J'ai pris un poste au débotté, pour rendre service, pour remplacer une collègue absente d'abord pour quelques jours et finalement hospitalisée d'urgence. J'ai eu droit à une heure de mise au courant par la personne qui avait d'abord assuré l'intérim, puis roule Mimile, avec ses mots de passe et mes souvenirs de l'application informatique datant de 2001 (ce qui fait un peu peur concernant l'évolution des systèmes de gestion), je me suis débrouillée, mettant tout le monde à contribution, même les clients («Je ne sais pas très bien quoi vous répondre, lisez-moi la lettre que vous avez reçue,…», «Appelez tel numéro, rappelez-moi dans trois jours si vous n'arrivez à avoir personne (c'est les vacances), j'essaierai de trouver une autre solution...», etc), faisant finalement ce que j'aime, la seule chose qui me paraisse réellement utile sur cette planète: faire jouer la solidarité et l'entraide pour trouver des réponses, pour faire en sorte que le monde aille mieux, soit mieux "huilé".
(Et ma foi, ça ne marche pas si mal: une fois que tout le monde est convaincu que votre but est bien de trouver une solution et non de jouer à la patate chaude, ça ne marche pas si mal. Les gens sont plutôt de bonne volonté.)

Ma collègue est revenue jeudi pour deux jours, de façon à pouvoir repartir une semaine en vacances (! : apparemment il n'est pas possible légalement d'accoller ses vacances à un arrêt maladie aussi long (et être en congés plutôt qu'en arrêt maladie lui permet une plus grande liberté de mouvements)). Elle avait prévu de "débriefer" mon travail pendant deux jours, alternant les «Tu as fait un super boulot» tout à fait déplacés et me mettant mal à l'aise par leur flatterie exagérée et les «tu ne pouvais pas le savoir, mais…» Et certes, je ne pouvais pas le savoir.

J'ai tenu tout jeudi, presque tout vendredi… et j'ai craqué à une demi-heure de la fin, quand pour la dixième fois elle répétait devant une pile de dossiers: «C'est super, la pile a bien descendu».
— Non je n'ai pas fait un super boulot. J'ai fait le boulot, c'est tout. J'ai assuré l'urgence, j'ai mis tout le monde à contribution, certains vont être soulagés de te voir revenir parce qu'ils ont tenu deux mois et je ne sais pas si les services auraient pu supporter plus. Mais je trouve extraordinaire de débriefer deux jours mon travail de deux mois quand j'ai eu droit à un quart d'heure pour prendre ton poste. (Encore heureux que je ne l'ai pas tenu comme toi, cela serait franchement vexant pour toi), et non, je ne considère pas que descendre cette pile de dossiers ait la moindre importance: si je n'y ai pas touché pendant deux mois, c'est que ce sont des dossiers "morts", le problème est résolu, il n'y a plus qu'à classer tout cela, et cela ne présente aucun caractère d'urgence.

Elle revient lundi prochain, jour où arrive une stagiaire destinée à l'aider. Mais bien sûr, elle va avoir «tellement de travail», est-ce que je pourrais recevoir la stagiaire? Bon, oui, évidemment (et honnêtement, oui, cela me fait sourire, mais ce n'est absolument pas un problème). Sauf qu'elle me demande tout à trac, au milieu de vendredi après-midi:
— Et quel est ton programme lundi avec la stagiaire? (Euh… rien. J'ai appris il y a trois heures que j'allais l'accueillir et je ne t'ai pas quittée une minute: non, je n'ai pas préparé de programme):
— Je n'en ai pas. Ne t'inquiète pas, je peux parler une journée de notre activité, ce n'est absolument pas un problème (songeant avec un peu désespoir que c'est ce à quoi j'ai été formée, en fin de compte: pouvoir parler en toute situation, pouvoir faire face et tenir, donner le change. Cela me désespère de si bien maîtriser ces ficelles.)


Post un peu con, prétentieux et auto-je-ne-sais quoi, j'en ai conscience. Désolée mais ça soulage.

Et précision : ma collègue travaille très bien, c'est une grande professionnelle. Je lui reproche juste de se donner un peu beaucoup d'importance.
La personne du bureau voisin, qui entend les conversations, me regarde en souriant:
— C'est drôle comme on devine ce que pensent les gens à travers une paroi de bureau, me disait-elle vendredi avant que je ne finisse par exprimer ma pensée.
— Bah, ce n'est qu'une question de style, tentais-je de répondre avec désinvolture, c'est la différence entre les classiques et les modernes: ceux qui ont à cœur de donner l'impression que tout est facile et qu'ils ne travaillent pas, et ceux qui ont besoin d'exposer la sueur.