Gris

Journée de réunions. Aquarium. Brume. L'horizon disparaît. Brume. Sieste de dix minutes sur la moquette. J'ai si mal aux yeux.
Mon moral remonte vers le soir après un bel exposé sur notre activité. Il y a si peu de hasard. Il y a des séries, des signes annonciateurs, des profils…

Qu'est-ce qui me rend si anxieuse, au point de tomber en léthargie? Est-ce d'avoir posté toutes ces lettres, d'avoir invité ma famille comme je ne l'ai jamais invitée? Je me souviens de la carte de ce cousin surpris qui disait, à propos d'une réunion de l'été 2003: «Alice nous a montré qu'elle savait sourire».
Qui peut comprendre cette phrase aujourd'hui? Même si je ne peux plus réellement comprendre qui j'étais enfant, comment j'étais, même si j'ai toujours l'impression d'exagérer, de déformer, ce genre de phrase me rappelle cependant que je n'ai pas rêvé.
Et inviter les témoins de cette enfance incompréhensible me terrorise.

Colère ce soir. Elle a bullé toute la semaine, à se faire péter les vaisseaux sanguins des yeux (sens littéral) sur sa Gameboy, et maintenant elle me présente à signer un bulletin lamentable qu'elle a conservé dans son sac durant les quinze jours de vacances.
J'ai l'impression d'être dans un téléfilm de TF1.

Dimanche

Enveloppes, adresses, il m'en manque. J'aime le mot "suscription".

Analyse linéaire d'un passage de Laurent Gaudé. Je fais travailler à mon idée, à l'ancienne. Je ne suis pas bien sûr que ce soit cela qu'il faille faire. Mais le moyen de faire autrement si l'on veut être à l'écoute d'un texte? C'est sans doute le plus difficile: expliquer que le texte parle, et qu'il faut faire attention, juste faire attention, pour l'entendre.
Exercice spirituel.

La bataille de Pharsale

— Je ne peux pas lire ton livre. Je n'y comprends rien.
— Bon, amène-le. (dont acte). Vas-y, lis à haute voix et arrête quand tu ne comprends pas.
— Ben la première phrase : «Tous les pouvoirs tombés accusent de leur chute les complots de leurs adversaires ou les intrigues de leurs successeurs.» Je me mords les lèvres pour ne pas rire. Oui évidemment, je ne m'étais pas rendue compte... Les "pouvoirs tombés", ça veut dire quoi?
— Les pouvoirs, ça désigne les gouvernements, les rois, les empereurs. Et tombés, à ton avis?
— …
— C'est la perte du pouvoir, par la révolution, la guerre, etc. Les pouvoirs tombés, ce sont les gouvernements qui ont perdu le pouvoir.
— "accusent de..." C'est pas français, accuser "de".
Je ne comprends pas ce qu'elle veut dire. Le "de" la gêne, mais pourquoi?
— Comment se construit le verbe accuser ?
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Manger quelque chose, plus complément direct; pleuvoir est intransitif, il n'accepte pas de complément, il pleut; offrir… on offre quelque chose à quelqu'un, complément d'objet direct, complément indirect… Comment se construit le verbe "accuser" ?
— Euh, accuser quelqu'un de quelque chose ? Mais il a fait une faute, il a inversé les deux compléments !
— Mais non, c'est ça la littérature. L'inversion est sans doute dû au fait que le complément d'objet direct est très long. Alors, ils accusent qui? (réponse balbutiée) et de quoi?





Commentaire à la relecture quatre ans plus tard: il s'agissait de la première phrase de Histoire des deux Restaurations. Le titre du billet est une référence à la version latine corrigée par le père dans La bataille de Pharsalle.

Toutes les façons de faire dix ne sont pas égales

— Par exemple vous pouvez positionner l'alerte dans dix jours. Attention, le logiciel compte en jours de la semaine, dix jours sept plus trois, pas cinq plus cinq. »

True Grit

Diptyque avec ''No country for old men'' (le récit de la fin, du vieil homme saigné à mort par les Indiens). ''No country'' était noir et consacré au mal, ''True Grit'' en est le négatif.

J'aime l'amour des frères Coen pour l'Amérique et leur façon de vouloir rendre l'épaisseur de l'Histoire, la mettre en forme dans la géographie, lui faire occuper l'espace. A chaque film j'ai l'impression d'une leçon de patriotisme: «Fils, voici un morceau de l'histoire des Etats-Unis, médite et comprend ce que nous fûmes et ce que nous sommes.
La fin me fait penser à Flaubert («ils voyagèrent»): «un quart de siècle est une longue période», puis sans transition «j'ai quatre-vingts ans maintenant».
Et ''Lettres à sa fille'' de Calamity Jane.

Sinon il ne se passe rien. Ça bavarde. Ce serait presque le sujet du film: l'attente du moment où les rodomontades seront confirmées ou infirmées par les faits. Il faut aimer les chevaux.


(Mais la fin, la "première" fin, comment ne pas penser au Roi des Aulnes?)

Abolir le hasard

La plupart des personnes jettent les dés moins fort si elles espèrent un petit nombre et très fort si elles souhaitent un 6.

"Les pièges de la décision" in Managéris, 1er novembre 2010

Comment vas-tu ?

A. m'a appelée. Elle voulait des nouvelles, ma carte de vœux, sombre et morose, bizarre, l'avait inquiétée. Elle en avait parlé avec sa mère, à qui je présente également mes vœux, qui avait eu la même impression.
Interloquée, j'ai essayé de savoir quels mots, quelles phrases, avaient bien pu leur donner cette impression. Mais elle n'avait pas la carte sous les yeux et n'a pas pu me répondre.

Est-ce que sont les lieux ou les heures auxquels j'ai écrit qui ont transparu (ennui d'amphithéâtre, de convention professionnelle, fatigue des fins de journée quand je tâchais de terminer les cartes qui manquaient encore)?

Ou suis-je plus lasse que je ne le pense, l'écriture révélant au-delà de sa mise en scène (ne pas se plaindre, rester factuelle quand on raconte des événements tristes, se tourner légèrement en ridicule, introduire des anecdotes vraies et vivantes pour faire sourire) un mal-être dont j'aurais à peine conscience?

Je ne sais pas. Je sais que si j'ai du mal à écrire ici en ce moment, c'est justement parce que je sais qu'un lecteur peut lire plus de choses que je sais que je n'en écris, et que comme je ne sais pas ce que contient cette part involontaire, je n'ose pas me lancer dans des billets plus longs ou plus personnels.

Tête en l'air

C. arrive à Lausanne et nous téléphone : il a oublié ses clés à la maison. Il me reste à les lui poster.

Transes

— On ne reste pas pour le voir décoller ?
— Mais non, ce n'est pas la peine, ça t'évitera de le voir exploser.

C'était destiné à me faire rire. Cela ne m'a pas fait rire. J'ai pensé à l'Espagne (quand je l'ai engueulé il s'est avéré qu'il ne connaissais pas cet accident) et l'effroi m'a saisie.

Quelques heures plus tard, en rentrant à la maison:
— On allume la radio pour savoir s'il y a eu un accident?
— Ecoute, s'il s'était passé quelque chose, le téléphone serait en train de sonner.
— Ah oui, tu as raison.

Cette parole m'a enfin tranquillisée. Mais la terreur a laissé son empreinte en moi.

Beyrouth

Incendies, formidable film.

Une soirée

Jérémy et le mystère des bananes islandaises, titre à considérer pour une bibliothèque verte.
Thaïs, Massenet, Anatole France (il faut lire Anatole France) et Pannard. Barrès, Céline, Bloy.

Jérémy a l'air reposé et en forme. Et j'ai l'impression qu'on s'ennuie un peu en Islande.
Ah oui: et le grand geyser islandais est empli de savon pour paraître spectaculaire. Préférez les petits si vous voulez de l'authentique.

Crépuscule sans trépied. Pas de cigarettes. Beaucoup de bouteilles.

Et j'oubliais, une discussion sur les traducteurs/traductions de Pouchkine.

Et des toasts, beaucoup de toasts, à Romain Duris, à la tapisserie de Bayeux, à l'évêque de Coutances, à nous,....

Pensées pour Afchine harcelée par ses jeunes étudiantes.

L'année climatérite de deux participants s'achèvera en juin, mais il reste des doutes sur combien font 7 fois 9 («Mais je sais faire, je suis ingénieur!»). En revanche Marie calcule très bien de tête (235,70 que divise 7).

La branche cruchons et la branche oulipienne se sont rencontrées.

Les taupes de Facebook

Ce billet sera peut-être un peu difficile à comprendre pour ceux qui n'ont pas de compte FB, d'un autre côté ils ne sont pas très concernés, donc ce n'est pas grave.

Je vais expliquer la technique de la taupe sur FB.
Un inconnu vous demande en "ami", et comme ses centres d'intérêt vous paraissent proches des vôtres, ou qu'il "partage" des amis avec vous, vous l'acceptez. Dès lors, il accède à l'ensemble des messages que vous publiez sur votre mur même si votre profil est très verrouillé (ie, inaccessible) pour les gens qui ne sont pas vos "amis".
Puis il désactive son compte FB, qui devient dès lors invisible, comme détruit (mais il n'est pas détruit: il suffit d'indiquer à FB qu'on veut récupérer son compte pour pouvoir le rouvrir, exactement dans l'état où on l'a laissé).

La taupe réactive son ou ses profils quelques minutes de temps en temps pour venir espionner les dialogues et activités des personnes qu'elle surveille. Entretemps, comme elle est la plupart du temps hors ligne, les personnes ont oublié qu'elles l'ont en ami. Il est très difficile de se débarrasser de la taupe, car il faut être en ligne au moment où elle réactive son compte et profiter de ces quelques instants pour la "supprimer de ses amis".

Taupes recensées à ce jour (je mets des * pour éviter les rechercherches Google) : S*eintisse P*ierre (avec usurpation du nom de Ludivine Cissé en adresse mail), H*éléna R*ibeiri, J*ules S*oerwein. Si vous avez ces noms-là en amis, faites des copies de la liste de leurs amis (pour prévenir ceux que vous connaissez), puis essayer de vérifier qu'il s'agit de véritables personnes (on ne sais jamais ;-) avant de les supprimer de vos amis.

Rémanence

En discutant jeudi soir après l'Oulipo, je me suis rendue compte que si je lisais si peu, ou du moins si peu de romans, c'est que cela bouleversait ma vie pendant des jours. Pendant des jours je vis en transes, impressionnée d'images n'ayant rien à voir avec ce qui m'entoure, rendant mes réactions incompréhensibles à mon entourage sans que j'ai le courage de les leur expliquer.
Ne plus lire, c'était plus simple. (Et je ne comprends pas les lecteurs boulimiques, ceux qui vous annoncent fièrement qu'ils lisent un livre par jour: mais si cela leur fait aussi peu d'effet, quel intérêt?)

Les films m'impressionnent moins. Cependant, depuis vendredi, je marche dans la taïga et surtout je déambule dans un temple bouddhiste dévasté par les communistes. Même Pushing Daisies n'a pu effacer ce temple et j'erre dans les ruines.

Pushing Daisies

Je découvre la série très tard, bien trop tard puisqu'elle a été interrompue en 2008. C'est vraiment très déjanté et très réjouissant.

Homonymes

— Tu as vu, j'ai un tee-shirt Foucault !

M., plutôt surprise, vérifiant qu'elle a bien entendu :
— Jean-Pierre ?

Vendredi

RER à Villeneuve-le-Roi (c'est-à-dire à la campagne, friches industrielles, chantiers. J'aime.) Nous avons atterri là un peu par hasard, en partant du principe qu'il fallait traverser la Seine.

Ramé en pointe et en tee-shirt (un jour je vous ferai un cours de vocabulaire mais pas ce soir, trop fatiguée). Un feu roule dans mes os de l'épaule au coude. Ce n'est pas douloureux, juste brûlant. J'ai l'impression que mes bras vont tomber, sont tombés, et tandis que les unijambistes ont mal à leur jambe absente, je ressens l'absence de mes bras présents.

Vu Les Chemins de la liberté. Pensé à Train de vie et au Voyage de Primo Levi. Pensé à l'un de ces exploits que racontaient les Sélection du Reader's Digest de mon enfance: deux marins rescapés d'un naufrage dans le Pacifique ont survécu en se relayant sur un bout de bois, l'un nageant pendant que l'autre se reposait sur la planche. Cela a duré des semaines. Quand on leur a demandé comment ils avaient réussi un tel exploit, l'un d'entre eux a répondu: «Une fois que vous commencez, vous ne pouvez plus abandonner, vous êtes obligé de continuer».
(Qu'en tirer comme morale? Qu'il ne faut pas commencer? Ou que les entreprises à plusieurs ont davantage de chances de réussir?)

Vies parallèles

La femme en face de moi lisait La vie matérielle de Marguerite Duras.
La femme derrière moi (je l'avais repérée quand nous étions toutes les deux debout) lisait La vie sexuelle de Sigmund Freud.

Duras et Freud.





Les deux en enfilade pour preuve de leur présence dans un même wagon, un peu flou parce que le train bougeait.

Résumé

- Réunion absconse sur l'informatique, la fraude interne et la sécurité. J'ai des courbatures suite à la sortie d'hier, j'ai beaucoup de mal à rester assise. Je m'endors. Je m'agite pour ne pas m'endormir.

- Une pinte et demie de Guinness et des livres. Je suis rentrée si tard au bureau que certains en partaient quand j'y suis revenue. (Aveu embarrassant).

- Reçu l'Anthologie de la poésie française de Gide en Pléiade. A première vue, c'est une source importante des citations qu'on trouve dans Journal d'un voyage en France, et plus tard dans Théâtre ce soir.
Importance aussi de «Salut, ô belle nuit» de Chénier.

- De belles photos de ce week-end.

- Vexé ma fille en lui disant qu'elle avait inventé l'anti-dopage.



Dans mon sac, le soir (j'ai les coudes douloureux depuis deux mois):
- James Joyce, Ulysses
- Sergueï Eisenstein, MLB
- Jean Echenoz, Jérôme Lindon
- Félicien Marceau, Balzac et son monde
- Claude Mauriac, Qui peut le dire ?

Mou, si mou

J'ai appris ce soir que ma fille prenait des anti-stress avant d'aller en cours de sport.




C'est à peu près inutile puisqu'il s'agit d'un placebo homéopathique que je lui avais acheté pour maîtriser sa panique l'année dernière à l'approche d'un examen de piano qu'elle avait mal travaillé (elle ne sait pas que c'est un placebo). Mais tout de même, de l'anti-stress avant le sport...

Programme

Matinée avec une quarantaine de gosses (12 ans). Fait. Il reste l'après-midi crêpes en club de sport, la leçon de catéchisme et la pièce sur Foucault.





Ensuite c'est lundi.

Ponts et Chaussées

C'est étrange de revenir en formation continue dans un bâtiment dans lequel j'ai pénétré pour la dernière fois (et la seule, d'ailleurs) à l'occasion d'une nuit étudiante.
Il y a combien d'années? 1987, sans doute. J'avais dû attendre le premier métro et j'avais découvert la population des travailleurs de l'aube que je n'avais encore jamais rencontrée.

Parfois je me soupçonne de ne choisir conférences et autres manifestations qu'en fonction des lieux qu'elles vont me permettre de pénétrer, ambassade d'Irlande, salle de la bibliothèque Richelieu, ancienne école des Ponts et Chaussées...


Vent du large

Mon chef, commençant à lire le programme du cycle de conférences auquel je lui demande l'autorisation de m'inscrire au titre de la formation continue:

— «Panorama des relations euro-asiatiques depuis le 18e siècle»? Ah oui, ça aère!




Il a gentiment accepté, même si le rapport avec mon poste est plutôt lointain.

Le point de vue du prêtre

«Pour un bon mariage, il faut qu'il pleuve. Comme ça tout le monde rentre dans l'église et on commence à l'heure. Sinon ça papote, eh bonjour tante Ursule, vous avez fait bon voyage, on prend une demi-heure de retard.»

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