses mains, énormes, enflées, rouges, pelées, mais qu’a-t-il fait, la brûlure semble monter jusqu’aux coudes, il y a des tâches rouges sur les biceps. Ce n’est pas possible, il a voulu égoutter les frites à la main… Le voir saisir ses affaires avec cette peau à vif me fait mal, il ne paraît pas souffrir.

Le train repart, le compartiment est calme, de l’autre côté de l’allée, à la place de la famille infernale, se trouvent deux jeunes hommes, l’un regardant une vidéo, l’autre lisant Courrier international.
Je dors.
Je suis réveillée par une voix, malédiction le DVD est fini et l’homme téléphone, interminablement, à voix haute, il est 23 heures passées, il raccroche, demande à son copain de rappeler la fille avec laquelle il était en conversation, il veut obtenir qu’elle les invite à venir dîner quand ils arriveront à la gare parce qu’il n’a pas envie de manger des tagliatelles, son copain résiste, il doit trouver comme moi que cela n’est pas tout à fait poli, la conversation s’éternise, je suis prodigieusement agacée par cette muflerie tous azimuths, je me lève encore et vais m’installer en première (après tout les contrôleurs sont passés). Je m’endors pour de bon.

Je suis chez moi à minuit.