Orthodoxe

Nous attendons la prof de latin. (Elle ne viendra pas, elle est malade.) Conversation dans le couloir.
Je la rapporte parce que même si mon récit est faible et ne rend pas compte de la discussion, elle va dans le même sens que Congar ou Kertész, ce monde qui se partage entre Orient et Occident, entre latins, saxons et slaves (en ce qui concerne l'Europe), ces lignes de fond ethniques et culturelles que l'on veut ignorer au nom de l'universel et qui s'obstinent, qui constituent des fondamentaux pour comprendre notre monde (je suppose qu'il doit exister l'équivalent en Asie, au Moyen-Orient… En Afrique, c'est l'inverse, à tort ou à raison l'occidental moyen considère qu'il n'y a que des tribus… Et pourtant je sais qu'il y a au moins les peuples des plaines et les peuples des montagnes).

— Joyeuses Pâques !
— Ah non, moi je suis orthodoxe, c'est la semaine prochaine!
— [Rires. Commentaire sur son sweat.]
— Au Liban, j'avais passé l'examen pour être arbitre de baskett.
— […]
— Je voulais entrer au séminaire, mais mon évêque ne voulait pas. Il ne me croyait pas, alors j'ai fait un master de finances, comme le voulaient mes parents. Qu'est-ce que je me suis ennuyé! Alors j'ai passé l'examen d'arbitre de baskett.
— […]
— C'était bien, sauf qu'au Liban, on est très famille, et là, j'étais tout seul le dimanche.
— […]
— Non, mais la famille, elle vient te voir quand tu joues, qu'il y a un enjeu, qu'il y a des compétitions, mais personne ne vient quand tu arbitres!
— […]
— Oui, j'ai fini mon master, et mon évêque ne voulait toujours pas, il pensait que je plaisantais. Il disait oui à tous les autres, et pas à moi. Je travaillais dans une banque. «Démissionne», il m'a dit. Alors le lendemain j'ai démissionné. Alors il m'a envoyé en France alors que les autres faisaient leur séminaire sur place à Beyrouth.
— […]
— Il m'a envoyé à Saint-Serge, c'était horrible, là-bas, c'est Moscou, l'Europe de l'Est, c'est pas la France, au bout d'un an je n'en pouvais plus, c'est pas le même monde. Alors mon évêque m'a mis ici.
— Et tu ne veux pas aller à Rome?
— Oh non, Rome, c'est pour le carnet d'adresse, pas pour des études sérieuses. Il faut venir à Paris, à Liévain, en Allemagne…

L'indemnisation des victimes de catastrophes aériennes

Un ami a publié l'image suivante sur son compte FB:





Bien évidemment, c'est en partie vrai, un peu comme il est en partie vrai que si les médias français (européens?) ont peu parlé du massacre kenyan, c'est parce qu'il s'agit de chrétiens1.

Cependant, la nationalité a une autre conséquence: si la compagnie n'est pas européenne (union européenne), tous les passagers ne sont pas égaux. J'avais été surprise et choquée de l'apprendre par un article de L'Argus de l'assurance paru le 28 août 2009, après la disparition du vol AF 447 reliant Rio de Janeiro à Paris et du vol 626 de Yemenia Airways en juin 2009.
J'avais mis cet article de côté, je vous le livre quasi in extenso.

J'ajoute des sauts de ligne pour faciliter la lecture en ligne.
[…] Il appartient au marché de l'assurance aviation de procéder à l'indemnisation des ayants droit des victimes, voire de la victime elle-même en cas de survie… En pratique, les assureurs aviation sont peu nombreux et spécialisés. La France en compte trois principaux : Axa Corporate Solutions, la Réunion aérienne (GIE regroupant Generali France, Groupama transport, MMA et Scor) et Allianz. Les grandes compagnies aériennes sont assurées par plusieurs marchés (européen, asiatique, nordaméricain).

Les assureurs souscrivant en coassurance, c'est leur chef de file (le leader) qui va négocier les indemnisations pour le compte de tous. En conséquence, ce sont les assureurs de l'opérateur aérien qui feront les premières avances. Il est en effet prévu, par le régime de responsabilité du transporteur aérien (règlement européen n° 2027/97), le versement d'une avance à la victime, laquelle ne peut pas être inférieure à 15000 droits de tirage spéciaux (DTS : panier de monnaies regroupant le dollar US, le yen, l'euro et la livre sterling) aux ayants droit en cas de décès.

Une fois connues les premières hypothèses sur les causes de l'accident, les constructeurs et motoristes vont devoir se défendre avec le soutien de leurs propres assureurs. En pareil cas, un dialogue s'installe souvent entre les deux groupes d'assureurs pour discuter les montants d'indemnisation des victimes ou de leurs ayants droit, voire pour se répartir les responsabilités. Ils vont devoir appliquer un régime de responsabilité complexe, rarement uniforme et, surtout, très différencié selon les victimes.

Si les derniers sinistres ont remis sur le devant de la scène la question de l'indemnisation des victimes et/ou de leurs ayants droit lors d'accidents aériens au cours de vols internationaux, la question de l'indemnisation s'est posée dès les premières heures de l'aviation commerciale. La première pièce de l'édifice a été posée par la convention de Varsovie du 12 octobre 1929 relative à l'unification de certaines règles en matière de transport aérien international (entrée en vigueur le 13 février 1933), qui a été modifiée dès 1955 par le protocole de La Haye du 28 septembre 1955 (entré en vigueur en 1963).

Ces dispositions ont très vite été considérées comme dépassées en raison des faibles plafonds d'indemnisation prévus. Divers mécanismes/régimes d'indemnisation, tant au niveau national qu'international, ont été mis en place afin de pallier les insuffisances de Varsovie-La Haye. Ainsi, selon les accords IATA de 1993 et 1995, les compagnies aériennes renoncent à se prévaloir des plafonds d'indemnisation de Varsovie-La Haye, l'article L. 322-3 du code de l'aviation civile français relevant le plafond à 114336,76 €. Malgré ces mécanismes correctifs, la situation n'était pas satisfaisante et, le 28 mai 1999, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a adopté la convention de Montréal, relative à l'unification de certaines règles en matière de transport aérien international (entrée en vigueur le 4 novembre 2003, 92 Etats parties signataires actuellement), destinée à remplacer Varsovie-La Haye.

La responsabilité du transporteur aérien envers ses passagers, lors d'un vol international, est désormais encadrée de la façon suivante (art. 21):
- jusqu'à 100 000 DTS, le transporteur ne peut pas exclure ou limiter sa responsabilité (sauf faute de la victime) ;
- au-delà de 100000 DTS, le transporteur n'est pas responsable des dommages subis s'il prouve que le dommage n'est pas dû à sa négligence ou à un autre acte ou omission préjudiciable,de sa part, de ses préposés ou de ses mandataires ; que ces dommages résultent uniquement de la négligence ou d'un autre acte ou omission préjudiciable d'un tiers.
[…]
En 2002, l'Union européenne a adopté le règlement n° 889-2002, modifiant le règlement n° 2027-97 en incorporant dans le droit de l'Union européenne toutes les dispositions de la convention de Montréal relative à la responsabilité du transporteur aérien envers les passagers et les bagages.
Désormais, toutes les personnes voyageant sur un vol opéré par un transporteur aérien de l'Union européenne sont indemnisées selon les dispositions de la convention de Montréal, que ce soit directement par l'application de la convention ou par celle du règlement n° 889-2002.

Pour les personnes voyageant avec un transporteur aérien non communautaire, tout dépend si le vol relève ou non de la convention de Montréal.
L'application de ce régime juridique, à l'apparence uniforme, va pourtant aboutir à des indemnisations très différentiées selon la qualité des passagers, d'une part, mais surtout de la compétence juridictionnelle, aléatoire en pratique. Les ayants droit s'efforcent de maximiser l'indemnisation en saisissant le juge le plus généreux, dans les faits le juge américain.

Les indemnisations sont de deux ordres. D'abord le préjudice économique et financier. C'est celui résultant de la perte de revenus en raison du décès ou de la blessure de la victime. […] Ensuite, le préjudice moral, en commençant par le « prix de la douleur », mais aussi les préjudices d'agrément, ou encore les désordres dits «post traumatiques» pris en charge dans certaines juridictions. Les sommes versées au titre de l'indemnisation des dommages liés à un accident aéronautique sont nettement supérieures aux indemnisations d'autres accidents, pour des raisons absolument subjectives liées à l'émotion. Elles se traduisent par une inflation des préjudices moraux, dans des proportions inconnues du droit commun… Aux États-Unis l'indemnisation d'un décès consécutif à un accident aérien peut dépasser 4 M$, dont l'essentiel est constitué de préjudices moraux. Dans un même accident, toutes les victimes n'auront pas nécessairement accès aux mêmes juridictions, d'où des disparités d'indemnisation selon les nationalités. Il s'en suit un profond sentiment d'injustice difficilement explicable par les praticiens de l'assurance. […]

Thibaut de Mallmann, ancien avocat, directeur juridique de la réunion aérienne,
avec la collaboration de Dorothée Cresp, juriste
Et comme d'habitude, murmures dans les couloirs pour savoir qui est l'assureur de l'avion allemand, quels comptes vont être plombés par la catastrophe… (Le premier réflexe des directeurs, c'est de savoir qui est l'assureur, toujours: je me souviens par exemple d'AZT à Toulouse, du soulagement de savoir que nous n'étions pas concernés… C'est assez bizarre.)





Note
1 : Je ne crois pas que ce soit pour des raisons "anti-chrétiennes", mais parce qu'on considère que les chrétiens ne sont pas à plaindre, généralement. Il reste d'eux l'idée qu'ils sont en position dominante, alors que c'est de moins en moins vrai au plan mondial. Surtout, ils n'ont plus rien à voir avec les chrétiens batailleurs et armés des siècles précédents.
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