Parfois je rêve de tenir le blog le plus banal possible, à base de listes de courses, de menus, de nombres de machines à laver qui ont tourné, qu'il a fallu étendre, d'heures de repassage.
Je me souviens du jour où l'on a annoncé avec ravissement à la radio qu'on avait retrouvé les carnets d'un homme qui dans les années trente avait tenu scrupuleusement jour après jour le compte de ses dépenses: les historiens et les économistes étaient enchantés de détenir un tel témoignage sur le prix de la baguette et la note de la blanchisseuse; le journaliste avait lu quelques pages des carnets, c'était mortellement ennuyeux. Un même effroi me saisit quand Braudel évoque les livres de compte vénitiens ou allemands permettant de reconstituer les échanges entre les marchands: les conclusions m'intéressent, mais qu'il m'ennuierait de travailler sur de telles pièces.

Je suis fascinée par l'obstination qu'il faut pour noter les gestes quotidiens, banals, infiniment répétés, qui tissent le plus clair de nos journées. Cette obstination est sans doute l'autre nom de la bêtise dénoncée par Flaubert; maintenue suffisamment longtemps avec suffisamment de précision, elle acquiert une incontestable grandeur.

Epuiser la contrainte, seule façon de la dépasser.