Salem et la maison aux sept pignons

Il fait beau et doux et propre. Nous décidons de rester ici une nuit de plus pour souffler, faire une pause, laver le linge, nous reposer.
J'ai repéré l'adresse d'une laverie automatique, la propriétaire de l'hôtel m'a indiqué comment y aller, nous décidons de laisser les enfants à la piscine (avec moult recommandations de ne pas être trop bruyants, trop envahissants, trop éclaboussants — bref, de représenter dignement l'Europe).

La laverie automatique est installée dans une des maison en bois typique de l'endroit. Elle est à l'inverse de ce que nous trouvons en France: personalisée, décorée, prévue pour l'attente. Une grande table et des chaises sous une télé un peu bruyante (nous baisserons discrètement le son), des tableaux et objets évoquant la Sicile, deux ou trois romans à l'eau de rose et des Mickey parade, des toilettes et de grandes baies vitrées.

Nous convertissons un billet de vingt dollars en quarters (cela nous rappelle toujours Langelot qui prétend que le quarter est la clé de la vie américaine), les pièces dégringolent, nous avons l'impression d'avoir gagné à Las Vegas, le bruit est épouvantable, nous sommes un peu confus.
Acheter de la lessive dans un autre appareil (je commence par me tromper et acheter de l'adoucissant), mettre deux lessives en route (vous décrivez le linge et la machine choisi le programme pour vous).
Nous nous installons sur la table et pendant qu'Hervé finit un travail qu'il doit envoyer au plus tôt, je commence à jouer avec mes quarters, m'étant aperçu que certains portaient le symbole d'un Etat des Etats-Unis. Au total, nous en avons récupéré une vingtaine ce matin, et le reste du voyage nous essaierons d'en obtenir d'autres. Au-dessus de nos têtes, Tommy Lee Jones et Meryl Streep font la promotion de leur dernier film et ça a l'air très drôle.
Nous sommes bien ici, je pourrais passer mes vacances ici, des vacances sur un autre rythme, calme et bleu pâle.

Après-midi à Salem pour visiter la maison aux sept pignons, de Nathaniel Hawthorne. Ma prof d'anglais m'avait offert le roman et c'est pour elle que j'y vais — mais aussi pour Melville, et pour RC qui m'a appris le premier les relations entre ces deux auteurs.

En attendant le début de la visite, soleil sur les briques :




En réalité, il s'agit de la maison de la cousine ou de la tante (je ne sais plus très bien). Dans le jardin a été apportée et reconstruite la maison natale d'Hawthorne (pour que cela soit plus facile à visiter — ou pour diminuer les frais de l'association Hawthorne?). La guide joue avec une maquette pour nous expliquer comment compter les pignons; il n'y en avait que deux quand Hawthorne a écrit son roman, sa tante a fait ajouter les autres.
En entrant dans le grenier, j'ai un "pang de recognition", j'ai déjà vu ce lieu en rêve. C'était la chambre des esclaves, et une fois encore, on nous fait remarquer combien leurs conditions de vies étaient inhumaine, glaciale en hiver, étouffante en été (sous-entendu, ce n'était pas beaucoup mieux qu'au sud).
Par la fenêtre, la vue sur la baie est magnifique, l'eau très bleue et les voiliers très blancs.

Ce que je lis de la vie d'Hawthorne sur les murs me laisse une impression ambivalente, il est écœurant à force d'avoir tout eu, bonheur familial et succès littéraire, et pourtant tout cela donne l'impression d'avoir été construit sur le sable, tout s'est effondré après sa mort, sa famille n'a pas su continuer à vivre dans ce bonheur dont il se réjouissait tant. (Ceci sont des impressions et des souvenirs de visite à confronter à une véritable biographie, bien entendu.)

J'erre longtemps dans la boutique de souvenirs, hésitant à prendre une tasse noire à l'extérieur, rouge à l'intérieur et un A gothique également rouge peint sur le noir. La boutique me déçoit un peu, insuffisamment littéraire, pas de correspondance Hawthorne-Melville ainsi que je l'espérais, pas d'études sérieuses, d'œuvres complètes; en revanche beaucoup d'allusions aux sorcières et à Halloween.
J'achète malgré tout Grandfather's Chair qui paraît couvrir la période des pionniers à l'Indépendance, soit recouper ce que nous venons voir entre Plimoth Plantation et Boston.

Ensuite H. nous emmène prendre une glace dans ce que Yelp décrit comme le meilleur glacier des environs. C'est une baraque de confiseur, et j'ai l'impression que le jeune homme en train de faire cuire des pommes d'amour derrière la vitre dans une chaleur épouvantable me lance un regard triste de prisonnier sans espoir.

Gloucester. Nous ne trouvons pas de carte routière, mais du produit contre les coups de soleil, les enfants ont cuit à la piscine ce matin. La femme qui tient la supérette est toute heureuse d'apprendre que nous voulons aller aux chutes du Niagara, qu'elle aime beaucoup.

Nous terminons la journée dans un restaurant mexicain. Le repas est si épicé que ma fille ne mange pratiquement rien; mais H., toujours fanfaron, demande des sauces supplémentaires. La serveuse lui en apporte, et, le regardant dans les yeux, articule lentement:
— Now, I want you to be very careful with that.

(H. n'arrivera pas à les manger.)

Matin frais

6h30. D'erreurs de route en déviations (l'idée était de s'éloigner de Boston pour éviter les motels trop onéreux), nous nous sommes retrouvés à Gloucester, où il fait frais, où les tables sont couvertes de rosée (ça n'a l'air de rien, mais c'est une première). Tout le monde dort dans la chambre et je me suis éclipsée. (C'est amusant le prix des motels: entre deux chambres dans un motel miteux où il faut prendre le petit déjeuner dans un fast-food à côté et une chambre dans un hôtel bien plus agréable dans laquelle le propriétaire propose d'ajouter un lit (les chambres possèdent toujours deux grands lits et les filles dorment ensemble) et le petit déjeuner est inclus (évidemment, adieu alors aux pancakes aux myrtilles, il s'agit de buffet où il faut tout faire soi-même (mais on peut alors s'amuser avec les machines et les sachets inconnus), le prix de revient est à peu près le même.) Je suis en train d'écrire au soleil au frais au bord de la piscine.

Et j'ai du wifi. Le soir il est inutile d'y compter: tout le monde tire dessus, la connection est si mauvaise que j'abandonne (et de toute façon hier soir nous étions bien trop fatigués. Nous nous endormons comme des masses, je me demande ce qui nous fatigue autant. Le décalage horaire est désormais absorbé.)

Je vais essayer de compléter les deux jours précédents avant que tout le monde ne se lève (ou que ce portable n'ait plus de batterie).

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