J'accompagne O. à son cours de flûte à Brunoy. Plutôt que m'endormir sur un fauteuil dans l'entrée de l'école de musique, je pars à la recherche d'un café.
Il y en a un, encore éclairé, mais j'entrevois la patronne qui balaie et des chaises retournées sur les tables. Sur la porte est indiquée l'heure de fermeture: sept heures.

Un homme grand barbe noire cheveux gris anorak gris bleu la soixantaine qui s'apprêtre à y entrer m'encourage:
— Mais entrez !
— Ça ne va pas fermer ?
— Mais non, hein Solange, tu ne fermes pas?

Il apparaîtra que le café ferme quand il n'y a plus de clients. Les tenanciers sont cambodgiens (je l'apprendrai plus tard en écoutant les conversations). Je fais un peu tache dans le décor asiatico-formica avec mes habits de bureau, mon manteau rouge et mon écharpe orange. Je compte ma monnaie (souvent je n'ai rien), demande le prix d'un crème (deux euros), je les ai, ouf. L'homme entré en même temps que moi a rejoint deux amis. Ils boivent du café, pas de petit blanc. Ils occupent les deux tables disponibles, sans chaise retournée dessus. Ils parlent à la cantonnade: « Faut pas avoir peur, Madame, on est pas méchant. Enfin, surtout moi, je m'appelle Jacques. Lui c'est Abdel, c'est déjà plus louche. »

Je ne suis pas sûre qu'il avait tout à fait envisagé que je prenne ma tasse pour venir m'assoir au bout de sa table, puisque c'est la seule place assise disponible (une table rectangulaire pour quatre personnes): « Vous permettez ? »
J'ai vingt minutes à attendre, j'écris des cartes de vœux ce qui leur permet de commenter, "Jacques" en biais par rapport à moi à la même table, les deux autres à la table d'à côté.

Quand je me lève pour partir, je ne peux pas m'empêcher de dire : « A la semaine prochaine, même jour même heure».
Je n'ai pas compris pourquoi "Jacques" m'a répondu : « Bonne mission ».
(?? Il a cru que j'étais James Bond ? Auditeur chez Arthur Andersen? Consultant ? Il connaît la profession de consultant ? Il a cru que je venais espionner Brunoy vingt minutes tous les mercredis soir ?)