Soir

Faudrait que je m'y mette.

Timidité

J'ai regardé par la fenêtre grillagée de la porte les deux silhouettes qui discutaient.
J'ai fait un pas en arrière pour ne pas être vue.
J'ai regardé la sonnette qui donnait accès au sanctuaire, ne laissant aucun espoir d'une entrée discrète.
J'ai fait demi-tour et je suis partie.

Mnémotechnique

— 06 65, je me le rappelle, 64, c'est 38 fois 2…
— 38 fois deux, ça ne fait pas 64.
— Non, ça fait 76. Moins 7, 69.
— C'est ça, que tu appelles mnémotechnique?

Twitter

Comme j'essaie de passer moins de temps sur FB, je twitte (c'est logique, ça?)

Diverses analyses s'étonnent que les gens ne restent pas sur Twitter et abandonnent très vite. Twitter serait fait pour vendre une "marque" (soi-même) et découragerait les personnes n'ayant pas une mentalité de star (je simplifie).

Je crois plutôt que Twitter se heurte à deux problèmes: d'une part on ne peut pas (il ne faut pas) y entrer seul (puisqu'il s'agit de choisir qui on lit et d'être choisit par d'autres, il vaut mieux être plusieurs quand on commence: ce n'est donc pas l'outil pour découvrir les réseaux sociaux, il faut déjà être inséré dans un réseau); d'autre part il n'est pas traduit, ce qui reste un obstacle pour 80% de la population française (et pourtant, quel outil formidable pour tenir les grands-mères et les arrières-petites cousines au courant de la vie quotidienne! Enfin de l'information continue!)

J'ai découvert un site qui met les twitts en dessin, un autre qui collectionne les phrases des twitteux dont les chevilles gonflent.




piqué ici.

La vertu non récompensée

Depuis quelques semaines que nous essayons de mettre un peu d'ordre dans les papiers, dans les pièces, dans la vie en général, les pépins ne cessent de pleuvoir; à croire que décidément la seule façon de vivre valable pour nous, c'est de courir au milieu du chaos, sauter par dessus le ravin pour échapper aux flammes, gravir l'escalier qui disparaît sous nos pas, s'engager sur la corde raide sans regarder l'abîme, courir plus vite que les ennuis sans regarder ni à droite ni à gauche, et surtout ne pas ralentir pour bêtement prendre le temps de faire son lit ou la vaisselle.

Je songe à certaines vies si réglées, si rangées, aux tantes vieilles filles qui racontent sur leurs cartes postales la tonte de la pelouse (j'allais écrire le tondage, Ségolène sors de mon corps!) et la visite annuelle du chien chez le vétérinaire, et dont le grand événement de leur vie a été le jour où leur voiture a été volée. Je songe à nos cinq ou six vols de la voiture ou dans la voiture, l'année où tout le monde (sauf moi) a eu droit à son plâtre ou ses points de suture, aux divers problèmes financiers résultant de la conjonction d'un rappel d'impôts, d'un changement de mutuelle et, plus exotique, d'un changement de régime de sécurité sociale, je me dis que ça les rendrait folles mais que dans le fond, tout cela n'est pas grave. Ce n'est pas grave, «tant que la santé va, tout va»1, ça passera, et de toute façon, nous sommes mortels.

Mais c'est fatigant. Il faut s'en occuper, tout se passe comme si le temps gagné grâce à la mise en ordre du quotidien devait se perdre dans le traitement de l'exceptionnel.

Faut-il arrêter de mettre de l'ordre, faut-il, en application de la loi du chaos2 mais à l'encontre des préceptes issus de générations de vies ordonnées et méticuleuses, vivre plus ou moins au jour le jour, comme nous le faisons depuis dix ans, et arrêter de vouloir ressembler à une famille modèle? (En moi le fantasme de la famille modèle combat l'horreur de la famille modèle; j'aimerais y ressembler mais cela m'ennuie d'avance: est-ce cela qui génère les ennuis?)


Notes
1 : Ce cliché a arrêté de me faire sourire depuis que j'en ai expérimenté la profonde vérité: quand la santé ne va pas, non seulement le présent s'arrête, mais le futur se fige.
2 : «je me garde […] d'attirer l'attention des implacables gardiens des lois de l'entropie. En outre, je laisse toujours une partition a l'état de chaos complet sur mon disque. Ce sacrifice aux dieux du désordre m'a jusqu'à présent évité leurs foudres.»

Temps mort

Week-end fini. Rien à signaler. Il fait chaud. Dans un moment d'optimisme, j'ai sorti les vêtements d'été.

J'ai découvert une nouvelle façon de procrastiner: au lieu de bêtement buller sur FB, j'avance sur des sujets secondaires. Toujours ça de pris.

(Ceci est un billet inutile. Mais trois ans de blog, quand même.)

Question: est-ce bien sérieux d'aller travailler demain avec une serviette avec des hérissons bleus? La tentation est grande.

Le jour de la serviette : hommage à Douglas Adams

Le 25 mai, tous les amoureux du Guide galactique1 se promèneront avec une serviette: c'est towelday. Les fans de [Douglas Adams| célèbrent ainsi sa mort, survenue le 11 mai 2001: le temps de se donner le mot, et quinze jours plus tard naissait le premier towel day.

Lundi, les Parisiens et banlieusards les plus accros pourront se retrouver gare du Nord à 20h30. Pourquoi une serviette? Parce que c'est l'objet le plus important quand vous faites du stop à travers la galaxie. Par cet objet vous renvoyez une image de sérieux, d'auto-stoppeur à qui l'on peut faire confiance.





La serviette … est sans doute l'objet le plus vastement utile que puisse posséder le routard interstellaire. D'abord par son aspect pratique : vous pouvez vous draper dedans pour traverser les lunes glaciales de Jagran Bêta ; vous pouvez vous allonger dessus pour bronzer sur les sables marbrés de ces plages irisées de Santraginus V où l'on respire d'entêtants embruns ; vous pouvez vous glisser dessous pour dormir sous les étoiles, si rouges, qui embrasent le monde désert de Karafon; vous en servir pour gréer un mini-radeau sur les eaux lourdes et lentes du fleuve Mite; une fois enfilée, l'utiliser en combat à mains nues ; vous encapuchonner la tête avec afin de vous protéger des vapeurs toxiques ou bien pour éviter le regard du hanneton glouton de Tron (un animal d'une atterrante stupidité: il est persuadé que si vous ne le voyez pas, il ne vous voit pas non plus — con comme un balai, mais très très très glouton) ; en cas d'urgence, vous pouvez agiter votre serviette pour faire des signaux de détresse et, bien entendu vous pouvez toujours vous essuyer avec si elle vous paraît encore assez propre.

Plus important, la serviette revêt une considérable valeur psychologique: si pour quelque raison, un rampant (= non routard) découvre qu'un routard a sur lui une serviette, il en déduira illico que ce dernier possède également brosse à dents, gants de toilette, savonette, boîte de biscuits, gourde, boussole, carte, pelote de ficelle, crème à moustiques, imperméable, scaphandre spatial, etc. Mieux encore, le rampant sera même heureux de prêter alors au routard l'un ou l'autre des susdits articles (voire une douzaine d'autres) que ledit routard aurait accidentellement pu "oublier"; son raisonnement étant que tout homme ainsi capable de sillonner de long en large la galaxie en vivant à la dure, de zoner en affrontant de terribles épreuves et de s'en tirer sans avoir perdu sa serviette ne peut être assurément qu'un homme digne d'estime.

Douglas Adams, Le Guide galactique, p.40-41
Alors à vos serviettes!


Note
1: Philippe Gloaguen, le fondateur du Guide du routard, a interdit que le livre s'appelle en français le Guide du Routard intergalactique, ce qui devrait être son titre.

Laurence

Hier soir m'attendait une lettre de ma mère contenant une carte postale et un faire-part de décès découpé dans le journal. Date de la messe, une fois de plus la date de la mort m'échappe : Laurence, 22 juin 1966 - mai 2009. Il me semble que maman m'avait parlé d'un cancer il y a quelques temps. Je n'avais pas fait très attention : un cancer, ça se "guérit" (enfin, ça s'ampute), non?
Laurence était avec moi en terminale C. C'était une élève moyenne. Elle voulait faire médecine. Notre professeur de physique, la redoutable mademoiselle Guilbert, ne manquait jamais une occasion de lui rappeler son opinion: «Médecine? mais vous n'y arriverez jamais, ce n'est pas pour vous».
Des années plus tard, Laurence m'a confié qu'elle avait failli envoyer à Guilbert une invitation à sa soutenance de thèse.

Entre-temps, elle s'était spécialisée dans la rééducation des handicaps neuro-psychiatriques. Je l'avais eu au téléphone peu après la naissance de mon premier enfant, et alors que je lui faisais part de certains choix concernant mon accouchement, elle avait eu cette phrase qui m'avait fait frissonner rétrospectivement: «J'oublie toujours qu'une naissance peut bien se passer et qu'un enfant peut être normal».
A l'époque, elle travaillait en réanimation néonatale.

La dernière fois que je l'ai vue, c'était par hasard, aux Galeries Lafayettes. Elle était habitée par son métier, elle m'avait parlé du courage des malades les plus atteints, des jérémiades de ceux qui n'avaient comparativement que des affections sans gravité.

Je pensais à elle de temps en temps. J'avais reçu un faire-part pour la naissance de son fils Quentin (1993), je me demandais si elle avait eu d'autres enfants tout en pensant que son métier était trop prenant pour cela.
Le faire-part de décès m'apprend que j'avais vu juste.

J'ai interrogé FB, trouvé son fils. J'ai imaginé le chagrin de ce garçon inconnu de quinze ans. J'ai contemplé sa photo et je me suis dit qu'internet donnait des réflexes bizarres.


Nous étions vingt-quatre en terminale.
Vingt-trois maintenant.
Et je sais qu'à chaque nouvelle mort je me poserai la même question: pourquoi? pourquoi lui? pourquoi elle?; et de le savoir me fatigue de moi-même.

Occlusion intestinale

De la fin des années 80, j'aurai adopté deux produits: les Dim-up et les bouchons d'oreille en mousse (par opposition aux boules Quiès, en cire).

Le bouchon d'oreille a de multiples avantages, en tout premier lieu celui de ne pas vous faire entendre votre propre cœur, ce qui est le défaut principal des boules Quiès.
Généralement je n'en mets qu'une, car il s'agit moins pour moi de ne pas entendre que de me dés-intéresser, de cesser d'être sur le qui-vive. J'en mets également en cas de grande fatigue au milieu d'un entourage surexcité, afin d'éviter de commettre un meurtre (applicable aux petits déjeuners dominicaux, aux voyages en TGV, aux bureaux en open space, etc, les personnes à assassiner n'étant pas toujours les mêmes).

Les bouchons d'oreille ont un inconvénient: les chattes les adorent et les avalent, sans que j'aie déterminé si c'était l'odeur de la mousse ou les traces de cérumen qui leur plaisaient.
Ensuite elles vomissent, le bouchon gonflé de sucs gastriques et la pâtée pour chat.
Beurk.

Pour l'Europe : un peu de politique

Je m'aperçois que j'ai si bien assimilé les principes républicains qu'il ne me vient jamais à l'idée d'exposer mes opinions religieuses ou politiques, elles font pour moi entièrement partie de la sphère privée, et un blog est déjà public.
D'autre part, il me semble que chacun choisit le parti pour lequel il vote en fonction de son histoire personnelle, avec sa raison et son cœur, et qu'il n'y a aucune raison de vouloir le faire changer d'opinion. La sienne est forcément la meilleure pour lui, c'est celle qui lui convient le mieux, tautologiquement.
Bref, je suis une bien piètre militante.

Cependant cette fois-ci je vais faire une exception. J'ai trop regretté de n'avoir pas bataillé plus ferme lors du referendum sur l'Europe, ahurie que j'étais par la mauvaise foi et la violence des partisans du non (surtout, je ne croyais pas, je n'ai pas cru un seul instant, que le non pouvait l'emporter. C'était impensable, pas en France, pas la France).
L'Europe est un rêve, mais c'est un rêve avec des bases techniques et juridiques complexes, alambiquées, rendues plus alambiquées encore par les différences de langues et de traditions qu'il faut respecter. Elle se met en place lentement, à coups d'essais et de reprises, tant bien que mal d'élections en élections (car elle subit tous les à-coups dus aux changements d'équipes en place, à la fois ceux résultant des élections nationales dans chaque pays et ceux résultant des élections européennes).

Et je suis un peu agacée de savoir que ce que lui reprochent ses détracteurs, c'est-à-dire d'être compliquée et de se mettre en place lentement, est justement ce que ces mêmes détracteurs ne lui pardonneraient pas si elle allait vite, c'est-à-dire si elle écrasait tout en imposant tyranniquement sa volonté sans tenir compte des particularités nationales (perspective inenvisageable quoi qu'il en soit, l'écrire le fait percevoir immédiatement): la lenteur et le compliqué sont son handicap, sa contrainte et sa force, l'assurance de liens noués solidement. Après tout, le chemin parcouru en cinquante ans est impressionnant.

C'est donc un rêve qu'il faut protéger et défendre.

Je me rends compte que ce rêve est devenu pour moi inséparable d'internet et de la littérature, qu'entre les colloques réunissant des Espagnols et des Hollandais pour parler de la forme (littéraire et artistique) dans le bocage normand, des Ukrainiennes et des Italiens pour évoquer Poe à Nice, des Tchèques et des Allemands pour étudier la patristique à Paris, entre les projets Erasmus des uns ou Brigitte Sauzay des autres, entre les heures passées sur FB ou sur des blogs, l'Europe est devenue quelque chose de vivant et d'impalpable, que je serais très malheureuse d'abandonner, même si je peste à l'idée qu'ils ont autorisé que le chocolat belge surgras soit appelé "chocolat" (et autres râleries du même acabit).

Réunion du Modem ce soir (j'ai ma carte, si si). Marielle de Sarnez venait à Yerres, avec pour invité d'honneur Sandro Gozi, député européen italien, qui devait nous parler d'économie tout en illustrant la volonté de différents partis nationaux de s'unir pour un véritable projet européen.
Le slogan est simple: l'Europe économique doit être au service de l'Europe sociale. Sandro Gozi a très justement appelé à une harmonisation des fiscalités permettant de donner un sens à un espace économique de libre circulation. Il souhaite également que l'Union européenne puisse être représentée par une unique personne lors des sommets internationaux (comme le G20), plutôt que de présenter le ridicule d'être accompagné de représentants de chaque pays européen. Etc, etc: toute la difficulté est de trouver un équilibre entre ce qui est de l'ordre du projet (à court ou moyen terme) et ce qui est de l'ordre de l'horizon (ceux vers quoi l'on doit tendre, même si c'est à trente ou quarante ans).

Quoiqu'il en soit, mon but ici n'est pas de vous convaincre de la pertinence des idées du Modem, mais de vous adresser une seule prière, de vous geuler une seule injonction: allez voter le 7 juin! Pour qui vous voulez, mais allez voter!


Rappel : le traité de Lisbonne en 10 fiches, une revue de presse de la presse européenne et un site clair présentant les élections.


Un petit mot de Rémi.

Appel en faveur de Guillaume Cingal

Certains d'entre vous ici connaissent Guillaume Cingal, maître de conférence à Tours, spécialiste de littérature africaine anglophone et ami1.

Ces derniers mois, Guillaume s'est beaucoup investi dans les protestations contre le projet de réforme des universités.

J'apprends ce soir l'histoire suivante:
Le 31 mars 2009, Guillaume Cingal, directeur du département d'anglais à l'Université de Tours, avait organisé avec une collègue la proclamation solennelle des démissions de 75 universitaires de leurs responsabilités administratives et pédagogiques. Cette cérémonie, qui s'est déroulée sur le parvis des facultés de Lettres & Langues et d'Arts & Sciences humaines (site dit « Tanneurs ») en présence des médias, a été suivie d'une remise officielle de la liste des démissionnaires à la Présidence, puis d'une « Ronde des Pitoyables » sur la place Anatole-France. Un incident ayant éclaté entre les policiers et un SDF lors de cette ronde, Guillaume Cingal s'est approché de l'attroupement et a cherché à prendre des photos ; dans la confusion, il a été frappé au ventre par le policier qui avait contrôlé son identité sous prétexte que chercher à prendre une photographie était un acte répréhensible.
Victime d'un malaise, il a été transporté aux urgences, mais à sa sortie de la clinique l'attendait un fourgon de policiers qui lui ont proposé de l'emmener au Commissariat pour porter plainte. Une fois là-bas, il a été mis en garde à vue pour « rébellion, outrage et violence sur policier ».
La suite est disponible sur un site qui accueille des pétitions en ligne. (Bien entendu, Guillaume n'est pas l'auteur de cette pétition).



Note
1 : GC, ici, c'était lui.

Moi mes souliers...

Ce matin, à la recherche du point de vente SNCF au deuxième étage des Quatre-temps à la Défense, je contemplai incrédule l'épaisse moquette rouge sang couvrant la largeur de l'allée. De la moquette dans un centre commercial?
Tout est si propre, si beau, si aseptisé, tout se ressemble tellement, tout brille. Depuis combien d'années n'avais-je pas mis les pieds dans un centre commercial?


Pourquoi, entre 2001 et 2003 à peu près, ai-je systématiquement acheté des chaussures trop petites d'une demi-pointure?
Deux paires sont dans un carton. J'essaierai de les vendre sur e-bay en septembre (je n'ai jamais rien vendu sur e-bay: quelle aventure!1.)
Je porte la troisième. J'ai mal aux pieds. Comme je suis têtue, je ne veux pas m'en débarrasser avant qu'elles ne soient usées. Elles résistent, les bougresses.
Avoir mal toute la journée fatigue, surtout dans les transports en commun.
Je pense aux Chinoises, à la petite sirène.


Suite à une remarque de Gilda, j'ai créé aujourd'hui un twitter destiné à ma mère.
Reste plus qu'à prévenir ma mère.


Note
1 : citation tirée de la fin de L'homme de Rio (je ne pense pas que quelqu'un l'aurait identifiée.)

Dur mois de mai

Je vois mes soirées s'évaporer en réunions diverses tout le long du mois.
Je ne sais plus quel engagement j'ai pris pour la Pentecôte. C'est ballot, comme dirait Zvezdo. (Un peu inquiète, en fait).

Paradoxe

Dans une tour dont les fenêtres ne s'ouvrent pas avec un restaurant d'entreprise au sous-sol, les seuls salariés à respirer le grand air dans la journée sont ceux qui sortent fumer.

A votre avis ?

Et soudain, ce week-end, la question a surgi : la femme de Monsieur Propre est-elle une MILF ?

Hubert

Le père de Paul Rivière avait deux frères. Tous les trois sont partis à la guerre en 1914 et, plus rare, tous les trois en sont revenus. Tous les trois se sont mariés en 1919 et trois enfants sont nés en 1920 et 1921.
Les trois cousins étaient proches. Depuis dix ans que je déjeune avec Paul, il m'a souvent parlé de Hubert, ambassadeur à la retraite, de sa femme E., paraplégique et néanmoins accomplissant ses devoirs d'ambassadrice avec une parfaite dignité, et de leur majordome camerounais, qui avait souhaité les suivre après les avoir rencontrés en poste en Afrique.
Hubert est mort début avril. Alors qu'il était tout à fait improbable que je le rencontrasse jamais, je ne peux que penser «Il est trop tard, maintenant je ne le rencontrerai plus», et c'est une idée étrange, tant je me suis habituée, à fréquenter internet, à finir par rencontrer les inconnus qui peuplent mon univers.
Il est mort début avril et Paul me l'a caché, sachant que cela me ferait de la peine.
J'avais bien vu que Paul n'allait pas très bien. J'avais attribué cela à la fatigue, c'était du chagrin.

Paul avait déjà perdu son frère aîné en janvier. Cette seconde mort l'accable. Hubert était son dernier refuge, celui qui n'était jamais trop occupé pour ne pas le recevoir, celui qui partageait ses plus anciens souvenirs.


Paul regrette que l'euthanasie soit interdite en France. Son défaut est l'impatience; il est entièrement tourné vers l'action, et même attendre la mort l'impatiente.
— Vous êtes en excellente santé. Même si elle était autorisée, vous n'y auriez pas droit.
— Mais à quoi bon? Qu'est-ce que je fais là?
Je ris.
— Vous avez de la chance de vous poser la question maintenant. Certains se la posent à quinze ans.
— Et ils arrivent à vivre soixante-dix ans comme ça?

Ma pire expérience professionnelle

En 1991, j'ai été trois mois responsable paie chez Cedi sécurité (nom commercial: Alarme 2000), une PME familiale à Aubervilliers.

Ce fut très instructif. J'y ai appris que certains commerciaux (nombreux) payés à la comm' se voyaient remettre des bulletins de paie à zéro tandis que d'autres (très peu, deux ou trois) roulaient en Porsche, que la famille du patron avait toujours raison, que les quarante-deux francs nets reversés à l'origine pour contre-balancer l'impact de la CSG ne devaient être décomptés qu'à partir de huit heures de travail (quota que n'atteignaient pas certains étudiants venant tenter le télé-travail) et qu'ils étaient ensuite proratisés en fonction du nombre d'heures de travail et arrondis (ce que ne savait faire aucun logiciel), que les soldes de tout compte devaient être calculés de plusieurs façons afin d'utiliser la plus favorable au salarié, que les trente jours de congés payés étaient des jours ouvrables, que le nombre d'heures de travail par mois était égal à 52 semaines / 12 mois x 39 heures (à l'époque), etc, etc.
J'en ai conservé une profonde horreur de la fonction paie et un grand respect pour les personnes chargées de cette tâche ingrate et très technique.

Les frères du patron travaillaient dans les ateliers, sa belle-sœur dans le bureau en face du mien. Elle était méchante et raciste et fumait comme un poêle (lorsqu'une stagiaire noire est arrivée, elle a mis un petit panneau sur l'une des portes des toilettes: «réservé aux CDI»). Son cocker dormait à ses pieds. Un jour il avait pissé sur le bas de pantalon d'un salarié, et sa maîtresse en riait encore quand elle racontait l'anecdote. Je pense souvent à elle: a-t-elle eu un cancer du poumon?

Mon supérieur hiérarchique m'avait expliqué qu'il y avait tout intérêt à embaucher des personnes de 55 ans: elles avaient si peur de perdre leur emploi qu'elles étaient parfaitement dociles et l'on était sûr de ne pas s'encombrer pour plus de cinq ans au cas où il faille "alléger la masse salariale", comme on dit pudiquement.

Nous allions déjeuner dans un restaurant arabe au milieu des garagistes carrossiers maquilleurs de voitures volées (le mur (de Berlin) était tombé deux ans plus tôt, le vol de voitures était en plein essor), j'avais l'impression de me retrouver à Levallois dans un roman de Gustave Lerouge ou Léo Mallet, c'est l'époque où Gainsbourg est mort, mars ou avril, la serveuse du restaurant a gagné quatre millions de francs au quinté+ avec une copine.


Il y a deux ou trois ans, j'ai rencontré B. par l'intermédiaire de H. (Il est devenu l'autre actionnaire de "ma" société.) Par hasard et par extraordinaire, il avait travaillé chez Cedi comme commercial, vendant des systèmes de surveillance en porte à porte.
Il nous a raconté les pratiques apprises en formation chez Cedi (le forcing, l'intimidation des vieilles dames, etc.) Il nous a donné les critères qu'on leur recommandait de prendre en compte pour choisir leur potentiel client victime durant leur porte à porte: le nain de jardin et la parabole. «Et s'il y avait en plus un portail électrique, nous n'avions pas droit de rater la vente!»

Je pense souvent à cette entreprise. J'en rêve la nuit.

Inquiétude

La première chose que je vois en arrivant chez moi ce soir est la lunette arrière de ma voiture fracassée avec une telle force que le pare-brise est décollé de la carosserie.

Je rentre dans la maison, interpelle : «Vous êtes au courant? Vous avez entendu quelque chose?»

Personne n'a rien entendu. A priori cela s'est produit entre 18 et 20 heures. Vengeance ou vandalisme?

Fête de famille

Tentative d'instaurer une tradition, pourquoi pas.
Réécriture de l'histoire: il est vrai que nous sommes réunis au nom de la grand-mère disparue, il est vrai qu'elle serait enchantée de nous savoir là, petits-enfants et arrières-petits-enfants, il est faux de penser qu'elle "aurait aimé voir ça", je ne me souviens, moi "la pièce rapportée", que de brouilles et de lettres vengeresses du temps où elle était en vie.
Mais si certains le pensent nous nous taisons tous, et nous passons vraiment un bon moment, dont quelques longues minutes à réexpliquer aux plus jeunes qui est qui (— Doudou c'est mon beau-père — Ah, ouuiii! — C'est vous la mère d'Harry Potter?), et qu'ils oublient aussitôt comme de juste.

Cette année un cousin nous accueillait chez lui, à la ferme. Poules et brebis. Je me rends compte que ce qui me manque le plus, ce sont les odeurs (et particulièrement les odeurs mécaniques, l'odeur de la graisse froide des outils et celle du cuir, puis celle des bêtes). Passé un long moment à regarder les agneaux, à les écouter bêler comme des bateaux perdus dans la brume: l'identification de la mère se fait à l'oreille. Ri à voir les agneaux de deux jours s'abattre dans l'herbe, plats comme des descentes de lit, une heure après leur première sortie au grand air.

Toujours cette curieuse sensation, ce complexe à double sens: complexe de l'intello qui a peur de se faire mépriser par les "manuels", les gens de la terre, "ceux qui travaillent", peur que les "manuels" se sentent méprisés par les gens des villes, les intellos.
C'est stupide, cela leur est bien égal, je n'arrive pas à vivre simplement dans l'instant.
Toutes ces odeurs et toute cette ambiance me rappellent la ferme tant aimée. Je médite sur cette vie au rythme si différent. Est-elle vraiment tentante? Non pourtant, j'ai trop dans l'oreille les paroles de ma grand-mère: «C'est trop dur, la terre, je ne voulais pas que les garçons restent ici, c'est trop dur».
C'est étrange de se dire que la génération suivante manifeste des velléités d'y retourner.

Chignon

Le fait de porter un chignon ou simili empêche de ne jamais appuyer sa tête sur les dossiers, fauteuils, murs, etc.
Peu à peu le torticolis menace.
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