Jeudi matin.

A force de voir Guillaume et Philippe[s] visiter des lieux près desquels j'ai grandi sans jamais y avoir mis les pieds, j'ai fini par ouvrir le Guide vert de l'Ile-de-France.

A ma grande surprise, j'ai découvert que la Vallée-aux-Loups se trouvait à une demie-heure de la maison : à cause sans doute des magnifiques photos du parc, je l'imaginais en Normandie, malgré un récent journal camusien me prouvant le contraire — «Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances».

A 11 heures du matin, le parking était désert et j'étais la seule présente pour la visite guidée qui allait commencer.
Le guide ayant eu un empêchement, une femme me tendit une feuille A3 imprimée et m'annonça que j'allais devoir faire seule la visite — en sa présence. Un peu surprise, je demandai: «Vous avez peur que j'abîme quelque chose?»
Quelle stupide chose à dire, elle sourit sans répondre, mais je continuai, emportée par l'élan: «Vous allez vous ennuyer!»
Ainsi commença la visite, lecture du paragraphe concernant la salle, observation de la salle, je regarde les meubles, observation de la vue (Quels arbres magnifiques, plantés de façon à donner de la profondeur au paysage. La pelouse est tondue sur trois niveaux, une bande rase de trois mètres, puis une bande d'herbes plus hautes, puis à quinze mètres de la friche), retour à la salle, lecture des cartouches le corps penché au-dessus du cordon de velours, la tête tordue, je pense que dans quelques années je ne pourrai plus lire si facilement, profitons pendant qu'il est temps (il n'y a pas si longtemps que j'ai compris que Mignonne allons vois si la rose n'était pas mufle, mais tout simplement vrai).

Deuxième salle, le guide arrive transpirant, vouant le RER aux gémonies, racontant à sa collègue une sombre erreur d'annonce fausse et de mauvaise correspondance. Sans reprendre souffle, il enchaîne sur la description de la salle où nous nous trouvons. Récit de l'achat de la Vallée-aux-Loups, récitation de la longue phrase à propos du silence accompagnant la tyrannie qui a provoqué la colère de Napoléon, présentation d'un lourd volume et de ses gravures... Il dégage une étrange odeur, est-ce cela, le camphre? Tout le long de la visite, il fera preuve d'un véritable amour pour l'œuvre de Chateaubriand, me résumera Atala, rendra justice à Mme de Chateaubriand, s'attachera à se déclarer, à plusieurs reprises, profondément républicain, et se montrera par moment d'une étrange vulgarité, présentant le mur consacré aux maîtresses de Chateaubriand comme «Chateaubriand et ses copines» et utilisant le terme de sympa à propos de tout et de rien, une commode, les fleurs entourant le double escalier, un parquet bien restauré... Il fait une remarque amusante à propos de la «mode Atala» (vaisselle, gravures, etc), imaginant avec raison qu'aujourd'hui il y aurait sans doute des tee-shirts Atala.
L'histoire de Madame Récamier venant mettre au propre la première version des Mémoires à la Vallée-aux-Loups vendue, sans avoir le droit d'y inviter l'ancien propriétaire, me serre le cœur.

Une partie du bâtiment, sur deux niveaux, est une bibliothèque et un centre de recherche. Elle ne se visite pas, c'est un lieu d'études, mais comme nous seuls, il me fait entrer quelques minutes: c'est une bibliothèque qu'on a pris soin de meubler en plaquage d'érable, dans les tons du reste de la demeure.

Je vais me promener dans le parc. Il est finalement le seul vrai témoin de l'époque, les pièces de la maison n'étant que des reconstitutions. La tour Velléda est minuscule dans la pénombre des arbres qui l'enserrent.
Il fait beau, on entend au loin le grondement permanent des voitures, tout est si tranquille, la pelouse en friche est destinée aux oiseaux, il est interdit de quitter les sentiers, le milieu est fragile nous préviennent diverses pancartes.
On passerait sa vie ici.