Neuf kilomètres de Velib

J'ai pris le Vélib à Neuilly pour rejoindre le relieur dans le 18e. J'ai suivi les boulevards depuis la porte Maillot jusqu'à la rue de la Jonquière, observant le changement rapide de la population — du peuplement — des bords des boulevards (pensée pour un Langelot en passant devant les entrepôts des décors de l'Opéra: il me semble bien que dans un cas un camion s'y cache.)

J'ai récupéré les Fables de La Fontaine que j'ai fait relier en maroquin noir pour en faire le frère des Lettres de mon moulin achetées il y a un an à Mulhouse.
Si je vais à l'hôpital, pensez à me laisser ces deux livres.

Par ailleurs, je suis dépitée d'avoir oublié Le Maître et Marguerite au bureau. Je voulais le faire relier. Il faudra que je revienne spécialement, et ce n'est pas si facile car c'est hors de mes parcours habituels.

Décision

En choisissant le prochain livre que je vais faire relier, j'ouvre Carl Schmitt: «Est souverain celui qui décide de l'exception».

Je décide aussi sec d'accorder sa dérogation à l'ancien salarié qui nous a écrit une belle lettre.

Doctrine de l'Eglise sur le suicide

L'enterrement du suicidé a lieu demain, près de B**.

— C'est à l'église, je me demande comment ils ont obtenu ça.
— Tu sais, l'Eglise a quand même évolué sur le sujet. Par contre, tout est possible concernant le prêtre: Pascal m'a raconté une horreur dans de telles circonstances, un sermon terrible qui avait anéanti les parents.
— Ah oui, genre Breaking the Waves… ?
— Si tu veux… Bref, tout est possible, comme d'habitude, le pire comme le meilleur.



Et comme j'écris cela plusieurs jours après, je peux dire que le prêtre a été "formidable" (sic).

Rentrée

J'arrive tard au bureau (je me suis rendormie après avoir arrêté le réveil — cela ne m'arrive jamais). J'ai oublié mes clés, ma collègue ne revient que demain; en attendant que le pompier de service m'ouvre (il est sur un autre site, c'est les vacances, nous sommes en sous-effectif (je me in petto que c'est le moment de faire brûler un bâtiment), je m'installe dans un bureau vide avec le courrier de vendredi à ouvrir: combien de lettres, deux cents, cinq cents? L'aspect artisanal de tout cela est ridicule, mais je sais qu'il me manquera, de par sa désuétude même: adieu à un temps qui n'est plus de notre temps (tout cela devrait disparaître cette année: adieu les chèques, vive les prélèvements!). J'ouvre les lettres, les trie (six tas) en écoutant les podcasts de Thomas Römer (oui, la modernité a quelques avantages): histoire de l'épouse qui se fait passer pour une sœur, la seule histoire racontée trois fois dans le Pentateuque.

Au passage, je remarque un titre (je suis allée chercher la référence dans la bibliographie): Volkserzählungen aus Palästina, récits rassemblés par Schmidt et Kahle (si vous voulez écouter l'histoire tirée de ce recueil, allez à 44 mn 25. C'est très Mille et une Nuits/Borgès).

Message sur mon répondeur depuis jeudi: quarante deux.

Ida.
Je rachète un paquet de cigarettes en sortant, le premier depuis plus d'un an, je pense. Pas grave, je ne le finirai pas.
Je lis Harry Potter und die Kammer des Schreckens. Il me manque beaucoup de vocabulaire.

Mrs Dalloway - 2

RER D, vers 9h30. Un deuxième étudiant. Il commençait tout juste le livre et fronçait les sourcils.


Week-end

Week-end très difficile. Epuisement nerveux. Un suicide dans une toute petite équipe entraîne un très fort sentiment de culpabilité en chacun.

O. est rentré du ski cette nuit. Il était dans une chambrée où chacun essayait de démontrer qu'il connaissait la cité la plus dangereuse. Comme l'a exprimé pudiquement O., «nous n'avons pas le même bagage culturel».

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Puisque je réponds le 11 janvier 2015, la réponse est oui: j'en ai reçue une à Noël. J'ai perdu la précédente je ne sais où, à l'automne 2014, et cela m'a profondément affectée. C'était une montre achetée à Hervé en 1989 pour laquelle nous nous étions endettés. (En fait, il ne l'a pratiquement jamais portée, elle n'était pas "son genre", mais comme nous ne sortions pas ensemble depuis longtemps, je suppose qu'il n'avait pas voulu le dire. Bref, j'ai décidé de porter cette montre en avril dernier (avril 2014) après avoir perdu celle que mon père m'avait donnée en 1986 (mais pourquoi perds-je mes montres?))

2/ Les photographies d'Edouard Levé.

3/ Non. La peau du coccyx quand je fais de l'ergonomètre !

4/ Quelques-unes à la main, beaucoup au clavier. Quand je suis très fatiguée, mon écriture se décompose ("m'est" pour "mais", "tant" pour "temps", et des trucs bizarres que je ne comprends pas le lendemain.)

5/ Oui. Enfin, des gens qui me détestent (sont-ce des ennemis?)

6/ La neige et la nuit.

7/ Non. J'ai du bon sens, ça peut servir à l'occasion.

8/ Je profite du manque de piquant !

9/ Oui ! Trop courtes !

10/ Version originale le plus souvent.

Affaire Vanneste

Rendez-vous à la librairie allemande. Ajourni, Harry Potter tome 2, un livre sur les verbes, un autre sur les mots du monde moderne (les jeunes sont appelés "génération pratique", c'est amusant cet écart avec nos analyses françaises). Comment devenir allemand, écrit par un Anglais. Décidément, même sans colonie, les Anglais continuent d'adorer ne pas être chez eux et écrire sur le monde.

J'avais posé une journée de congé pour aller au tribunal («— Tu sais quelle chambre c'est? — La même que d'habitude, celle de Flaubert ou Baudelaire.» Et je m'émerveille de tant de constance à travers les années.)

Nous avons pris un café dans l'un des cafés les mieux protégés de la capitale,…





…tant et si bien que nous avons failli ne pas pouvoir entrer dans la salle — comble, mais avec un peu d'obstination nous avons pu nous y installer, pour découvrir que la première affaire jugée était une plainte contre les propos de Vanneste.
(Le début de l'audience a été pertubé par un incident à la fois comique et désagréable, assez confus pour l'assistance: apparemment il n'y avait pas de partie civile dans cette plainte, mais au dernier moment un homme a voulu que son association soit reconnue partie civile alors qu'il n'avait pas respecté les règles et délais pour ce faire, il a fini par être emmené hors de la salle par des policiers tandis que la présidente lui disait: «Ce sont les mêmes règles qu'hier, vous n'allez pas interrompre le tribunal tous les jours», à quoi l'homme a répondu quelque chose qui accusait la juiverie internationale de l'empêcher de parler: qu'est-ce que ce singe?)

A suivi l'exposé des faits reprochés à Vanneste, avec projection d'une vidéo sur Youtube.
Franchement, j'ose le dire parce que j'espère être à l'abri de toute accusation d'indulgence envers les homophobes, cette accusation ne tient pas la route. Je crois que le combat de certains homosexuels finit par ressembler au combat de certaines féministes: à protester contre tout et n'importe quoi, il perd de sa force, de son impact, il émousse notre capacité de mobilisation pour les vraies causes, en tout premier lieu celles qui mettent en jeu la violence physique.

Pour résumer à peu près, Vanneste a donné une interview (ou fait une déclaration?) sur une chaîne Youtube (je crois) disant à peu près que les homosexuels sont narcissiques, qu'ils n'ont pas d'enfants et un double revenu (dinkies, double income no kids) ce qui les amènent à progresser vite dans les organigrammes, d'où leur omniprésence médiatique et politique, ce qui leur permet d'influencer (sournoisement?) la pensée du public. Or les citoyens ont besoin de dirigeants politiques qui leur ressemblent et qui aient les mêmes problèmes qu'eux (sous-entendu, pas d'homos riches sans enfants et sans problème).

Entendre cela dans une salle de tribunal, avec tout le décorum, le silence, la mise en scène, adéquats, ne fait que faire ressortir davantage le ridicule des propos. Porter plainte contre ça? Mais cela mérite un éclat de rire! D'ailleurs l'avocat lui-même a commencé par dire qu'il connaissait des hétéros très narcissiques (ou citait-il Anatrella? je ne sais plus). Et amenez-moi un dirigeant politique hétéro ayant les mêmes problèmes que moi! Quand on sait la tête qu'ils font dans le métro, quand je pense à Ségolène Royal rallongeant avec un mois de préavis les vacances de la Toussaint, bousculant ainsi l'équilibre de familles ayant soigneusement calculé comment faire garder les enfants pendant les vacances…

Incitation à la haine contre les homosexuels? Non, je ne le crois pas. Ceux qui haïssent les homos n'ont pas besoin de ça, c'est déjà trop raffiné, les autres vont juste secouer la tête, rire ou hausser les épaules. (Et aujourd'hui, dire qu'il n'y a qu'à donner la GPA aux homos, comme ça ils auront des enfants, problem solved, Vanneste sera content!)

Enfin bref.
Nous étions au tribunal pour assister au procès de RC, je mettrai un lien quand j'aurai écrit quelques mots sur le sujet. En attendant il y a le compte rendu de L'Express, qui rend bien compte de l'ambiance dans la salle.


(Pour info, la buvette a fermé en avril 2014.)

Dîner

— Ce soir, je dîne avec des copines.
— Quoi? des blogueuses?
— Non.
— Des rameuses?
— Non.
— Des oulipiennes?
— Non.

Et c'est vrai que je n'ai pas de copines, je n'ai que des copains. Je suis très misogyne, j'en ai peur.

J'avais organisé un dîner avec trois amies rencontrées en Grèce, mais finalement ce fut un tête-à-tête, très intéressant, avec quelqu'un que je connaissais à peine:
— Un soir, je ne suis pas rentrée chez moi.

C'est impressionnant, comme déclaration. Elle raconte la lassitude de la vie conjugale, le mari pessimiste et bougon, insupportable: «il a arrêté de voir son psy car je crois que celui-ci lui a dit qu'il n'avait pas entièrement raison!»
Maintenant elle fait des études de théologie (je plaisante, il n'y a aucun enchaînement logique), mais pas chez les dominicains, chez les jésuites.
Elle me cite des choses que j'ai dites cet été. Je ne les renie pas, mais je suis soufflée: décidément, je parle beaucoup trop (mais en fait, quelle importance? au moins je ne trompe pas les gens sur mon compte.))

A minuit passé, je rentre de la gare à pied, ma voiture n'ayant plus de batterie. Fatiguée (j'ai ramé à midi). Comme une môme, j'escalade les clôtures pour rentrer plus vite chez moi.

Emotions contradictoires

Appris un suicide, une mort, et une future naissance. Ai pu recommander (pour le suicide en entreprise) psya dont on m'avait expliqué l'intérêt le matin même (prendre en charge les équipes secouées par la nouvelle).

(Comment le dire sans que cela sonne cyniquement: la naissance concerne des amis proches, tandis que je ne connais pas les morts directement, ce sont des amis ou des connaissances d'amis (je le note ainsi pour que les lecteurs qui me connaissent IRL ne s'inquiètent pas).)

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Agenda
J'ai demandé la différence entre les protestants orthodoxes et les protestants libéraux. La scission date du XVIIe ou XVIIIe siècle à peu près. Les premiers lisent la Bible à travers Calvin et Luther, les deuxièmes accordent davantage de place à la modernité, à la culture, à la politique. Les premiers sont appelés en Allemagne "alte reformierte kirche", en France protestants évangéliques (traduction d'"evangelischen Kirche", à ne pas confondre avec "evangelikaner Kirche" (et je me demande si les traductions des journaux font toujours la différence)) et les seconds protestants libéraux.
Karl Barth était un "néo orthodoxe", un libéral ayant redonné toute sa place à l'Ecriture, en récusant le politique et le culturel.

A. est rentrée d'Angleterre. Pluie dans les rues de Brighton mais pas d'inondation. Ferry retardé deux jours pour cause de tempête.

Dans mon sac:
- Fantômette et le trésor du pharaon que je lis machinalement en rentrant pour me détendre
- Langelot et l'avion détourné
- La terrasse de Malagar
, de Claude Mauriac, que j'aurais dû terminé dans la journée
- The Importance of Being Earnest and others plays de Wilde
- Discours de la méthode que je pensais entreprendre à la fin de la Terrasse
- L'islam que j'aime, l'islam qui m'inquiète de Christian Delorme, qu'on m'a rendu.

Les Grandes Ondes (à l'ouest)

A l'ouest? Comme dans "être à l'ouest"? En tout cas, si ce n'est pas le cas, ç'aurait pu l'être.

Ce n'est pas un "grand" film, donc impossible de dire que c'est formidable, merveilleux, etc. Mais c'est drôle, joyeux, entraînant, avec une bonne dose d'absurdité qui représente malgré tout une certaine sagesse, vue de loin, en reculant pour avoir une vision d'ensemble. C'est un bon pastiche 2010 des années 70, quelque chose qui m'a fait penser au Jean Yann de Tout le monde il est beau, en moins caustique, plus farfelu. La bande-annonce est représentative.

La Suisse, le Portugal, la drague, les seins nus (cela pour X qui se reconnaîtra), Marcel Pagnol, le mini-bus Volkswagen, le nagra, la révolution.

La fin évoque en voix off les révolutions actuelles (il s'agit des protestations contre les conséquences économiques de la crise), et c'est une cruelle ironie d'apprendre ce soir justement les morts à Kiev (six morts durant la révolution des œillets au Portugal en avril 1974).


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Vu Lisa au forum des Images. Il y aura un festival de films sur Berlin à partir du 1er mars.

Photos de charme

Peu de choses aujourd'hui. Il ne faut jamais, JAMAIS, écrire à ses clients. J'ai répondu au téléphone, à des questions idiotes (des questions qui n'en étaient pas), une grande partie de la journée. («— Sur le papier il y a écrit qu'il faut payer en deux chèques. Est-ce qu'il faut payer en deux chèques? — oui.» Silence. Je ne dis plus rien. «Ah. Ah bon. Excusez-moi de vous avoir dérangée.») Je deviens folle comme une vache exaspérée par des moucherons. (Et je suis seule, ma collègue est en vacances).

Alors pour ne pas rester sur cette note morose je vous propose deux photos de mes archives, prises il me semble sur le boulevard Saint Germain en juin dernier, alors que nous efforcions d'arriver à la librairie polonaise avant l'heure de fermeture.




Départ en colonie

Samedi : je m'y suis prise si tard pour réserver cette semaine de ski que le départ ne s'effectue pas en train, mais en bus, ce qui m'inquiète beaucoup (le nombre d'accidents de bus… et l'accident de Beaune, jamais oublié (heureusement que j'ai ce blog, parce que je ne veux pas parler de mon angoisse autour de moi)).

Mais comme j'écris cela dimanche (en regardant Wasabi, ce qui n'aide pas à la concentration), je sais qu'Olivier est arrivé. Il ne reste plus que le retour.

Après les péripéties des dernières semaines, je n'ai plus confiance en rien et je vérifie tout: la taille de la combinaison, le nombre de chaussettes, les slips, la crème solaire… Pire que l'année dernière puisque je repère plusieurs vêtements non marqués: apparemment, l'année dernière je l'avais laissé faire sa valise sans rien vérifier (mais l'année dernière c'était des vacances quasi familiales, avec le CE de la boîte: toujours les mêmes enfants et les mêmes accompagnateurs, pas grand risque de perdre grand chose. Cette année c'est différent: UCPA).
Je marque les gants avec des étiquettes tissées à l'ancienne (j'y ai toujours été attachée, j'ai passé des heures (des nuits) à coudre ces étiquettes au long des années, y compris sur les paires de chaussettes et les slips. Sans doute à psychanalyser: le soin du linge comme marque d'un amour qui ne peut réussir à se verbaliser (et si je m'étends ce soir, c'est sans doute que c'est plus ou moins la dernière fois que je couds ces étiquettes)) en regardant un film un peu déprimant, About Schmidt.

Bus porte Bagnolet, à minuit. Nous rentrons, et je termine la soirée en usant mon inquiétude en regardant Le dernier roi d'Ecosse, coloré et fascinant.

Engouement pour La Rabouilleuse

Deux matins de suite dans le RER A : le 12 février en Pléiade, le 13 en folio chiffonné.


        

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Non.

2/ Non.

3/ Mieux qu'avant. Comme je prévois de moins en moins, peu de choses sont "prévues", donc il y a moins d'imprévus.

4/ Oui. On vieillit, ma pauvre dame.

5/ Je le pense tout le temps. Je fais attention après deux, pour ne pas obtenir trois, attention en faisant le contraire d'attention: en me reposant, en me détendant, en essayant de changer l'atmosphère. La tension entraîne les incidents, les incidents sont signes qu'il faut se détendre, souffler, se reposer. (Dans les assurances, on sait que quelqu'un qui vient de divorcer ou devenir veuf aura probablement un accident de voiture. Ce n'est pas qu'il n'a pas de chance, c'est que le chagrin ou la fatigue rende distrait.)

6/ Parfois, mais pas aussitôt, plutôt cinq ou six mois plus tard, à l'occasion d'une remarque qu'elle fait.

7/ Non. Pas fait de puzzle depuis mon bac (je me suis rabattue sur le point de croix!)

8/ Je crois que oui. En tout cas, je sens mes joues chauffer, sans savoir si elles deviennent rouges. En cas de grande émotion (colère ou timidité), je rougis du décoleté.

9/ Non. Je ne crois pas que je vais gagner, donc à quoi bon ?

10/ Mon chapeau orange !

L'anniversaires de Gilles

Mais enfin, Gilles ne peut pas avoir cinquante ans, nous avons à peu près le même âge!

Ah mais euh, oui, finalement, peut-être…

Cohérent

J'aime dans l'apprentissage des langues les mots, les notions, qui n'ont pas d'équivalent d'une langue à l'autre.

La prof protestante n'a pas su traduire spontanément "Magistère" (sous-entendu de l'Eglise catholique tel que défini dans Dei Verbum §10). L'étudiante allemande non plus. Cette notion ne leur sert pas souvent, je suppose.

(Bon, je n'ai pas le courage d'expliquer, mais c'est plutôt amusant.)

L'accident

Après les péripéties des deux derniers retours en RER (je vous épargne et ne raconte pas tout), afin de ne pas tuer un innocent agent de la SNCF (et c'est vrai qu'ils sont innocents, je le sais bien), j'ai décidé ce soir de prendre un vélib.
C'était la bonne solution: je suis arrivée gare de Lyon avec dix minutes d'avance.
Et pourtant, j'en avais perdu cinq: en remontant des bords de Seine sur le pont Charles de Gaulle, je me suis trouvé bloquée en haut de la piste cyclable par un scooter. Il venait de se faire renverser par une voiture qui tournait et l'avait heurté de plein fouet de son aile avant gauche. Le conducteur du scooter gisait, pas tout à fait inconscient, incapable de bouger. Deux badauds regardaient, navrés, la conductrice de la voiture, en larmes, donnait des indications de lieu aux pompiers, tout était calme, un jeune homme est arrivé de nulle part et a commencé calmement à desserrer l'écharpe du blessé, la jugulaire de son casque (sans le retirer, bien sûr, je crois que maintenant tout le monde sait ça. Personne n'a essayé de bouger le blessé non plus.)

Les pompiers sont arrivés, j'ai demandé à l'un des badauds de m'aider, j'ai dégagé mon vélib et je suis partie. Je n'avais pas un bon pressentiment.

Le choc

Je l'absorbe doucement, mais je suis très ébranlée.

Appris ce week-end que le plus jeune cousin, mon cousin préféré, avait quitté sa femme pour une autre, deux cent mètres plus loin dans le petit village.
Femme et quatre garçons, dont des jumeaux et un bébé né en mai.
La stupeur m'étreint, comme elle paraît étreindre ses frères, sa sœur, et toute la famille. Il faut dire qu'il avait, ou qu'il a (que faut-il dire?) une femme si appréciée de nous tous, si parfaitement intégrée qu'elle paraît avoir toujours été là, et qu'à choisir entre elle et lui, en de telles circonstances, il n'est pas sûr que le sang soit le plus fort.

Je ne m'en remets pas:
— Peut-être qu'il va revenir?
— Moi, à la place de sa femme, je ne suis pas sûr de le reprendre (répond H. avec logique).

Mais, et les garçons?

Et je regrette, je regrette que ma grand-mère ne soit pas encore là pour lui passer un savon. Il y a des choses qui ne se font pas, elle savait l'asséner avec vigueur, et nous l'aimions tous tant. Il avait fait son mémoire de fin d'études sur elle et ses souvenirs, me confiant «Je regrette d'être un garçon, elle en aurait dit davantage à une fille». Et tout cela, tout cela, ces principes, ces valeurs, ce monde où une parole vaut un verrou ou une pierre d'angle, jeté aux orties? N'y aura-t-il donc jamais rien qui tienne?

Le troisième vœu

En me mariant j'avais émis trois souhaits : un chat, une cheminée, un fauteuil à bascule.

J'ai reçu aujourd'hui le fauteuil à bascule.


Diderot

Cinq à six heure sur L'Encyclopédie. J'apprends entre autes qu'elle a été caviardée par Le Breton, sans que l'on sache exactement quel est le nombre d'articles mutilés. Hevétius et Damiens lui ont fait beaucoup de tort, Malesherbes et Sartine l'ont sauvée.

Minuit. J'avais malgré tout pensé faire autre chose de mon week-end.

Enquête

Les questions sont ici.

Réponses apportées le 11 janvier 2015.

1/ A l'occasion, sans le chercher.

2/ Je pense que je pourrais l'être, mais cela ne m'intéresse pas beaucoup.

3/ Oui. Des dépendances par rapport à des personnes. C'est très dur, ça fait très mal.

4/ Oui. Je n'enlève jamais de coordonnées de mon carnet d'adresse. Les morts y restent.

5/ Oui, pour mes trente ans.

6/ Passion peut-être pas, mais choix, oui : si mon prof de math avait été aussi bon et intéressant que ma prof de français, je serais sans doute devenue ingénieur.

7/ Oui, dans la mienne! J'ai encore décapoté ce matin en revenant de Melun.

8/ Oui. Autant j'apprends des mois plus tard ce que tout le monde sait depuis longtemps, autant je devine en toute innocence des situations cachées et pose des questions que je ne devrais pas poser (mais je n'ai pas conscience qu'il s'agit de situations cachées, j'ai l'impression qu'elles sont évidentes).

9/ Plutôt, oui.

10/ Pommes et boudin blanc.

Avis de tempête

Le téléphone bippe à six heures, moi qui pensais pouvoir dormir une heure de plus que d'habitude. Je regarde le SMS:
— Est-ce que c'est vraiment une comme idée d'aller a l'école pas ce temps
Je suis un peu ahurie. En voilà une question qui ne se pose pas. je réponds debout dans le noir près de la fenêtre, dans le flou de mes yeux sans lunette en espérant que le correcteur orthographique corrigera mes gros doigts.
— Tu es sérieux? Oui, bien sûr (que c'est une bonne idée). Il ne faut pas se laisser abattre si facilement.
— Je sais juste en entendant ce truc dehors, j'ai vraiment pas envie de sortir.

Je le laisse à ses affres et je me recouche.

Quelques lieux

Premier cours d'allemand théologique à l'institut protestant boulevard Arago. Deuxième cours, en réalité, mais hier O. avait concert de flûte et je voulais y assister.
Nous sommes quatre, la liste comporte huit noms. Deux hommes, deux femmes, deux catholiques, deux protestants, vingt, trente, quarante, cinquante ans, une jeune allemande très blonde aux yeux bleus. J'apprends que Tübingen est le grand lieu (actuel?) de la théologie en Allemagne.

Nous étudions un catéchisme contemporain. Je ne dis pratiquement rien. Je suis à peu près, c'est plutôt facile, mais de là à m'exprimer sur des points de vue théologiques… je n'en sais rien, même en français. J'ai l'impression qu'il faut apprendre les épîtres aux Corinthiens par cœur, tout ce trouve toujours dans les épîtres aux Corinthiens (ceci est ou n'est pas une plaisanterie, à votre guise).

Je prends un Vélib pour rejoindre H. à l'hôtel des grandes écoles au 75 de la rue du Cardinal Lemoine. Demain lui et une collègue de province ont un rendez-vous à Paris; il a pris lui aussi une chambre pour qu'elle ne se sente pas trop perdue. C'est un hôtel que j'avais repéré quand j'étais étudiante, pensionnaire chez les sœurs du couvent écossais au 63 (la toute petite fenêtre tout en haut à droite, c'était la mienne: la dernière chambre, celle que nous étions heureux d'avoir trouvée, Sciences-Po présentant le grand inconvénient (du moins à l'époque, aujourd'hui je ne sais pas) de donner la liste des reçus bien après la rentrée des autres écoles et universités: il fallait se loger dans ce qui restait).

Velib le long de la prison de la santé, j'ai étalonné la boussole pour savoir à peu près dans quelle direction aller, ça descend presque, les rues sont étroites et vides, il fait nuit, ça va vite. Rue des Feuillantines, la librairie "Le Chemin des philosophes" est placardée d'affiches, vitrines désolées. Trop tard, trop tard, pourquoi ne suis-je pas repassée il y a quelques semaines, quand son image m'obsédait?

Rue du cardinal Lemoine, 63, 71 ou 73, plaques à la mémoire de Larbaud et de Joyce. 75, hôtel, pension de famille en 1931, photos de clients sur le piano et les meubles, chambre petite, fleurie, sans télé, silencieuse. Par la fenêtre je contemple sans doute la pièce où fut fini Ulysses, mais laquelle?

Nous ressortons, nous avions envisagé de dîner à la Table russe: fermée pour congés, à la crêperie bretonne de la rue de l'école de médecine: définitivement fermée (zut, je ne l'aurai jamais testée), au Bouillon Racine: complet. Nous échouons à côté, le petit Bouillon dont j'ai oublié le nom.
Rarement nous nous serons autant cassés le nez à la recherche d'un restaurant.

Le mot juste

— Et il a dit quoi, ton philosophe ?
— «Ce dont on ne peut parler, il faut le taire».
— Il écrivait des brèves de comptoir, ton Wiggenstein?



anecdote vécue piquée à P qui me l'a racontée à midi.

Modestie

— Tu as vu que dans le logiciel Pages il y a un modèle pour petite annonce, avec les languettes prévues pour le numéro de téléphone?
— Oui, mais je n'ai pas réussi à m'en servir.
— …?
— Je n'arrive pas à écrire "jeune fille sérieuse".

Une blague théologique de Jacques Higelin

C'est Joseph qui dit à Marie : « QUOI !!??? »

Enquête

Les questions sont ici.
Réponses apportées le 16 janvier 2015.

1/ Dans un premier temps la dégradation du visage (le regard des autres), dans un second temps la perte des forces physiques (l'agilité, la souplesse, etc).

2/ Oui, sauf celles que je ne pardonnerais pas qu'on abîme ou perde (afin d'éviter d'en vouloir à vie à quelqu'un par ma faute).

3/ Oui, la fin d'après-midi, quand il apparaît que ce qu'on voulait terminer ne le sera pas.

4/ Oui, les transports !

5/ Acheter une nouvelle flûte à mon fils. Et sans doute ma décapotable, pas raisonnable du tout.

6/ Parfois, assez rarement (pour aider des touristes à Paris).

7/ Rarement. Il faut vraiment que ce soit un classique auquel je reconnaisse une valeur indépendante de mon jugement.

8/ J'ai dû avoir une gourmette en or, un bracelet en argent… je ne sais pas où ils sont aujourd'hui.

9/ Je ne vois pas. L'eau, le chocolat? Le beurre, le sel?

10/ Non. Tout a été perdu, cassé. Ou alors quelques livres? La Bible de Jérusalem ou les Proust en Pléiade offerts par mon grand-père? (A quel âge s'arrête l'enfance?)

11/ Plus vraiment. Je l'ai fait énormément, je ne vivais que par listes. A un moment donné, j'étais si fatiguée que même cela je n'y arrivais plus. Maintenant je note quelques points, de temps en temps. Je barre, je jette.
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