J'avais prévu aujourd'hui de visiter Chantilly et Saint Denis, puis lorsque O. m'annonça la bouche en cœur qu'il voulait aller à son cours de flûte à 15h30, place des Vosges et Saint Denis; finalement nous n'aurons eu le temps que de visiter Saint Denis.

Il faut dire que le matin nous avions une heure bloquée par une visite chez l'ophtalmo, O. et moi. La myopie d'O. augmente (l'ophtalmo: «oui, votre vision a un peu bougé, vous verrez mieux ainsi», l'opticien: «dis donc, ça a beaucoup bougé, ça va vous changer la vie!»). Quant à moi, je pensais que cette fois-ci j'aurais une nouvelle correction car je ne peux plus lire sans lunette (ou difficilement et pas longtemps, cela devient difficile par exemple de déchiffrer très rapidement une phrase dans les livres de mes voisins de transport (fondamental pour en identifier au moins le genre)), mais la conclusion de l'ophtalmo, fort logique quand on réfléchi à ce que je viens d'écrire, a été: «vous avez découvert que d'optionnelles, vos lunettes sont devenues indispensables. Mais il est encore trop tôt pour changer.» J'ai réclamé des lunettes de soleil, j'en ai profité pour prendre des verres progressifs, à la fois pour commencer à m'y habituer et parce que c'est indispensable à l'aviron. (L'opticienne aurait bien voulu me vendre des lunettes de vue, arguant que vu ma correction, je ne devais plus voir de loin. Je suis restée impassible. «Bon, alors je vais éviter de me trouver devant vous lorsque vous conduisez!» Cela m'énerve. D'abord je trouve cela impoli, mais surtout, j'ai beaucoup de mal à supporter que quelqu'un conteste par la théorie la réalité de mon expérience: si je le vis, c'est que c'est vrai, au moins pour moi, non? Sans compter que dans ce cas particulier, c'était validé par un ophtalmo.)

Saint Denis. J'aime beaucoup cette basilique, un peu désolée, un peu abandonnée au milieu des immeubles des années 1970 (mais comment a-t-on pu laisser construire de telles horreurs autour de cette église? Il fallait être tombé sur la tête (mais enfin, tout cela est réversible, rasable. L'important est de préserver l'essentiel, toujours). J'aime ce lieu où le mythe se matérialise. Le tombeau de Dagobert. Mais comment peut-il y avoir un tombeau de Dagobert? Et Du Guesclin, si petit, et Frédégonde (pensée pour Robbe-Grillet, ce doit être dans les actes du colloque de Cerisy, et Henri Martin. Enfin peut-être[1]) et ces transis, Louis XII et Anne de Bretagne, les rois nus, morts et mortels, la chair vaincue mais espérante (je n'ai jamais vu de transi ailleurs qu'à Saint-Denis, et l'humilité que représente l'idée-même de ces statues me transporte de surprise.

Et puis la Révolution, le saccage, la violence (s'attaquer à des vivants, à la rigueur, mais à des morts: cela m'est rigoureusement incompréhensible. Tout mort me devient sacré, il n'est pas un squelette exposé, momie ou marin de La Pérouse, qui ne m'emplisse de gêne), la reconstitution tant bien que mal des tombeaux, la réaffectation des restes, le cœur embaumé de Louis XVII, les listes de noms, tout me touche.

Notes

[1] Non, Robbe-Grillet parle de Brunehaut, p.312 du tome 1 des actes du colloque de 1975.