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Mon pismo prend sa retraite

Ce billet N'est PAS de la publicité pour Apple. :-)


Je n'arrive pas à me souvenir du moment où j'ai hérité du pismo. Je l'utilisais déjà en septembre 2002, j'en suis sûre. C'était un ordinateur de récup: à partir du moment où nous sommes sortis des perpétuelles fins de mois difficiles, H. a acheté un nouvel ordinateur (un nouveau Mac) quasiment tous les ans en trouvant à chaque fois un prétexte (s'il me lit il va être furieux), des gens prêts à lui racheter le précédent, quelqu'un de la famille intéressé par un ordinateur gratuit (assez rarement, en fait, car la famille est anti-Apple), la nécessité d'acheter un portable, etc.
En 2002, je fus donc la personne qui héritai du pismo, avec un clavier et une souris extérieurs pour m'en servir en ordinateur fixe (je ne m'en suis pratiquement jamais servi comme d'ordinateur portable).

Je n'arrive plus à démêler les années. Il y eut la fois où je provoquai un court-circuit en tirant sur le câble d'alimentation: une carte grilla, je me retrouvai sans ordinateur. Une carte fut commandée, installée, l'ordinateur démarrait mais le son ne fonctionnait plus. Quelques bidouilles plus tard, le son sortait à nouveau, mais uniquement sur des hauts-parleurs externes qu'il fallait brancher sur le portable.
Le pismo avait été promis à C.; entretemps était sorti l'iMac, le coma de mon pismo avait été l'occasion de se procurer cette bête de course: un ordinateur neuf rien que pour moi (septembre ou octobre 2004, puisque par la même occasion H. m'offrit un iPod, le dernier joujou à la mode. Je n'en voulais pas (mon snobisme consiste à mépriser ce qui est à la mode), je m'y habituai très vite. J'espère qu'il va vivre encore longtemps.)
Je ne me suis jamais vraiment entendu avec mon iMac, je ne sais pas pourquoi. Trop beau, trop neuf, le syndrome de «C'est beaucoup trop beau pour un chien». En tout cas, nous n'étions pas destinés à vieillir ensemble. Pour une raison inexplicable, il a grillé sous mes doigts en janvier ou février 2006. Il paraît que c'est rarissime. Est-ce parce que j'ai éternué du thé sur le clavier? J'ai un don avec les ordinateurs et les programmes. Je trouve toujours le défaut.

Chance pour H., cela correspondait à la sortie du Mac mini. Il m'avait déjà annoncé qu'il fallait absolument que nous en eussions un à la maison, qu'il fallait qu'il le teste, que l'idée était géniale (et c'est vrai que...), que c'était destiné aux gens qui avaient déjà un écran et un portable, etc. Je ne voulais pas, toujours pas, de quelque chose bien trop beau (trop grand, trop puisssant, disproportionné par rapport à mes besoins) pour moi. Le Mac mini fut installé dans le salon pour les enfants et je récupérai mon pismo chéri, qu'il fallut faire passer sous Tiger ou Leopard ou Panter, je ne sais. C'était un peu lourd pour lui, mais toujours compatible.

Il y a quelques mois, H. s'est offert le plus grand écran que propose Apple, un 30 pouces (taquinerie à part, il faut tout de même que j'écrive ici que vu ce qu'il programme, c'est justifié). J'ai alors hérité de son 23 pouces. Le pismo a eu du mal. Il a fallu lui rajouter une carte vidéo. Il mettait plusieurs secondes pour passer en veille, il en sortait en affichant un voile rouge. Il fallait le ménager, je pris l'habitude de ne jamais laisser plus de trois applications ouvertes à la fois (le mail, internet, et une troisième). C'était une contrainte. Peu à peu j'avais l'impression de voir vieillir une personne âgée, une personne pouvant de moins en moins se permettre de bouger. Son état se dégradait.
Le pismo est devenu muet. La dernière vidéo que j'ai vue et entendue, c'est celle de la quinte juste. Je n'ai jamais osé avouer à Zvezdo que je n'avais pas écouté les illustrations de ses billets que je lis avec beaucoup d'attention et de plaisir (et maintenant, je vais aller écouter le billet sur Peter Grimes. C'était frustrant, tout de même.).
Mais pas simplement muet, aveugle, aussi. Impossible depuis l'été de regarder les vidéos de Tlön ou de Matoo.
Mon pismo était également asmathique, et j'aimais bien. Je l'entendais souffler quand je lui demandais quelque chose qui demandait de la ressource. Je n'aime pas abandonner les choses usées qui m'ont beaucoup servie. Il me semble que je leur dois quelque chose (Objets inanimés,...), avec eux disparaît un peu de nous-mêmes, aussi. Je ne disais rien à H., mais je savais que le pismo était en train de mourir.

La prochaine version du système d'exploitation ne sera pas supportée par le pismo. H. a acheté le dernier Mac mini (le premier a été vendu pour être évidemment remplacé par le dernier iMac Core duo, vous vous en seriez douté) et a remplacé mon pismo jeudi, sans rien me dire. Le plus étrange est que je ne m'en suis pas aperçue (je dois expliquer que le pismo était invisible, posé sous le bureau). Il m'a envoyé une vidéo, m'a demandé de la regarder. J'ai protesté qu'il y avait longtemps que je ne pouvais plus regarder de vidéo. Puis j'ai essayé. Ça a marché, je me suis réjouie, sans m'étonner. Je ne me suis pas étonnée non plus de ne plus entendre le bruit de l'ordinateur, pas étonnée que la carte-son fonctionne à nouveau. Je me suis dit que j'avais de la chance. Je suis absolument disposée à croire aux miracles, aux fées et aux trois vœux.
Je n'aurais toujours rien vu si H. n'avait pas fini par me le dire.
Cet aveuglement, lui, m'étonne à chaque fois, cette inaptitude à voir ce qu'on ne veut pas voir, cette aptitude à considérer le réel comme figé tant que rien n'indique formellement qu'il a été modifié...

Je suis soulagée. J'avais peur que mon portable s'éteigne un jour, un jour sans sauvegarde bien entendu. J'étais arrivée aux limites de l'exercice, même si je ne voulais pas l'avouer.
Je suis contente de pouvoir aller regarder les vidéos chez les uns et les autres, de pouvoir faire des recherches sur Youtube comme tout le monde, de lancer les radioblogs de Zvezdo. Je vais pouvoir rapatrier ma bibliothèque iTunes qui était sur un autre ordinateur car trop lourde pour le pismo.
J'espère que cet ordinateur-là me durera plus longtemps que l'iMac.


Ça fait un peu étalage, tant pis, ou plutôt tant mieux, ce billet était un billet d'adieu, mais aussi une recension. Je sais que nous avons toujours les derniers produits Apple à la maison, H. dit que c'est faux, en écrivant ce billet j'ai réalisé à quel point c'était vrai (et je n'ai pas parlé de l'ordinateur qui supporte le réseau, ni des deux titanium successifs, ni des iPod mini, nano, shuffle, offerts aux anniversaires et Noëls des uns et des autres, je n'ai parlé que de ce qui me concerne directement.)

Le Chevalier à la rose

J'avais pris des billets pour cet opéra un peu par hasard, pour la valse et pour Richard Strauss. J'ai lu avec curiosité les billets des blogueurs musiciens m'ayant précédée.

J'ai été un peu déçue par les voix, souvent couvertes par l'orchestre. En lisant le billet de Laurent, je me dis que je suis sans doute sévère. Mais tout de même... il me semble que les voix ont mis longtemps à se chauffer. Cependant elles étaient à leur meilleur dans les moments les plus émouvants ou les plus dramatiques, comme si les chanteurs portés par leur rôle trouvaient alors de nouvelles ressources. L'aspect liquide des miroirs, la salle renvoyée à elle-même en ouverture et à la fin, la qualité labyrinthique des plis du décor, m'ont énormément plu.

A regarder évoluer la noblesse inaltérable face à la noblesse décadente, la bourgeoisie plus digne que celle-ci mais la confondant avec celle-là, il m'a semblé assister à l'illustration de certains des chapitres de Mensonge romantique, vérité romanesque que je suis enfin en train de terminer.

La Maréchale m'a fait penser à une réflexion de Tlön (ou à Tlön rapportant les propos d'un autre blogueur, plus exactement) concernant les photos de Zohiloff : «Il a une façon très émouvante de photographier les femmes entre deux âges.»

Défaite et dignité, fragilité, sensation intime du temps qui passe.

Triste vérité

Lorsque je croise des publicités pour des crèmes anti-rides ou amincissantes, je pense à ma s?ur qui travailla quelques années dans les laboratoires de Lancôme.

— C'est vraiment efficace, ces crèmes ?
— Si c'était efficace, nous n'aurions pas le droit de les vendre !



Ici se situe la frontière entre la parapharmacie et la pharmacie, à ce que j'ai compris.

Règle de vie

— Mais pourquoi m'as-tu demandé de descendre ?
— Parce que pipe.
— Parce que quoi ?
— Pas d'initiatives, pas d'emmerdes.

Précision technique

Après étude d'Agatha Christie et de Columbo, Tlön et moi-même sommes parvenus à la même conclusion : lorsque nous réaliserons nos meurtres parfaits, nous ne nous justifierons pas, nous tirerons d'abord.



Note de bas de page dix ans plus tard (septembre 2016):
C'était le début de nos rendez-vous hebdomadaires au Collège de France pour écouter Antoine Compagnon.

L'âge du (départ à la retraite du) capitaine

lettre retrouvée dans les archives de mon entreprise.

à Monsieur Unvois
Société Commerciale des Potasses et de l'Azote
2, Place du Général de Gaulle
68100 Mulhouse (Ht-Rhin) France

Taipei, le 2 Juin 1973
P.0. Box 68-986

Cher Monsieur Unvois,

En réponse à votre lettre du 22 Mai 1978, je vous signale que cette différence de ma date de naissance provient du fait d'un chevauchement de la dernière année de l'Empire sur la première année de la République d'où une réduction d'une année lors du calcul de ma date de naissance chiffrée en calendrier grégorien. Pour le mois il y a un décalage entre le calendrier lunaire et le calendrier solaire.

Du temps de mon père qui vivait sous le régime impérial, la date de ma naissance a bien été inscrite comme étant l'année 1902 et ce sont les autorités de la République qui ont confondu la dernière année de l'Empire avec la première année de la République faisant ainsi avancer ma date de naissance d'une année en 1903. Comme preuve officielle de mon explication, je vous adresse ci-joint mon Permis de Conduire (Carte rose) délivré par le Préfet du Nord le 23 Novembre 1927 que j'ai retrouvé parmi mes vieux papiers pendant leur rangement.

Pensez-vous que cette pièce pourrait convaincre la compagnie d'assurances à m'éviter la diminution de rente dont vous me parlez ou bien faudrait-il absolument que j'entreprenne des démarches auprès de nos autorités en vue de faire corriger cette erreur dans le calcul de ma date de naissance en année grégorienne, à moins que cette diminution de rente ne soit que vraiment très minime.

A mon âge cette différence d'un an devient négligeable et ne devrait plus compter mais il est probable que mon âge se place justement dans une coupure de l'échelle de la rente et c'est bien dommage. Je regrette que je sois obligé de vous causer tout ce dérangement. Comme demandé, ci-joint photocopie du passeport de ma femme indiquant bien la date du 1er mai 1907 quoiqu'en réalite cette date devrait être celle de 1906.

En ce qui concerne la future représentation de Producteurs à Taiwan, j'ai demandé à X* à Vienne si une décision était intervenue et il m'est répondu que la proposition que j'avais faite par ma lettre du 14 Février 1973 et dont vous avez copie sera remise sur l'agenda de la prochaine réunion du 14 Juin 1973. Je vais arrêter tous les comptes au 20 Juin 1973 et vous envoyer mes états comptables immédiatement après cette date, ce qui me permettra de quitter Taipei le 25 Juin 1973; en passant par San Francisco et Vancouver pour rendre visite a nos deux filles, j'arriverai à Paris le 13 Juillet 1973 et je me mettrai tout de suite en rapport avec vous.

En attendant, je vous prie d'agréer, cher Monsieur Unvois, l'expression de mes sentiments dévoués.

Dr. Txxx
PJ. Photocopie de Passeport

Tabac

moi : Depuis que j'ai arrêté de fumer…
H : Tu as arrêté de fumer, toi ?
moi : Oui, depuis jeudi.
C : Tu veux dire que tu n'a pas fumé trois jours.

Ils sont méchants. Ils ont raison. J'ai tendance à ne pas fumer trois jours toutes les trois semaines, trois semaines tous les six mois. La dernière fois que j'ai "arrêté" ainsi, c'était cet été. Il a suffi que j'apprenne la crise cardiaque de JM pour en rallumer une aussi sec.
Le dialogue ci-dessus avait lieu le 10 novembre. Je n'ai pas fumé depuis.

En fait, pour moi, ce n'est pas très difficile, car je n'aime pas ça. Ça me donne envie de vomir. «Mais alors, pourquoi fumes-tu?» s'exclame le chœur, dépassé par tant d'illogisme.
Je ne sais pas. Par ennui, parce que, au moins à court terme, cela présente moins d'effets secondaires que l'alcool, parce que la fumée de cigarette, c'est joli et que j'espérais (raté!) apprendre à faire des ronds, par esprit de contradiction, parce qu'arrêter en ce moment, ça donne vraiment trop l'impression de céder à une pression que je considère inacceptable.
Mais lorsque le chirurgien qui doit vous opérer murmure dans sa barbe, sans même lever les yeux: «Cigarettes… ça augmente le risque de nécrose des tissus…» et passe à autre chose sans insister, vous vous dites que ça ne vaut peut-être pas la peine de s'obstiner pour quelque chose à laquelle vous ne tenez pas.

Alors je bois du café, beaucoup de café. Je crois qu'on conseille à ceux qui arrête de fumer d'éviter les excitants. En réfléchissant, je me rends compte que j'ai besoin de mon point au cœur. Cigarettes ou cafés, qu'importe, du moment que j'obtiens cette présence. En réfléchissant un peu plus, je me dis que j'effectue un transfert: je transforme un malaise mental en malaise physique, je détourne mon attention de mon esprit vers ma poitrine.
Ce n'est ni rationnel ni raisonnable.

M'observer m'intéresse. Je trouve très pratique de s'avoir sous la main pour faire des expériences.
Je regrette que Ben ex-Machinchose ait fermé son blog. Il avait annoncé en mai dernier une série de mesures qui m'impressionnait: arrêter de fumer, arrêter le café, arrêter de boire, manger moins. J'aurais aimé avoir des compte-rendus d'expérience et connaître les résultats: est-ce vraiment possible, et vraiment souhaitable, de se convertir ainsi à l'ascétisme brutalement? Est-ce que cela vaut la peine?
Lorsque j'ai arrêté de fumer (à chaque fois que j'arrête), j'ai été malade : gorge, poumons, sinus. Il a fallu trois semaines pour que ça aille mieux. J'ai également arrêté de manger du chocolat et de boire de la bière depuis septembre: résultat, un gramme de moins toutes les quarante-cinq minutes, ce qui est beaucoup moins impressionnant que les résultats de Gvgvsse (mais je ne cherchais rien d'impressionnant, je voulais juste inverser la spirale).
Je sais que l'intérêt principal pour moi, c'est de gagner en heures de sommeil: par expérience, je sais que la cigarette et les kilos en trop exigent que je dorme davantage. Pour moi, ça vaut vraiment la peine de se priver un peu pour gagner une heure de sommeil.

Perdue

Dans la vie de la plupart des femmes, tout, même le plus grand chagrin, aboutit à une question d'essayage.

Le côté de Guermantes, Pléiade t.2 (1957) p.335
J'ai détesté Proust d'avoir écrit cela. J'en ai parlé à un ami, qui m'a répondu que la remarque s'appliquait également aux hommes. Piètre consolation.

Lorsque j'ai rencontré H. il y a vingt ans, nous réunissions à nous deux sept grands-parents. Nous avons enterré le sixième aujourd'hui, la grand-mère maternelle de H. Il ne reste que ma grand-mère maternelle.
Je suppose que nous sommes censés nous résigner. C'est l'inverse qui se produit, la colère, la frustration, est plus grande à chaque fois. Ce n'est pas tant la mort que la fin de ces vies qui me révolte, ces vies dures, honnêtes, courageuses, terminées dans la souffrance ou l'ennui ou la folie pendant quelques semaines ou quelques années, et la mort à l'hôpital loin chez soi. J'ai l'impression d'une promesse trahie — comme s'il nous avait jamais été promis la justice en ce monde.
Nous eûmes par la suite une conversation que je n'ai jamais oubliée. Nous passions la soirée chez elle, Lore et moi, avec Marie McCarthy et une amie à elle qui vivait à Rome, catholique croyante comme il apparut bientôt. Elle s'intéressait vivement à moi et me provoqua en me demandant à brûle-pourpoint: «Croyez-vous en dieu?» On ne m'avait jamais posé la question de manière aussi directe — et cela venant d'une presque étrangère! Je la considérai d'abord perplexe, je réfléchis puis dis — à ma propre surprise: «Oui!» Hannah [Arendt] sursauta — je me souviens de son regard presque épouvanté sur moi. «Vraiment?» Et je répliquai: «Oui. Finalement oui. Quel qu'en soit le sens, la réponse "oui" se rapproche plus de la vérité que le "non".» Peu de temps après je me trouvais seul avec Hannah. La conversation revint sur dieu et elle déclara: «Je n'ai jamais douté d'un dieu personnel.» Sur quoi je dis: «Mais Hannah, je ne le savais pas du tout! Et je ne comprends pas pourquoi, l'autre soir, tu as eu l'air tellement stupéfaite.» Elle répondit: «J'étais très ébranlée d'entendre cela de ta bouche, car je ne l'aurais jamais pensé.» Ainsi nous nous étions surpris l'un l'autre par cet aveu.

Hans Jonas, Souvenirs, p.259

Devinettes

Je connais ces devinettes depuis si longtemps que j'espère que personne ne s'en souvient:

M. et Mme Froid ont trois fils et trois filles : quels sont leurs prénoms?

Inversement:
Quel est le nom de famille des trois sœurs Anne, Justine et Corinne?

La dernière, ma préférée du moment (et beaucoup plus récente):
M. et Mme Liguili ont un fils. Quel est son prénom?

Suis-je un vieux con ?

Hier, j'ai bu deux Guinness avec JM.

— Dis-moi, JM, est-ce que je suis un vieux con ?
— ?!
— Je vais t'expliquer. J'ai oublié un chapeau à Beaubourg, comme je n'ai pas trouvé de numéro de téléphone, j'ai envoyé un mail, «Madame, Monsieur, etc, signé Alice S***.» Ils ont répondu très vite, très gentiment, mais ils ont commencé leur mail par «Chère Alice» : tu trouves ça normal ?
— Ça te choque ?
— Non, ça me surprend, ça me fait rire. Après tout ils ne savent rien de moi, mon âge, qui je suis... Ils prennent un risque.
— Je crois que c'est bêtement l'esprit étudiant, à Beaubourg, c'est le genre.

Hum, j'ai bien l'impression que JM est aussi décalé que moi. Je ne crois pas que ce soit l'esprit étudiant, mais l'esprit du temps.
C'est bizarre cette propension à copiner avec n'importe qui.
Enfin moi je trouve.

Sous la coupole

Lundi, par la vertu du prix et de l'invitation de Rémi, j'ai assisté à la séance solennelle de la rentrée de l'Académie des sciences morales et politiques.

Dans un sens c'était un peu décevant: j'attendais des ors et du velour cramoisi, il y avait de la pierre blanche et des fauteuils verts et gris. Les sièges sont disposés en croix, les rangs s'élèvent du centre vers les bords. La garde civile (?) est là lors de l'entrée des académiciens au son des tambours, les broderies des habits verts ne sont pas toutes les mêmes, cela dépend-il du couturier choisi ou du goût de l'académicien? Le tailleur de Madame Carrère d'Encausse est très seyant.

Le garde des sceaux a été installé au centre de la croix laissé vide par les fauteuils, juste en face de la tribune. Impossible pour lui, donc, de s'endormir discrètement durant le long discours du président Damien, discours intéressant d'ailleurs, mais péchant un peu par le ton monocorde sur lequel il fut débité. Le président Damien fit remarquer que chaque fois qu'un thème lui avait été confié, celui-ci s'était retrouvé au centre de l'actualité: en 2005, tandis que l'académie des sciences morales et politiques se penchait sur la jeunesse et son malaise s'embrasaient les banlieues, en 2006, tandis que l'académie étudiait l'état de la justice en France éclatait l'affaire du petit juge d'Outreau.
M.Damien fit très justement remarquer que si les prévenus n'avaient pas été placés en détention préventive au début de l'affaire, les médias auraient crié au scandale, puisque c'est bien connu les enfants ne peuvent mentir; et le président de raconter une nouvelle d'Anatole France, Monsieur Thomas: du temps de la guerre entre école laïque et école religieuse, un instituteur fut accusé de maltraiter ses élèves en les faisant asseoir cul nu sur un poêle rouge. Tous les élèves, habilement questionnés, témoignèrent en ce sens, jusqu'à ce que l'instituteur démontre qu'il n'y avait pas de poêle dans sa classe. Il fut réintégré, mais tant chahuté qu'on dut le changer d'académie. Las, «Il fut envoyé dans un village où l'on parle un patois qu'il ne comprend pas. Il y est appelé Grille-Cul. C'est le seul terme français qu'on y sache.»

Je ne peux rapporter le discours, car je n'ai pas pris de note. Dans l'ensemble, M.Damien se déclare plutôt satisfait du fonctionnement de la justice. Son discours se terminait par trois conclusions, je n'ai retenu que la deuxième, à l'intention des magistrats et élèves magistrats: «Lisez Anatole France, vous y apprendrez tout ce qu'il faut savoir sur la justice», et de citer Le crime de Sylvestre Bonnard, La rôtisserie de la reine Pédauque à propos de l'affaire du canal de Suez et L'Île des Pingouins à propos de l'affaire Dreyfus.

Enfin, le président Damien est passionné de médailles et décorations et compte s'y consacrer dès qu'il ne remplira plus la charge de président (passion qui se nomme la phaléristique). Il a chaudement recommandé un livre de Pierre Rousseau, Ordres et décorations de l'empire chérifien au temps du protectorat français au Maroc 1912 - 1956.

Lors de la remise des prix (il y en a pléthore, et c'est un ballet bien réglé: chaque récompensé se lève à l'appel de son nom et de son prix, l'assistance applaudit, puis une fois l'ensemble de la section appelée (philosophie, droit, histoire, etc), tous les récompensés d'une même section se lèvent et sont réapplaudis, collectivement cette fois, tandis que crépitent les flashes), j'ai été surprise d'appendre que nombre d'entre eux ont été créés ou sont créés par de riches veuves honorant ainsi la mémoire de leurs maris.

Catherine Chalier a été récompensée. Cela me fait plaisir. Je suis contente de l'avoir vue. Dieu qu'elle a l'air austère.

Eclats de soirée

Je suis passée chez Florence Loewy chercher mon catalogue de la Déroute. La librairie était minuscule, pleine d'amis d'enfance et assimilés de Nicolas Simarik. Impossible d'acheter le catalogue et de s'éclipser, il faut passer devant l'auteur-photographe pour accéder à la caisse, il serait impoli de refuser la dédicace qu'il propose si gentiment. La queue de quatre ou cinq personnes avance lentement. Devant moi, un couple aux allures de hippies des années 2000 (très beau manteau militaire avec un dragon taïwanais rouge sang brodé dans le dos) paraît expliquer qu'ils sont de véritables photographes de La Redoute, qu'ils trouvent l'idée formidable, qu'ils sont venus voir… Il a un fort accent nordique, je ne suis pas sûre de bien comprendre. Dans l'étagère, tout en haut, parmi tous ces livres de peintres, sculpteurs, photographes inconnus (je considère deux ronds de serviette en bois "punk not dead" gravé sur bois de hêtre vernis, signés et numérotés, trente exemplaires), je repère une plaquette bilingue des poèmes de Garcia Lorca. Je feuillette, magnifiques poèmes que je ne connais pas. Et 45 euros. Pas ce soir. A côté, une bibliographie des œuvres de René Char signé Pierre-André Benoît. C'est ce que j'aime dans le fait de lire encore et encore : le monde se transforme en un vaste réseau d'amitiés et de signes, il y a un mois, je n'avais jamais entendu parler de Pierre-André Benoît… J'apprends que le catalogue de la Déroute a eu aujourd'hui trois pages dans Libé et je ris jaune. Derrière moi, un vieux monsieur interpelle Isabelle Tardiglio, la présidente de l'association toulousaine qui a participé au projet. Lui fait partie d'une association de Montrouge, "mon Montrouge", ai-je cru comprendre. Son objectif: lutter contre le maire qui fait disparaître les petites maisons historiques de ce vieux village pour bétonner encore et encore. Je pense fugitivement à Anna Politkovskaïa, aux vieux chassés de chez eux à coup d'incendies pour récupérer les terrains… Isabelle Tardiglio et cet homme échangent leurs adresses.
Je feuillette le catalogue. Certaines photos paraissent sous-exposées, c'est dommage, mais globalement, c'est réellement un catalogue étonnant. Il se produit le même mouvement mystérieux que lorsqu'on lit ou regarde une histoire vraie: on est touché différemment que par la fiction. Quelque chose remue. Ce sont de "vrais" gens, il est possible de les rencontrer, ce ne sont pas des mannequins, les immeubles sont vrais, les décors sont vrais, le mobilier, les pelouses, les posters au mur… Toutes ces personnes paraissent si présentes, si vivantes, alors que cette impression n'a lieu que dans la tête, puisque rien ne sépare objectivement ces photos des fausses photos d'un vrai catalogue de La Redoute.
Bizarre, bizarre.

De la librairie au Auld Alliance Pub il n'y a que quelques rues, je vais prendre une Guinness. Le pub est envahi par une poignée d'Ecossais, dont un en kilt (le tartan ne me plaît pas, blanc et bleu, trop fade). Je lis les dix ou vingt dernières pages de Douloureuse Russie tandis que les Ecossais chantent une version anglaise de Elle descend de la montagne à cheval.
Pour résumer, les forces démocratiques en Russie sont apathiques, les forces au pouvoir ne s'intéressent pas au peuple et de toute façon sont incapables de lui parler, par peur ou manque de simplicité, les citoyens ne réagissent que lorsqu'on tue leurs enfants ou qu'on touche à leur salaire, le pouvoir soutient l'extrême-droite (Poutine recevant officiellement un hooligan connu pour sa violence!) contre la jeunesse qui se radicalise en se rapprochant de la gauche extrême, la violence et la corruption du pouvoir sont telles qu'elles poussent une partie des populations musulmanes à prendre le maquis.
Le livre dans son ensemble est terrible, il dresse des portraits d'hommes et de femmes en pleine détresse, analyse les derniers événements politiques, passe ainsi sans arrêt du plus particulier au plus général. Kasparov est sans doute un nom à retenir pour l'avenir (Je l'espère. Il fait partie des opposants à Poutine). D'autre part, je vais sans doute écrire en faveur de Khodorkovsky, car Politkovskaïa est (était) persuadée que c'est son désir de transparence à l'occidentale qui l'a conduit à sa perte. Je signale également ce blog.
La violence décrite par Politkovskaïa est omniprésente. Violence, arbitraire et pauvreté. Je crois qu'il faut vraiment lire ce livre. En tuant Politkovskaïa, j'ai l'impression que Poutine et son gouvernement ont proclamé: «Vous pouvez la croire, tout ce qu'elle a écrit est vrai.» En rentrant en métro, j'apprends par-dessus l'épaule de mon voisin que l'"ex-espion russe" qui enquêtait sur la mort d'Anna Politkovskaïa est mort à Londres.

J'ai commencé Mensonge romantique et vérité romanesque. Cela fait dix ans que j'aurais dû le lire (1995, exactement).

Un mail m'attend. Un ami qui travaille dans l'administration se plaint : l'expression "avis de retard" (annonçant un retard dans un projet) a été remplacée par "demande de prolongation de délai non chiffrée". Pourquoi? me demande-t-il.
Son mail commence ainsi : «Depuis quelques jours, je me demande pourquoi. Il s'agit d'un point mineur, mais je suis sûr que toi, tu peux me comprendre.»
Cela me fait plaisir.

Anniversaire

Il y a deux ans, j'assistais à l'enterrement de Jacqueline.
C'était une amie d'enfance, lorsque nous avions treize ans, elle était ma coéquipière en double scull. C'est sans doute la personne qui m'a le mieux connue dans tout ce que peut avoir d'effroyable ma hargne et ma mauvaise humeur. Je me souviens de son sourire, de ses phrases, de son égalité d'humeur, d'un extraordinaire coup de soleil après une régate dans le golfe du Morbihan, de ses cigarettes, de ses yeux lointains, de la voix de Jérôme au téléphone "elle m'a quitté", de son fils mal élevé, de son frère incontrôlable, de son amour pour Juan Rulfo et Pedro Paramo, bien avant qu'il ne soit réédité (c'est ainsi que je le connais). Elle était tailleur de pierres.

J'ai appris sa mort un matin, juste avant de partir travailler. Le téléphone a sonné, H. a décroché, parlé, raccroché. Il est venu me voir :
— Jacqueline est morte.
Je l'ai regardé sans comprendre :
— Impossible, je suis en train de lui écrire.

Je me suis souvent demandée ce que j'avais voulu dire. Rien d'autre que "je suis en train de lui écrire", je suppose. J'avais commencé une carte pour son anniversaire, le 17 septembre. Deux mois plus tard elle n'était toujours pas terminée.
Est-ce que je crois réellement que si j'avais envoyé cette carte, cela aurait changé quelque chose? (rupture d'anévrisme, imparable).

J'ai été bouleversée. J'avais l'impression d'avoir perdu mon double, une sorte de preuve ou d'épreuve de moi-même. Je n'avais personne à qui en parler, les personnes les plus proches étant celles qu'il faut le plus protéger de nos accès de désespoir (les moins proches étant indifférentes, il ne reste donc personne (l'un des avantages des blogs, comme de l'auto-stop : pouvoir écrire sans que ce soit ni important, ni indifférent)).

J'ai fait deux choses : j'ai acheté les séries disponibles de Six feet under dont j'avais entendues parler sur les blogs de Matoo et de Ron, et j'ai littéralement tagué le blog de Gvgvsse.

Je savais que H. n'approuverait pas que je regarde Six feet under. Je n'ai jamais su s'il craignait réellement que je devienne folle ou si ce n'était pour lui qu'une façon de parler. Il est vrai que je le crains parfois moi-même, mais je suppose que cela arrive à tout le monde (ou bien non? Comment savoir?) J'ai donc regardé tous les épisodes (deux ou trois séries disponibles, à l'époque) en cachette, quand il n'était pas là. Cela me berçait. La première série surtout s'attache beaucoup à l'accueil des personnes qui viennent de perdre un être cher. Je me suis noyée dans les épisodes, je les ai regardés des nuits entières. Ce téléfilm est magique, à un ou deux personnages près, je m'identifie à tous : comment un scénariste a-t-il réussi cela? Quelle connaissance de l'âme humaine cela demande-t-il? Je reste sidérée par cet exploit.

A Noël (2004), j'ai découvert le blog de Gv. Il (le blog) avait alors deux ans et demi. Pour des raisons inexplicables, tant sa forme que la part donnée à la nostalgie (il n'avait pas encore son métier d'agent secret, je crois, ou c'était juste le début (je ne vais pas vérifier)), au regret, à une certaine tristesse et à la bataille menée pour ne pas y céder, aux objets (le parquet, la salle de bain rose, le parapluie orange, les pattes de moustique, les docksides...), aux flambées d'allégresse, à la façon de parler de la mort, de la quête de l'amour, de la musique, une façon intime, "de l'intérieur", chaude, rassurante, je me suis profondément attachée à ce blog. Il n'y avait pas de "mouchard" (cette liste dans la marge qui dénonce les derniers commentaires), alors j'ai écrit tranquillement et intensivement. J'avais totalement oublié, ou négligé, qu'un blog est aussi un blogueur.
Plus tard j'ai eu honte.
J'ai encore honte.
Heureusement Gv n'a jamais paru trop m'en vouloir.

Et puis la douleur de la perte s'est estompée. Il ne reste que la sensation qu'une porte s'est fermée, que certains souvenirs sont désormais obsolètes, sans raison d'être. Il reste la sensation aiguë de l'irréversible et de l'urgence : faire ce qui nous passe par la tête même si ce n'est pas totalement raisonnable, même si cela "ne se fait pas", tant que c'est beau, bon ou joyeux : après tout quelle importance, nous sommes mortels.

Le catalogue de LA DEROUTE

Depuis que j'ai assisté au colloque "Plaisir, souffrance et sublimation", je suis régulièrement informée des vernissages, tables rondes et autres manifestations qui se tiennent à la librairie La Mauvaise Réputation à Bordeaux.

Ce soir, le message suivant m'attendait dans ma boîte mail :
Même nombre de pages, même format, même présentation graphique, à première vue, "La Déroute", catalogue pastiche réhabilitant les cités, ressemble à s'y méprendre à son "frère jumeau" de La Redoute, le leader français de la vente par correspondance. La ressemblance s'arrête là car ce "pavé" de 1236 pages et de près de deux kilos, réalisé par Simarik et par les 600 habitants du quartier réputé difficile d'Empalot à Toulouse, vise, loin de tout objectif commercial, une réhabilitation, par l'art, de l'image des cités. Le but de ce projet est "d'améliorer le regard que l'on porte sur les quartiers", explique Isabelle Tardiglio, directrice de l'association toulousaine "Entrez sans frapper", à l'origine de l?initiative, et qui avait déjà organisé en 2002 une exposition de portraits géants d'habitants d'Empalot sur les immeubles de la cité.

"Les médias mettent l'accent sur les choses négatives dans les quartiers. On parle essentiellement des voitures brûlées, des violences. J'ai voulu rectifier cela avec un pavé d'images, mettre l'accent sur les choses positives. C'est une oeuvre d'art collective, un véritable projet artistique plein de subtilités, créateur de lien social, qui dresse un portrait des habitants d'Empalot, à la manière de La Redoute, et montre un quartier pouvant s'apparenter à beaucoup d'autres en France et dans le monde. J'ai transformé le quartier en un grand studio tout au long de l'année". Simarik précise qu'il a pris un total de 22.000 photos des quelques 600 habitants de la cité d'Empalot, posant dans leur cadre de vie habituel, à la manière des mannequins de La Redoute proposant des articles à la vente. Le traitement des images et la mise en page ont été effectués par des bénévoles et par les habitants eux-mêmes, après initiation aux logiciels informatiques. De même, le "détournement" des slogans habituellement utilisés par le catalogue de La Redoute, a vu le jour au sein d'ateliers d'écriture.

"La Déroute n'est pas une critique de La Redoute, mais de la société actuelle", souligne Nicolas Simarik, qui ne cache pas que ce pastiche n'a guère été du goût de la société de vente à distance. "Au début, La Redoute était très intéressée par notre projet, qu'elle pensait peut-être pouvoir le récupérer. Elle nous a envoyé vingt exemplaires de son catalogue de juin 2005, qu'on a épluché, décortiqué pendant un mois. Et puis, on s'est rendu compte qu'elle n'acceptait pas ce décalage humoristique."
Les 650 habitants de la cité Empalot, co-auteurs du catalogue, qui a été tiré à 6.000 exemplaires et mis en vente dans les librairies au petit prix de 14 euros, sont venus nombreux à la fête organisée pour la sortie de La Déroute, dont ils ont reçu chacun un exemplaire gratuit.

Nicolas Simarik sera présent à la Mauvaise Réputation le vendredi 17 novembre à 18h pour une présentation exceptionnelle du très étonnant et très réussi catalogue « La Déroute ».




Plus je regarde les photos, plus les visages me plaisent.
Finalement, on n'est pas si loin de Kaurismäki.

PS : Simarik sera chez Florence Loewy 9 rue de Thorigny à Paris le 24 novembre à 18h30.

Les Lumières du faubourg

J'aime Aki Kaurismäki. Moi qui ne prends plus la peine d'aller au cinéma, je m'efforce de ne pas rater la sortie de ses films. Je suis donc allée voir Les Lumières du faubourg il y a dix jours.
J'attendais tranquillement ce qui allait s'en dire sur les quelques blogs que je lis. C'est simple : rien.
Alors je vais essayer.

Le plus grand problème que je rencontre quand j'essaie de penser à ce film pour mettre mes quelques idées en ordre, c'est que je n'arrive pas à y penser de façon isolée : je n'arrive à penser aux Lumières du faubourg que par rapport à deux autres films, La fille aux allumettes, du même Kaurismaki, et Dancer in the Dark, de Lars von Trier.
Cela m'a gêné pendant le visionnage du film, cela me gêne encore : on dirait que ce film, au moins dans ma tête, n'a pas d'existence propre, il est la version masculine de La fille aux allumettes. J'ai l'impression d'un tryptique : à la question "Est-il possible d'être sauvé ? " (ou : "l'amour peut-il nous sauver?"), La fille aux allumettes répond non, L'Homme sans passé répond oui, les Lumières du faubourg répond peut-être.
Mon malaise, ou ma légère déception, provient sans doute de ce fait tout simple : il est difficile de s'entendre répondre "peut-être" quand la réponse précédente était "oui"…

Quant au film lui-même, il me semble que c'est un Dancer in the Dark réussi: même noirceur, même exploitation du faible par le fort, même impossibilité, purement morale de la part du faible (qui trouve là sa grandeur) de se justifier, même condamnation sociale… Mais Kaurismäki, à la différence de von Trier, n'en rajoute pas, il fait ni dans le baroque ni dans le drame et tend strictement vers l'inverse, vers le moins d'effets : comment pourrais-je en montrer moins encore? s'interroge la caméra, les acteurs pourraient-ils parler moins, bouger moins, qu'est-ce qui est vraiment indispensable? s'interroge le réalisateur.

Les images et les histoires de Kaurismäki obéissent toujours à une logique implacable. Chaque image parvient à être une totale surprise et une totale évidence : si les histoires extrêmement épurées de Kaurismäki, à la limite de la caricature, demeurent si expressives et si plausibles, c'est qu'elles obéissent impeccablement à des lois d'enchaînement de causes à conséquences que nous connaissons parfaitement, de même que nous savons que nous ne voulons pas reconnaître que nous les connaissons (et que nous allons aussi au cinéma dans l'espoir que cela se passera différemment à l'écran que dans "la vraie vie" (et de temps en temps, oui, il y a un miracle, comme dans L'Homme sans passé (mais cela peut arriver aussi dans "la vraie vie") et d'autres fois, non, il n'y a pas de miracle, un prêt bancaire sans caution ne sera pas accepté, non, ce n'est pas gratuitement qu'une jolie petite blonde drague un minable, oui, le minable se fera casser la figure s'il cherche noise à trois gros musclés, etc), et tout le poignant des Lumières du faubourg, c'est que nous savons à l'avance tout ce qui va se passer, inéluctablement, et que nous passons le film à espérer que nous nous trompons.

Lorsque je pense à ce film, je pense au mot "politique" (c'était déjà le cas pour L'Homme sans passé), dans le sens fort et noble du terme — et c'est pour moi un émerveillement, il n'arrive pas souvent que j'associe noblesse et politique. Nous assistons à une démonstration qui dénonce autant les travers insupportables d'une société qu'elle illustre avec douceur et fatalisme les illusions, les forces et les faiblesses de la gent humaine.
Lorsque je pense à ce film, je me dis que Kaurismäki raconte aujourd'hui ce que racontaient Hugo ou Zola ou Eugène Sue il y a plus d'un siècle à leurs contemporains, il réactualise la critique sociale à travers l'œuvre d'art, sans mièvrerie, avec tendresse et dureté.


Il faut que je retourne voir ce film pour essayer de comprendre un détail : par quel miracle, quelle image, quelle expression, savons-nous (le spectateur sait-il) de façon certaine au bout de trois secondes que la vendeuse de saucisses est amoureuse du héros? Comment Kaurismäki nous le fait-il comprendre? Pourquoi cela m'a-t-il paru si évident?

Vingt-six titres pour une année

J'aime les jeux, les listes, les livres. Difficile dès lors de résister à une telle proposition (via Gilles Jobin, même si je sais qu'elle est suicidaire, car je vais bourrer (j'ai bourré) ma liste de tout ce que je ne prends jamais le temps de lire parce que c'est long ou compliqué (tout ne peut pas se lire par tranche de vingt minutes (je me rappelle à dix-sept ans avoir commencé La Critique de la Raison pure dans le RER, en me disant qu'il n'y avait pas de raison… C'était un Folio, je n'ai jamais dépassé la moitié de la deuxième page)) et que je ne tiendrai pas la distance.
D'un autre côté, je n'aime pas perdre un pari.

Le plus difficile à trouver ont été les lettres U et I (je n'en aurai plus pour 2008, à moins de retenir Uderzo malicieusement suggéré par C.), en revanche j'ai des A, B, K, M, en pagaille.
Tout provient de ma bibliothèque, sauf Don Quichotte et La Naissance de la tragédie. Ceux qui attendent depuis le plus longtemps sont sans doute les Updike et Inoué (1987?).
Le but de tout cela est de diminuer la "PAL", acronyme pour "pile à lire": cela m'amuse, donner un nom au phénomène des livres en retard, c'est l'institutionaliser.
  • Ian Rankin, Hide and Seek 13/01/2007
  • Sergueï Eisenstein, MLB, plongée dans le sein maternel 29/01/2007
  • Emmanuel Lévinas, Quatre lectures talmuldiques 06/07/2007
  • Witold Grombrowicz, Cours de philosophie en six heures et quart 08/08/2007
  • Virginia Woolf, Promenade au phare 20/08/2007
  • Qiu Xialong, Mort d'une héroïne rouge 22/08/2007
  • Yasushi Inoué, Le fusil de chasse 19/10/2007
  • * Eric Auerbach, Mimésis
  • * Yves Bonnefoy, Rome 1630
  • * Cervantès, Don Quichotte
  • * Dante, La Divine Comédie
  • * Finkielkraut-Sloterdjik, Les battements du monde
  • * Pierre Hadot, Wittgenstein et les limites du langage
  • * Henry James, Portrait of a Lady
  • * Reinhart Kosellek, Le Futur passé
  • * Stéphane Mallarmé
  • * Friedrich Nietzsche, Naissance de la tragédie
  • * Claude Orrieux, Histoire grecque
  • * Guy Petitdemange, Philosophes et philosophies du XXe siècle
  • * Pascal Quignard, La nuit et le silence
  • * Alain Steinsaltz, La Rose aux treize pétales
  • * Albert Thibaudet, La Poésie de Stéphane Mallarmé
  • * John Updike, The Centaur
  • * Vicomte de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations
  • * Frances A. Yates, L'Art de la mémoire
  • * Stéphane Zaganski, L'Impureté de Dieu
Mon entourage me fait remarquer fort désagréablement que c'est une façon stupide de choisir ses livres.
Dans l'absolu, c'est vrai, il serait ridicule de ne choisir un auteur qu'à cause de son initiale.
Mais si l'on considère que ces livres sont dans ma bilbliothèque depuis quelques jours ou quelques années, et donc destinés à être lus, la contrainte imposée par le "challenge 2007" n'est qu'une façon de s'obliger à faire un choix, et c'est ce qu'il me faut : il m'arrive si souvent de ne pas savoir quoi lire en regardant ma bibliothèque.
Oserai-je avouer que je me sens soulagée à l'idée de choisir parmi vingt-six (puisque l'ordre de lecture n'est pas imposé) plutôt que parmi tout ce qui traîne chez moi?


Note pour mémoire
C'est l'anniversaire de la chute du mur de Berlin. J'y pense toujours avec beaucoup d'émotion.
9/11, 11/9, deux dates qui ont changé le monde, comme le fait remarquer Thomas Friedman.

Regarder Adieu poulet

pour
  • Lino Ventura, Patrick Dewaere, Victor Lanoux
  • Dewaere allumant sa cigarette dans la voiture de son collègue ayant arrêté de fumer
  • le même collègue sur une civière demandant une cigarette
  • les voitures des années 70
  • le père qui dit son fait au politicien par mégaphone et commissaire interposés
  • le politicien faisant campagne dans l'hospice de vieillards (et l'accent de la nonne)
  • les vingt ans de Valérie Mairesse
  • — Et si j'ai envie de rêver, moi? […] — Vous allez en prendre plein la gueule! — Oui. — Ils vont vous écrabouiller. — Oui, mais j'vais marrer un bon coup, mon p'tit camarade, et à mon âge, y faut pas rater ça.
  • les grues merveilleuses au-dessus de la Seine
  • «Gâche pas mon plaisir, mon p'tit camarade, laisse-toi aller… Essaie d'en prendre un p'tit peu, toi aussi.»
  • la partie de billard à trois bandes avec le juge
  • Lino Ventura : «Il faudra que je vous raconte un jour tout ce que j'ai dû inventer pour faire correctement mon boulot de flic.»
  • la scène de la fin
  • les mots de la fin

Une tête de circonstance

Jeudi soir, RER. Ils montent au dernier moment, il n'y a plus de place, ils restent debout. Ils sont jeunes, quinze ou seize ans, et joyeux. Elle est petite, vive, souriante, les dents blanches, les cheveux et les yeux très noirs, il est café au lait, le visage tavelé, intimidé, visiblement heureux d'être là avec elle qui est jolie et parle tout le temps.
Je n'écoute pas mais j'entends, comme tous les voyageurs sur la plateforme. Peu à peu nous écouterons, nous sourirons.

— … une vraie geule d'enterrement !
— … (sourire interrogateur et embarrassé de qui ne comprend pas)
— Tu ne sais pas ce que c'est qu'une gueule d'enterrement ?
— Non, dit-il dans un souffle, sans perdre le sourire qui ne le quitte pas, mais gêné de son ignorance.
— Mais c'est facile à comprendre, quand même!
— …
— Quelle tête tu ferais à un enterrement ?
— …
Il secoue la tête, souriant, non vraiment, il ne sait pas. J'ai dans l'idée qu'elle l'éblouit trop pour qu'il réfléchisse. La plateforme sourit, nous pensons tous la même chose.
Elle éclate de rire :
(Incrédule) Tu ferais cette tête-là à un enterrement? (Moqueuse et définitive) Eh bien, je ne t'inviterai pas à mon enterrement !

La cuillère

I unlocked the medecine chest in the second bathroom, and out fluttered a message advising me that the slit for discarded safety blades was too full for use. I opened the icebox, and it warned me with a bark that 'no national specialities with odors hard to rid of' should be placed therein. I pulled out the middle drawer of the desk in the study ? and discoverd a catalogue raisonné of its meager contents which included an assortment of ashtrays, a damask paperknife (described as 'one ancient dagger brought by Mrs Goldsworth's father from the Orient'), and an old but unused pocket diary optimistically maturing there until its calendric correspondencies came round again. Among various detailed notices affixed to a special board in the pantry, such as plumbing instructions, dissertations on electricity, discourses on cactuses and so forth, I found the diet of the black cat that came with the house :
Mon, Wed, Fri : Liver
Tue,Thu,Sat: Fish
Sun: Ground meat
(All it got from me was milk and sardines; it was a likeable little creature but after a while its movements began to grate on my nerves and I farmed it out to Mrs Finley, the cleaning woman.) But perhaps the funniest note concemed the manipulations of the window curtains which had to be drawn in different ways at different hours to prevent the sun from getting at the upholstery. A description of the position of the sun, daily and seasonal, was given for the several windows, and if I had heeded all this I would have been kept as busy as a participant in a regatta. A footnote, however, generously suggested that instead of manning the curtains, I might prefer to stift and reshift out of sun range the more precious pieces of furniture (two embroidered armchairs and a heavy 'royal console') but should do it carefully lest I scratch the wall moldings. I cannot, alas, reproduce the meticulous schedule of these transposals but seem to recall that I was supposed to castle the long way before going to bed and the short way first thing in the morning. My dear Shade roared with laughter when I led him on a tour of inspection and had him find some of those bunny eggs for himself.

Vladimir Nabokov, Pale Fire, commentaire des v.47-48


Ce fut Aureliano qui conçut la formule grâce à laquelle ils allaient se défendre pendant des mois contre les pertes de mémoire. Il la découvrit par hasard. Expert en insomnie puisqu'il avait été l'un des premiers atteints, il avait appris à la perfection l'art de l'orfèvrerie. Un jour en cherchant la petite enclume qui lui servait à laminer les métaux, il ne se souvint plus de son nom. Son père le lui dit : «C'est un tas.» Aureliano écrivit le nom sur un morceau de papier qu'il colla à la base de la petite enclume : tas. Ainsi fut-il sûr de ne pas l'oublier à l'avenir. Il ne lui vint pas à l'idée que ce fût là un premier symptôme d'amnésie, parce que l'objet en question avait un nom facile à oublier. Pourtant, quelques jours plus tard, il s'aperçut qu'il éprouvait de la difficulté à se rappeler presque tous les objets du laboratoire. Alors il nota sur chacun d'eux leur nom respectif, de sorte qu'il lui suffirait de lire l'inscription pour pouvoir les identifier. Quand son père lui fit part de son inquiétude parce qu'il avait oublié jusqu'aux événements les plus marquants de son enfance, Aureliano lui expliqua sa méthode et José Arcadio Buendia la mit en pratique dans toute la maisonnée, et l'imposa plus tard à l'ensemble du village. Avec un badigeon trempé dans l'encre, il marqua chaque chose à son nom : table, chaise, horloge, porte, mur, lit, casserole. Il se rendit dans l'enclos et marqua les animaux comme les plantes : vache, bouc, cochon, poule, manioc, malanga, bananier. Peu à peu, étudiant les infinies ressources de l'oubli, il se rendit compte que le jour pourrait bien arriver où l'on reconnaîtrait chaque chose grâce à son inscription, mais où l'on ne se souviendrait plus de son usage. Il se fit alors plus explicite. L'écriteau qu'il suspendit au garrot de la vache fut un modèle de la manière dont les gens de Macondo entendaient lutter contre l'oubli : Voici la vache, il faut la traire tous les matins pour qu'elle produise du lait et le lait, il faut le faire bouillir pour le mélanger avec du café et obtenir du café au lait. Ainsi continuèrent-ils à vivre dans une réalité fuyante, momentanément retenue captive par les mots, mais qui ne manquerait pas de leur échapper sans retour dès qu'ils oublieraient le sens même de l'écriture.

Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, p.56 éd Points Seuil
Peu avant sa mort, ma grand-mère commença à distribuer ses biens, à répartir ses meubles et ses objets entre ses enfants et ses petits-enfants.
Un jour, elle me tendit une cuillère à soupe, longue, pointue, profonde, lourde et noircie, ce qui me fait penser qu'elle doit être en argent, même si ce qu'elle me dit alors rend cette supposition improbable :
— C'est le plus vieil objet de la maison. Elle appartenait au père de pépé, il a fait la campagne de Russie avec.

Je ne me souviens plus : a-t-elle parlé du père de mon grand-père ("le père de pépé") ou du grand-père de mon grand-père? Et qu'est-ce que la campagne de Russie? Cela avait forcément un autre sens pour elle, polonaise née en 1913, que pour moi. Je n'ai pas osé lui poser la question, l'instant était trop émouvant et elle m'avait prise par surprise.
Je regarde la cuillère. J'aimerais qu'elle sache parler, qu'elle me dise où elle est allée, dans quelles conditions, ce qu'elle a connu avec mon arrière-grand-père ou mon arrière-arrière-grand-père.
Je me dis qu'il n'y a que moi qui sache ce qu'elle est. Si je me fais écraser demain, si le ciel me tombe sur la tête, personne ne saura ce qu'est cette cuillère (et moi, je le sais déjà si peu). Parfois je songe qu'il faudrait que je rédige une petite notice, que je l'attache à la cuillère. Mais alors il faudrait en attacher à tant de choses, à tant d'objets usés, abîmés, sans importance, conservés parce qu'ils ont une histoire qui représente un poids de souvenirs, mes souvenirs.
Et je songe "à quoi bon", que valent des souvenirs transmis ainsi, artificiellement, sans une inscription (une ré-inscription, une nouvelle inscription) dans les souvenirs de la ou les générations suivantes? A quoi bon transformer la maison en musée, puisque tout est destiné à disparaître dans l'oubli, et que si tout ne disparaissait pas ainsi, nous serions bientôt noyés dans les souvenirs des autres, sans rien qui nous appartienne en propre?
Et je reste inquiète, à me demander ce que deviendront tous ces objets aimés quand il n'y aura plus personne pour les aimer.

Noumène

Lorsque comme jeudi, un inconnu qui m'est présenté me dit : «Je sais qui vous êtes», j'ai envie de lui répondre : «Vous en savez plus que moi, et cela m'intéresse : qui suis-je?» (mais je m'abstiens).

Hier

Longue journée hier : tout d'abord visite privilégiée avec guide individuel de la cathédrale de Chartres, visite malheureusement écourtée par l'action conjointe d'un suicide le matin et d'une Anglaise qui n'avait pas imaginé que son restaurant pût accueillir tant de clients le midi (la dernière cliente négociant âprement une assiette de soupe); redécouverte des longues robes romanes et des visages si doux, de la rosace et de l'obscurité particulière de cette cathédrale (je n'y étais pas venue depuis vingt ans, je pense). Commentaire suivi des vitraux et des statues, et comme toujours cette conviction qu'il serait bien temps que je relise la Bible.

Dormi profondément dans le train, remis une religieuse dans le droit chemin à la gare Montparnasse, mangé deux gâteaux au gingembre, arrivée vers sept heures à la galerie.

Je n'ai pas l'habitude de ce genre de manifestations, et pour tout dire, je les crains : je redoute le snobisme, le parisianisme (forme particulière de snobisme qui s'exprime surtout par des exclamations bruyantes de femmes, la particularité parisienne étant à mes oreilles le ton, l'accent, un côté poissonnière précieuse), les gens impolis qui se précipitent sur les cacahuètes et le kir, tout ce petit monde venu pour tout sauf pour les tableaux.
Donc j'y allais craintivement.

J'ai été enchantée. L'accrochage est très réussi, il y a une grande harmonie entre les proportions de la salle et celles des tableaux (ce n'est pas si simple, les tableaux étant souvent grands et la salle plutôt moyenne), l'alternance des tableaux sombres et clairs maintient la curiosité en éveil, et la salle (avant d'être pleine de monde) est suffisamment spacieuse pour permettre de prendre du recul devant les œuvres.
Les tableaux sont très bien choisis, très représentatifs. J'ai retrouvé les volcans sur un mur, impression de croiser de vieux amis, un peu triste de me dire que s'ils sont vendus, je ne les verrai plus.
Il n'y avait ni cacahuète ni kir ni grandes exclamations, les gens sont venus nombreux mais calmes, tranquilles, heureux d'être là. C'était bien.

Plus tard, chez Jean-Paul Marcheschi, le besoin de m'assoir m'a rapprochée d'une petite blonde qui s'est avérée être la responsable de la galerie. Nous avons parlé un peu d'art (enfin, surtout elle, il valait mieux!), elle me disait être effrayée par la façon dont la France, les Français, vivaient totalement repliés sur eux-mêmes en matière de peinture et n'avaient aucune idée de ce qui se faisait à l'étranger. Elle me parla avec admiration des Allemands, de leur culture artistique, de leur façon d'aller spontanément vers les tableaux «les plus durs, les plus forts».
Elle connaissait Jean-Paul Marcheschi depuis les années 1990, quand il exposait à la Fiac.
Je lui ai demandé si elle savait qui était la minuscule vieille dame entourée d'attentions assise au milieu de la pièce.
— Eh bien, vous savez peut-être que Jean-Paul a vécu longtemps avec un garçon qui est mort. C'est sa mère…
Je l'interrompis :
— Vous voulez dire que c'est la mère d'Oyosson?
— Euh oui, sans doute… Vous connaissez? La mère d'Oyosson… J'ai senti les larmes qui montaient, assise sur le canapé, à côté de cette inconnue à qui j'aurais bien été en peine d'expliquer mon émotion.
— Excusez-moi, je suis très émue… c'est très étrange, les livres, c'est comme si les personnes sortaient des pages… (Je me suis enfoncée dans une explication compliquée qui avait l'avantage d'éloigner l'émotionnel et nous avons changé de sujet.)

Equilibrisme

Hier, j'ai acheté des chaussures avec des talons de neuf centimètres.

Boire de la Guinness à Paris

Je n'arrive pas à trouver un site qui récapitule les bars qui servent de la Guinness à Paris.

Je vais commencer une liste, toute petite, que j'enrichirai.
1e arrondissement
Quigley's Point, 5 rue du Jour - 01 45 08 17 04 A disparu en 2018.
Un endroit pour une paix royale (je ne parle pas de silence, mais de serveurs absolument non-envahissants). Pratique pour donner des rendez-vous près des Halles (à condition d'aimer la Guinness): c'est juste en face de l'entrée de St-Eustache. Permet de grignoter, pas de prendre un vrai repas.

Carpe diem, 21 rue des Halles - 01 42 21 02 01 Toujours un très bon restaurant mais ne sert plus de Guinness depuis des années (2010?).
bar et restaurant
à essayer : le camembert au sirop d'érable. De façon générale, bonne cuisine. Musique souvent trop forte. Jeux d'échec.

Carr's, 1 rue du Mont Thabor - 01 42 60 60 26
bar et restaurant
Une déception. C'était autrefois un endroit irlandais "typique", avec feu de bois dans la cheminée l'hiver. Il est désormais tenu par un asiatique (marié à une Irlandaise? je n'ai pas très bien compris) Ils sont très gentils, mais la carte y a perdu, et le charme aussi.

Hall's Beer, 68 rue Saint-Denis, 75001 Paris - 01 42 36 92 72
bar et restaurant
Honnête.

2e arrondissement
Kitty O'Shea's, 10 rue des Capucines - 01 40 15 08 08
brasserie restaurant
fabriquait autrefois un excellent pain, malheureusement abandonné. Cuisine en baisse.

4e arrondissement
The Auld Alliance Pub, 80 rue François Miron - 01 48 04 30 40
pub écossais fermé le midi en semaine. Les murs racontent l'histoire de l'alliance franco-écossaise depuis plusieurs siècles (je ne me souviens plus des dates…)
Mon deuxième préféré.

5e arrondissement
La Taverne de Cluny, 51 rue de la Harpe - 01 43 54 28 88
étonnant de trouver un bar d'habitués à deux pas de la folie touristique.

Connolly's Corner, 12 rue Mirbel - 01 43 36 55 40
Petit, décoration à base de cravates et de tonneaux, balades irlandaises.

8e arrondissement
Le Bugsy's, 15 rue Montalivet - 01 42 68 18 44
bar et restaurant
à essayer : les beignets de brie. Photos des années 30 (prohibition), géniale photo dans les toilettes des femmes (un homme en costume et cravate sur la plage vérifiant avec un double centimètre la conformité de la distance entre le bas du maillot de bain et le genou dénudé d'une baigneuse).
Celui que je fréquente le plus régulièrement actuellement.

Le Week End, 3 rue Washington - 01 45 63 45 49
bar et restaurant
à trente mètres des Champs-Elysées, une ambiance de café de quartier le matin, une cuisine simple et soignée. Chaudement recommandé pour déjeuner simplement quand on est sur les Champs.

9e arrondissement
Au General La Fayette, 52 rue La Fayette - 01 47 70 59 08
brasserie

Molly Malone Lounge Bar, 21 rue Godot de Mauroy - 01 47 42 07 77
bar café
tout petit, une façade de bar à putes (d'ailleurs il y en a encore quelques unes dans la rue). Idéal pour rendez-vous discret.

13e arrondissement
Le Bistrot Irlandais, 15 rue de la Santé - 01 47 07 07 45 N'existe plus depuis 2012, 2014?
restaurant
excellent restaurant, et patrons adorables (au début de leur installation, ne prenant pas la carte bleue, ils vous donnaient une enveloppe pour leur envoyer un chèque quand vous n'aviez pas d'autre moyen de paiement).

17e arrondissement
The James Joyce Pub, 71 Boulevard Gouvion-Saint-Cyr - 01 44 09 70 32


Boire de la Guinness en banlieue
Neuilly
St John 's Pub, 188, avenue Charles de Gaulles à Neuilly/Seine - 01 46 24 59 90
Un intérieur comme je les aime, sombre avec du parquet et des maillots de rugby. Ompniprésence d'écrans de télévision tous branchés sur la même chaîne de sport. Cuisine irlandaise.


Boire de la Guinness en province
Loire Atlantique
Café Le Transat, 7 rue Keroman à Piriac-sur-Mer (44420) - 02 40 23 62 10

Dites-moi que ce n'est pas vrai

Il me semble — j'espère me tromper — qu'un nouveau seuil a été franchi dans l'incivilisation, dans l'inculture militante, dans l'imbécillité triomphante. Le Loft des années récentes a fait beaucoup de petits, qui par comparaison lui donnent à peu près l'allure d'une séance du jeudi à l'Académie française. En ce début d'été tout est Loft et sous-Loft, sur le petit écran. Ce qui me frappe c'est que l'état de délabrement, qui paraît avoir atteint son échelon ultime (mais on ne sait jamais), n'est pas seulement intellectuel, il est aussi moral : l'un ayant toujours impliqué l'autre, bien entendu; mais il me semble que jusqu'à présent ce n'était pas évident à ce point-là.

Renaud Camus, ''Rannoch Moor (journal 2003)'', p.346
Dans cette remarque camusienne, l'immoralité vient en dernier lieu, ce qui ne laisse pas de me surprendre.
En effet, il m'a toujours semblé qu'elle était le ressort quasi unique de ces jeux et concours (le Loft, Greg le millionnaire, Koh-Lanta, l'île de la tentation, la ferme des célébrités, Star académie, le maillon faible, qu'est-ce que j'oublie?) C'est l'immoralité de ces jeux et mises en scène divers qui m'a choquée dès le début. Ce n'est pas la bêtise ou l'inculture ou la vulgarité des candidats que je trouvais (que je trouve) navrantes, puisqu'aussi bien ils étaient choisis précisément selon ces critères, c'est que des personnes plus intelligentes qu'eux (mais pas nécessairement moins vulgaires), les organisateurs, les producteurs, aient pu inventer des jeux aussi imbéciles ou dégradants, aient pu délibérément humilier, avec leur consentement —et qu'ils aient eu un trop petit Q.I. pour se sentir humiliés rend-elle la chose plus ou moins cruelle?—, des jeunes gens ou des adultes pas bien malins, prêts à tout pour un quart d'heure de gloire ou quelques milliers d'euros, et faire rire d'eux ou s'identifier à eux ou faire rêver d'être à leur place (quel est le pire?) des milliers de téléspectateurs.

A-t-on jamais réfléchi par exemple au mécanisme très particulier du "maillon faible", où il importe d'éliminer non seulement les mauvais, les boulets, mais aussi, de façon plus subtile, les bons, les meilleurs que soi? Il s'agit de rester entre médiocres, dans une médiocrité juste assez brillante pour flairer le danger que représentent les candidats meilleurs que soi, dans une médiocrité moyenne entre médiocres moyens. L'immoralité, ici, vient du fait que l'excellence n'est ni reconnue, ni récompensée, ni désirable. Elle devient une tare. L'immoralité du "maillon faible", à mes yeux le plus immoral de tous ces jeux, est qu'elle habitue les téléspectateurs à considérer la supériorité intellectuelle, culturelle ou morale comme un danger: nous allons perdre si nous laissons des gens avec davantage de connaissances et de compétences vivre parmi nous.

Je songeais à tout cela en regardant grâce à par la faute de Tlön Ségolène Royal se déclarer candidate à la présidence de la République.
Je ne l'avais jamais vue à la télévision, jamais entendue, avant dimanche; je ne connaissais d'elle que des photos, des phrases, et les commentaires goguenards qu'elle suscite régulièrement. Sans bien comprendre l'engouement dont elle est l'objet depuis le printemps, j'imaginais qu'elle avait une voix, une présence, un certain charisme, quelque chose d'inexplicable qui aurait expliqué pourquoi tant de gens l'aimaient.
J'imaginais qu'il y avait une raison, irrationnelle certes, mais une raison.
Une fois de plus j'étais naïve.
Elle parle mal, son débit est haché, elle se tortille et se balance, elle dit des phrases incompréhensibles, elle apostrophe Jean-Noël (mais qui est-ce?), se réjouit des foules "sentimentales et joyeuses"… Je n'arrive pas à y croire. Dites-moi que ce n'est pas vrai, comment cela est-il possible?

Finalement je crois avoir compris. Les Français, tout au moins un nombre important d'entre eux, sont en train de choisir leur candidat préféré à la Star'Ac. Ils ont éliminé les bons, les mauvais, ont conservé un candidat médiocre, comme on leur a appris à le faire depuis quelques années.
Il faudrait peut-être leur rappeler ou leur apprendre qu'ils ne sont pas en train de choisir quelqu'un pour six mois qui enregistrera un disque ou gagnera cent mille euros, mais quelqu'un qui sera président cinq ans et exercera de très lourdes responsabilités en politique intérieure comme extérieure.

Je suis très inquiète, depuis dimanche. Je viens juste de prendre la mesure des dégâts.

Note pour moi-même

Si j'aime la littérature et me défie de la philosophie et du droit malgré leurs attraits intellectuels, c'est qu'il me semble que la littérature n'a pas l'intention ou la prétention d'influer sur le monde, tandis que les belles constructions philosophiques et juridiques finissent un jour par provoquer des catastrophes, une fois qu'elles ont imbibé les différentes strates du réel.

Je me défie des systèmes et des utopies, ce qui garantit que le monde soit vivable, c'est son imperfection-même.

Les gommes

J'ai tendance à dire un petit peu trop ce que je pense (trop vite, trop tôt, problème de timing davantage que de fond (parce qu'après tout, le fond, hein, autant savoir à quoi s'en tenir)), et je suis heureuse d'avoir des amies qui me battent sur ce terrain.

J'aime beaucoup le très sobre «Non merci, je ne bois que de l'excellent vin» de A., refusant par ces mots un verre lors d'un dîner chez des amis. (Elle voulait dire, bien sûr, qu'elle ne faisait d'exception à sa sobriété coutumière que si une bouteille rare attisait sa curiosité.)

Le récit de Matoo m'a rappelé Florence. Nous avons quelques années d'écart, et tandis qu'elle passait ses premiers entretiens d'embauche, j'avais déjà un peu d'expérience et savais que lorsqu'on a vraiment besoin de travailler, il vaut mieux fermer sa gu…

Elle avait passé plusieurs entretiens dans de grandes banques pour travailler à l'international, et elle jugeait froidement les méthodes quelquefois puériles des recruteurs. Ce jugement, elle l'exprimait devant moi, mais également en entretien, ce qui était plus risqué.
Un jour, elle s'emballa devant un recruteur :
— Tout de même, ces tests, c'est n'importe quoi! De la graphologie à l'astrologie, les entreprises ne savent plus quoi inventer. Il y a même une banque — c'est arrivé à une amie — qui demande de raconter la vie d'une gomme !
— Oui, Mademoiselle, c'est nous, et j'allais vous le demander, répondit le recruteur penaud.

Transes

Je viens de terminer trois jours de "formation", sur un sujet tellement pipeau que je n'ose l'évoquer ici (de l'art de perdre son temps et d'enfoncer les portes ouvertes).
Mais bon, un animateur, six autres cobayes, chacun extrêmement poli, courtois, aimable, et même intéressant, quand il parlait de son expérience et non du sujet du stage.

Le problème, c'est que je dors. Si j'aime My own private Idaho, c'est aussi à cause des catalepsies du héros. Dès que j'arrête de bouger, de parler, de m'activer, je dors. J'ai parfois l'impression d'ouvrir la fenêtre et de planer comme le personnage de Folon, d'autres fois de tomber dans un puits, mais dans tous les cas, je m'évade du réel, je suis ailleurs.
Ce n'est pas de la rêverie, je dors réellement, si je garde les yeux ouverts (dans un ultime sursaut de politesse, comme durant ces trois jours), ils se révulsent, ils deviennent blancs (j'ai recueilli des témoignages), je peux ronfler (horreur et malédiction), je peux tomber (debout dans un train, c'est arrivé une fois). Je peux dormir en marchant, j'ai un témoin, il m'a rattrapée alors que je partais dans le fossé (marche de nuit, Paris-Mantes, 52 ou 54 km je ne sais plus).

Imaginez le supplice pendant trois jours, sept dans une salle, les tables en U, moi presque en face de l'animateur. Je lutte comme je peux, je me mords les doigts, je m'assois à l'extrême bord de ma chaise, je m'agite (on dirait que j'ai six ans). Et je dors.
Si ce n'était le fait que ce n'est absolument pas prévu par la vie sociale, j'adore ça.
Je ne tombe pas dans le sommeil, mais immédiatement dans le rêve, et pas dans un rêve léger qui mélangerait songe et réalité, comme dans les périodes d'endormissement ou de réveil : non, un rêve très lourd, épais, insaisissable, un autre monde, dont je ne me souviens pas et qui ne laisse ses marques que sur mon humeur : tristesse, colère, désespoir, apaisement, silence, calme, solitude (jamais joie ou rire).
Comme durant ces trois jours je lisais par ailleurs Roland furieux, mes rêves me laissaient une impression d'étoffes riches, de velours rouge sombre et de galop de chevaux, de fuites et poursuites dans les forêts, quand j'émergeais entre deux transparents powerpoint, entre deux phrases…

Est-ce que cela se voit, est-ce que cela s'est vu ? Un peu, beaucoup ? Comme c'est malgré tout très gênant et irrépressible, je préviens en riant, sans insister, au premier déjeuner pris ensemble : «Oh là là, je vais encore dormir cette après-midi !»
Sourires polis et bienveillants.
Je croise des regards l'après-midi, un visage qui mime l'endormissement en souriant : bon, donc je viens de dormir et cela s'est vu. Car je n'ai aucun moyen de savoir moi-même ce qui se passe, ce que je fais, combien de temps ça dure, quelques secondes, une, dix, trente? Plus? (Non, ce n'est pas possible que ce soit plus. Ou bien si?)

J'ai lu un jour qu'il fallait sept minutes pour s'endormir. Je pense pouvoir m'endormir en trente secondes, une minute.

C'est tout de même très gênant. J'espère ne pas avoir été trop impolie, j'espère que mon impression d'avoir passé des heures entières à lutter contre le sommeil est fausse, que ce n'était que quelques minutes et que mon embarras me fait gonfler ces minutes.
Mais je ne peux en être sûre.

Who rules China ?

En faisant un peu de ménage dans ma messagerie ce matin, je retrouve ce dialogue, reçu en novembre 2002.

We take you now to the Oval Office.

George: Condi! Nice to see you. What's happening?
Condi: Sir, I have the report here about the new leader of China.
George: Great. Lay it on me.
Condi: Hu is the new leader of China.
George: That's what I want to know.
Condi: That's what I'm telling you.
George: That's what I'm asking you. Who is the new leader of China?
Condi: Yes.
George: I mean the fellow's name.
Condi: Hu.
George: The guy in China.
Condi: Hu.
George: The new leader of China.
Condi: Hu.
George: The Chinaman!
Condi: Hu is leading China.
George: Now whaddya' asking me for?
Condi: I'm telling you Hu is leading China.
George: Well, I'm asking you. Who is leading China?
Condi: That's the man's name.
George: That's who's name?
Condi: Yes.
George: Will you or will you not tell me the name of the new leader of China?
Condi: Yes, sir.
George: Yassir? Yassir Arafat is in China? I thought he was in the Middle East.
Condi: That's correct.
George: Then who is in China?
Condi: Yes, sir.
George: Yassir is in China?
Condi: No, sir.
George: Then who is?
Condi: Yes, sir.
George: Yassir?
Condi: No, sir.
George: Look, Condi. I need to know the name of the new leader of China. Get me the Secretary General of the U.N. on the phone.
Condi: Kofi?
George: No, thanks.
Condi: You want Kofi?
George: No.
Condi: You don't want Kofi.
George: No. But now that you mention it, I could use a glass of milk. And then get me the U.N.
Condi: Yes, sir.
George: Not Yassir! The guy at the U.N.
Condi: Kofi?
George: Milk! Will you please make the call?
Condi: And call who?
George: Who is the guy at the U.N?
Condi: Hu is the guy in China.
George: Will you stay out of China?!
Condi: Yes, sir.
George: And stay out of the Middle East! Just get me the guy at the U.N.
Condi: Kofi.
George: All right! With cream and two sugars. Now get on the phone.

(Condi picks up the phone.)
Condi: Rice, here. George: Rice? Good idea. And a couple of egg rolls, too. Maybe we should send some to the guy in China. And the Middle East. Can you get Chinese food in the Middle East?

Lucia di Lammermoor

La mise en scène est terrifiante ou stupide, si la chanteuse s'en sort sans une entorse ou une fracture avant la fin des représentations, ce sera un miracle.
Elle chante magnifiquement, pourquoi lui demander de courir, de traîner des cordes, de faire de la poutre? C'est un test, une épreuve pour Intervilles?
Heureusement, elle chante magnifiquement, et l'on finit par oublier tout le reste.

J'ai pleuré comme une Madeleine.


(— Mais c'est idiot, elle n'avait qu'à se sauver et à épouser qui elle voulait.
— Ma chérie, les tragédies sont toujours très bêtes, il suffirait de ne pas se préoccuper de son devoir, de sa famille ou de sa patrie, pour qu'il n'y ait pas de tragédie. C'est d'ailleurs pour cela qu'il n'y a plus de tragédie. Tu comprends?
Elle n'a pas l'air convaincue.)


ajout le 14 décembre 2009
Trois ans plus tard, mon fils se souvient surtout que je me suis exclamée à un moment de la mise en scène: «Mais ils forniquent dans la brouette!»

A la mémoire de D.

Cela s'est presque passé comme pour tout le monde. Je décrochai le téléphone qui sonnait et dit à H. :
— Ne dis rien, je sais ce qui se passe.
— Hein ? Mais comment es-tu au courant ?
— Tu plaisantes, tout le monde est au courant.
— Tu sais que le frère d'E. est mort ?

D. avait fait une crise cardiaque en février. Il est mort en septembre, à trente-six ans, sans être sorti du coma. C'était le frère vrai jumeau de notre ami E., chez qui nous passons souvent une semaine l'été, dans le Dauphiné.

Un soir que nous discutions des différences et ressemblances entre vrais jumeaux, E. nous livra l'observation suivante : « Nous n'avions pas forcément le mêmes goûts. Par exemple, il arrivait souvent qu'on soit d'avis opposé sur un film; mais lorsqu'on étudiait ce qui nous faisait l'aimer ou le détester, on s'apercevait que c'étaient les mêmes raisons qui nous menaient à des conclusions différentes. »
Et il conclut : « Nous sommes bien plus prédéterminés que nous le pensons.»


Laissez-moi vous confier le soulagement de voir E. revenir, cette année seulement, lentement, à une vie normale.
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