C'est bizarre, tout le monde le connaît à présent, à cause (ou grâce) à l'iPod et l'iPhone. Quand l'iPod avait connu le succès, j'avais ressenti la même impression que lorsque Umberto Eco était tombé dans le domaine public avec Le Nom de la rose.

Mes souvenirs de Steve Jobs, c'est le Newton et le lancement de NeXT. Je devrais sans doute le mettre dans l'autre sens, d'ailleurs, NeXT France ayant précédé le Newton. Mais si l'on excepte le lancement de NeXT à la Défense , cela n'a compté qu'après (dans ma vie, je veux dire).

Le Newton, ce sont des week-ends de solitude avec C. qui savait à peine marcher, pendant que H. allait développer des "applis" chez et avec un ami. Evidemment, vu les ventes du Newton en France, cela ne nous a pas rendu «rêches et célibres», selon notre expression de l'époque. (Je me souviens d'un dessin, d'une pomme en train de tomber sur la tête de Newton, avec une bulle: «Soit je rebondis, soit c'est le grand splash.» La pomme n'avait pas l'air très rassurée.)
Sans doute cette solitude m'a-t-elle fait souffrir davantage que je ne le pensais (en fait je n'avais pas conscience de souffrir, je considérais tout cela avec bienveillance, amusée d'être perpétuellement trompée avec l'informatique (je n'ai jamais accepté un portable dans mon lit, comme quoi la symbolique doit être plus profondément enracinée que la boutade pourrait le laisser croire)), car lorsque l'iPhone a commencé à connaître le succès que l'on sait et que H. a évoqué l'idée de "développer des applis" pour lui, j'ai explosé. J'ai dit non, surprise moi-même par la violence des sentiments qui remontaient, et que j'ignorais jusque alors (entre les deux dates, il y a douze à quinze ans).

NeXT, c'est différent. Nous n'avions pas les moyens d'en acheter, et pourtant, je ne sais combien de NeXT il y a eu à la maison, plus ou moins en pièces détachées, les uns servant de donneurs d'organe aux autres. H. était en extase devant leur système d'exploitation, régulièrement je l'entends soupirer «l'informatique n'a fait aucun progrès depuis le NeXT, quand on l'allume, on voit que tout y était». Je n'ai jamais compris pourquoi il ne s'était pas lancé à corps perdu dans l'aventure. La peur de réussir ou la peur d'échouer ou la peur d'être déçu par ce qu'il aimait profondément? (et le savoir aigu que Steve Jobs avait un caractère impossible, dictatorial). J'aurais dû lui poser la question à l'époque, je regrette de ne pas l'avoir fait.
J'ai été heureuse d'apprendre un jour que NeXT était le père d'internet (enfin, ne disons tout de même pas trop de bêtises dans un domaine que je ne maîtrise pas: la machine qui a porté le premier réseau internet, cf. le lien donné plus haut).

Il me reste aussi un T-shirt. Je ne l'ai pas jeté, même si franchement il est dans un état lamentable.




J'ai pensé à «Roll the dice. Mourning will commence at dawn».