Billets qui ont 'Agadir' comme ville.

Sainte-Anne

En faisant quelques recherches ce soir je tombe sur cela et j'ai honte: m'être réjouie que Charlie soit courageux pour qu'il se fasse assassiner deux ans plus tard… Avons-nous le droit de conseiller à qui que ce soit d'être courageux, si ce n'est à nous-mêmes?

Ce soir, je recherchais un billet que je n'ai pas mis en ligne. Il y a eu en septembre 2012 (pour la x-ième fois, la première fois remontant à 2005 au Danemark) des remous à cause de caricatures de Mahomet; sans doute y a-t-il eu des discussions autour du voile et de la laïcité ensuite, toujours est-il qu'en faisant des recherches sur internet j'étais tombée, je m'en souviens bien, sur des discussions très intéressantes sur un forum suisse (avec troll, mais un seul, ce qui est exceptionnel sur un tel sujet. Vive les Suisses.)

A l'époque, j'avais eu l'intention d'en faire un billet. J'en avais écrit le titre mais je ne l'ai jamais mis en ligne. Je l'ai retrouvé, c'était un billet daté du 6 novembre 20121.
Je ne l'ai pas mis en ligne car de fil en aiguille, j'avais eu la curiosité de chercher une photo de "mon" église, celle où j'ai fait ma communion et suivi mes premiers cours de catéchisme: Sainte-Anne à Agadir.

Et j'avais trouvé cela, qui m'avait fait froid dans le dos.
Et dans une attitude très "ne désespérons pas Billancourt" (septembre 2012, nous tâchions de comprendre ce qui allait sortir du printemps arabe qui s'enlisait après l'enthousiasme initial du printemps 20112), je n'avais pas posté cette photo et pas écrit de billet (aujourd'hui je le regrette car je n'ai plus de traces sur le vif de ce qui se passait et de ce que je pensais alors, juste des souvenirs flous).




Que se passait-il sur cette photo? Pourquoi? Elle datait de 2004, comment cela était-il possible? Les catholiques étaient-ils menacés en 2004 au Maroc? Les militaires assuraient-ils leur sécurité? Incroyable.
J'ai refusé d'y croire.

J'ai suivi le cours sur l'islam à l'ICP en janvier 2013 et en mars 2013, j'ai découvert en feuilletant L'islam que j'aime, l'islam qui m'inquiète que Tareq Oubrou était allé en maternelle chez les sœurs à Sainte-Anne. J'ai acheté le livre.


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Agenda
C'est officiellement l'automne : première sortie en collant et manches longues.
Quatre sans Ena 2. Moi à la nage, Tudal, Olivier, Marc. Deux tours de l'île.



Notes
1 : Si vous regardez l'adresse du billet, vous verrez qu'il porte le numéro 2386. Cela permet de savoir quand il a été créé: je détruis rarement les billets que je ne mets pas en ligne; soit ils restent dans les limbes; soit je les réutilise à une autre date.
2 : En avril 2012 RC avait appelé à voté Le Pen, en septembre j'écrivais de ce que je pensais de sa hiérarchie des priorités dans un billet sur la SLRC, billet qu'en janvier 2013 Rémi allait faire censurer dans le silence — et l'approbation? je n'y étais pas, je ne sais pas — des membres de la SLRC3. Période douloureuse et inquiète que toute cette étendue de temps, sentiments ou sensations que je ne sais pas, je ne veux pas, exprimer sur le moment — et qui se perdent, et que je perds, plus tard.
C'est étrange de se dire qu'on écrit tous les jours, et que pourtant l'essentiel n'y est pas — ce qui compte vraiment n'y est pas, la colère, la tristesse, l'angoisse, n'y sont pas. (Les émotions positives y sont davantages (smiley).)
J'ai entrepris de reprendre mes billets pour les passer en format html (au lieu de wiki), j'en profite pour les annoter le cas échéant, pour ajouter les commentaires amers ou les explications gardées en brouillon à l'époque.
Mais parfois je ne me souviens de rien. Ce n'était pas si grave finalement.
3 : Cette censure m'a causé un chagrin et une crise de misanthropie si violents que j'ai fermé FB en mettant cela sur le compte du besoin de travailler (mes cours), ne voulant pas me donner le ridicule de croire que cela pouvait affecter qui que ce soit. Je me rends compte aujourd'hui que durant cette absence de FB se sont développées des haines entre des gens que je pensais amis, haines que j'ai du mal à prendre en compte pour ne pas en avoir vécu la naissance et l'évolution.

Mon histoire juive

C'est un billet que j'avais l'intention d'écrire depuis longtemps, en général l'idée et le désir m'en viennent l'été quand je me dis que j'ai le temps. Puis je me dis que c'est ridicule et sentimental et j'abandonne.

C'est un billet que j'avais l'intention d'écrire depuis longtemps parce que je ne comprends pas la notion d'antisémitisme. Par "je ne la comprends pas", je veux dire que je ne la ressens pas.
Par conséquence je ne comprends pas non plus ce que je peux faire pour "lutter contre l'antisémitisme". Un noir, un jaune, un arabe, je les identifie visuellement. Mais un juif? A moins qu'il ne l'affiche, je ne vois pas comment je pourrais le savoir. Et je trouve étrange de faire "particulièrement" attention à quelqu'un à cause de ce genre de critères (sauf que je le fais — quand celui qui fait la manche dans le métro a de la barbe et un sarouel et que je lui donne un peu plus parce que je me dis que personne ne va lui donner. Discrimination positive. Je n'aime pas beaucoup la discrimination positive. Mon fond républicain s'y oppose spontanément. Ce n'est ni justice ni égalité de droit. C'est une compensation de "perte de chance", une notion qui me semble relever davantage du droit anglo-saxon que du droit romain.)

Première partie - J'ai grandi au Maroc jusqu'au CE2 (juin 1975 - j'en parle de temps en temps: l'autre raison de ne pas écrire ce billet est que j'ai l'impression de radoter). Pour des raisons de voisinage, je crois (plus je grandis moins c'est clair, chaque fois que je pose une question j'obtiens une réponse qui apporte un éclairage différent), je suis entrée en maternelle à l'école juive d'Ag*dir, j'y ai appris à lire, dans la classe de CP en balcon au dessus de la salle de prière (je ne sais pas quel mot convient. Ce serait sans doute l'équivalent d'une chapelle dans une école catholique. Etait-ce davantage, cela servait-il de synagogue?) J'avais quatre ans (deux ans d'avance), je ne comprenais pas ce qu'était cette salle dans laquelle nous n'avions pas le droit d'entrer (parfois les portes immenses étaient ouvertes et je glissais furtivement un œil en ayant l'impression de commettre un sacrilège — j'en rêve parfois), si haute de plafond que la classe en mezzanine était sans doute destinée à ne pas perdre d'espace.

Ma meilleure amie, Carole, était juive (nous discutions en classe, je me souviens qu'un jour, suite à une de mes phrases, elle m'avait expliqué gravement que "pieds" était une partie du corps qu'il ne fallait pas désigner chez eux, que c'était aussi sale que "fesse" pour nous — je n'ai jamais vérifié cette assertion depuis, mais j'y pense lors du lavage de pieds par Jésus dans l'évangile de Jean), il me semble que Natacha ne l'était pas (n'ai-je pas le vague souvenir qu'elle a fait sa première communion avant moi, car plus âgée?) Plus tard j'eus une autre amie dans une autre école, Arielle, que j'aimais beaucoup; secrètement je m'étais dit que j'appellerais ainsi ma fille si un jour j'en avais une (puis à vingt ans un ami me dit que cela faisait lessive (et Timothée shampoing) et c'est ainsi que mes enfants ne s'appellent ni Timothée ni Arielle.).

Carole venait chez nous, j'allais chez Carole. Son père devait travailler dans l'import-export1, il y avait dans la cour un immense entrepôt de caroubes que j'aimais escalader (oui, grimper sur ou dans le tas de caroubes qui atteignait presque le toit). Je croquais parfois dans une gousse, c'était sec, dur, avec un goût de caoutchouc brûlé dont je ne pouvais décider si je l'aimais ou pas. J'ai vu aussi une fois, sans doute quand le père de Carole faisait visiter l'usine à mes parents, un tapis roulant sur lequel défilaient des amandes décortiquées: il s'agissait pour les ouvrières de trier les amandes amères (je n'ai toujours pas compris à quoi elles étaient reconnaissables, mais j'y pense quand je tombe sur une amande amère — mais aujourd'hui cela n'arrive quasiment jamais: pourquoi?)

C'est chez elle que j'ai vu et mangé ma première grenade (entièrement égrénée par les soins de la Fatim, c'était si beau, ce rouge mouillé) et un Astérix en latin (stupéfaction). Un soir où j'étais restée dîner, j'assistai à une cérémonie solennelle où une coupe passait de main en main et à laquelle je fus invitée à boire moi aussi. Je m'étais sentie très fière et très honorée. Ce n'est que des années plus tard que je compris qu'il s'agissait sans doute d'un rite du sabbat.

Parfois c'était l'inverse, Carole restait chez nous. Je me souviens qu'un jour Carole s'était fait gronder par sa mère quand celle-ci avait appris que sa fille avait refusé du lapin: leur règle d'éducation était de manger ce qui était présenté s'ils n'étaient pas chez eux ou entre eux. (Je me souviens qu'à cette occasion mes parents avaient appris que les juifs ne mangeaient pas de lapin: "sabot fendu", dit le Lévitique (c'est sans doute dans le le Lévitique), que je lus douze ans plus tard). Je me souviens de conversations entre parents, notamment que les X. possédaient deux passeports, un pour les pays arabes et un pour Israël (ce que je ne compris que beaucoup, beaucoup, plus tard, en apprenant que les pays arabes refusaient les passeports tamponnés par Israël (je ne sais pas si c'est toujours le cas)).

Un jour, je posai la question à mes parents: «Qu'est-ce que c'est, un juif?» (Je n'ai posé que trois questions à mes parents, celle-ci est l'une des trois.) Réponse: «ce sont des gens qui ne croient pas que Jésus est le Fils de Dieu, ils attendent encore un Sauveur».
Ah. C'était clair (j'allais au catéchisme et ma foi avait été immédiate), c'était curieux mais parfaitement compréhensible: après tout, l'Evangile était plein de gens qui refusaient de suivre Jésus parce qu'ils ne le croyaient pas. Ils attendaient encore: c'était énigmatique et très intéressant, j'essayais d'imaginer l'attente.

Nous rentrâmes du Maroc, j'écrivis à Carole jusqu'en cinquième. Elle me dit qu'elle aimait beaucoup La brute de Guy des Cars; j'empruntai le livre, le trouvai mauvais et j'arrêtai d'écrire à Carole. (Mais quelle snobe j'étais!) (Plus tard, par ma mère qui revit la sienne en retournant à Ag*dir, j'appris qu'elle avait épousé à Paris le fils d'un rabin de stricte obédience qui passait son temps à servir de chauffeur à son père qui ne voulait pas conduire. Elle a divorcé quand son fils avait deux ans (fils du même âge que mon aîné).)

Fin de la première partie. Intermède.
Je lis Un sac de billes avec obéissance sans comprendre le nœud de l'affaire, sans comprendre qu'être juif vous valait d'être pourchassé, je lis le Journal d'Anne Franck sans comprendre pourquoi les profs s'esbaudissaient, s'il suffisait d'écrire "Cher journal" dans un cahier, je pouvais en faire autant (il faudrait que je le relise aujourd'hui.)
En quatrième, je découvre les camps de déportation en lisant Christian Bernadac, prêtée par une fille de la classe qui devait sa douloureuse popularité au fait d'avoir un an de retard et d'avoir perdu son père en cinquième dans un accident de mobylette sur le pont de Blois alors qu'elle était déjà orpheline de mère. Elle faisait partie de ces cancres prestigieux paraissant plus mûrs que les autres — et surtout que moi, la grosse tête avec un an d'avance qui aurait tant aimé voir autre chose que de l'indifférence dans ses yeux — donc je lisais Bernadac, Les mannequins nus, les camps de femmes et les expériences médicales. Mais ce sont des livres qui parlent surtout des résistants et des prisonniers politiques.
Conséquence secondaire: j'arrête de travailler l'allemand alors que j'étais excellente dans cette matière. (En terminale, je prendrai l'anglais en première langue alors que je ne l'ai jamais maîtrisé.)

Cette même année, 1979, Holocauste est diffusé. Le mardi, mes parents nous laissent seules, ils vont jouer (apprendre à jouer) au bridge. Nous restions seules pour regarder la télé, avec autorisation de nous coucher tard puisqu'il n'y avait pas école le lendemain. La seule interdicition que j'eus concerna Holocauste: il ne fallait pas regarder cela. Il y avait des choses qu'il était inutile de remuer fut à peu près l'explication que j'obtins quand je demandai la raison de cette interdiction.
Bizarrement je la respectai. Enfin, ce n'était peut-être pas si bizarre: j'en entendais parler à la radio et je me souviens d'une scène de viol dans un appartement: je suppose que j'ai dû essayer de regarder une fois et décider de respecter l'interdiction.

En terminale, un jour que le prof de philo était absent, j'allai seule voir mon premier film en salle qui n'était pas un Disney (je n'avais pas dû aller au cinéma depuis mes dix ans): Au nom de tous les miens. Je ne sais plus expliquer pourquoi. En avait-on parlé à la radio? Etait-ce parce qu'une autre amie de collège, perdue de vue depuis, ne jurait que par ce livre? Toujours est-il que je fus frappée par le ghetto de Varsovie, par les gâteaux donnés aux enfants mourant de faim, par l'arrivée au camp, les suicides de la première nuit et l'évasion, mais je n'en tirais toujours pas l'idée générale de l'antisémitisme, je ne voyais que la confirmation que les nazis étaient monstrueux.

Deuxième partie. Il fallut attendre la claque de Shoah, les deux séances de quatre et cinq heures dans une salle du 15e et la marche dans Paris jusqu'à mon internat du 5e, dans l'incapacité de prendre le métro, marche destinée à absorber le choc (et les visages polonais me rappelant mon grand-père faisaient partie de ce choc) pour que la haine du juif prenne corps pour moi.
La démonstration centrale du film était simple: il n'y avait pas de rapport entre un camp de concentration et un camp d'extermination. De l'un il pouvait arriver qu'on sortît vivant, dans l'autre on était mort trois heures plus tard.
Hilberg expliquait l'évolution de deux mile ans d'histoire: «Vous ne pouvez pas vivre parmi nous en tant que Juifs; vous ne pouvez pas vivre parmi nous; vous ne pouvez pas vivre.»
Je me mis à lire, beaucoup, mêlant témoignages et ouvrages plus théoriques. Le Hilberg quand il sortit en français (été 1988) (puis une deuxième fois, plus tard), Poliakov, Rudnicki, Primo Levi, Buber-Neumann, Aranka Siegal, Todorov, Pressac, Rudolf Hoess, Gitta Sereny, le livre noir de Grossman et Ehrenbourg,… jusqu'à ce qu'Hervé me demande un jour si ce n'était pas une obsession morbide et malsaine.
Je ne savais pas répondre à cette question, mais elle m'inquiéta: et s'il avait raison, si toutes ces lectures relevaient d'une jouissance maladive et sadique? Je n'en savais rien mais je ne voulus pas, par respect, prendre le risque. J'arrêtai mes lectures.

En 1995, je reprends mes études, plus exactement j'en termine la dernière année (après les avoir interrompues en 1989 pour travailler, me marier et mettre mes parents devant le fait accompli). Il se produit alors un incident bizarre. L'un de ceux avec qui je m'entends le mieux (ce n'est pas si facile, je détonne par mon alliance, même si je cache que j'ai un enfant) s'appelle Vincent T*nenb*um. Et un jour la conversation donne cela:
— Mais évidemment que je suis juif !
— Comment ça, évidemment ?
— Mais tu as vu mon nom ?
— Oui. Qu'est-ce qu'il a ton nom ?
A sa façon de me regarder pour vérifier que je n'étais pas en train de me moquer de lui, je compris que je devais être passée à côté de quelque chose d'énorme. Et c'est ainsi que j'appris, à vingt-cinq ans passés, qu'il existait des noms juifs, des noms à consonnance juive. Je n'y avais jamais fait attention, je ne savais pas que c'était significatif. Ce jour-là, je compris pourquoi ma mère riait parfois en parlant du frère de Carole, qui portait un nom du genre David Bensimon.
Tout cela pour dire que l'identification du "juif" est quelque chose qui ne m'effleure jamais, qui ne me vient à l'esprit que si l'on m'oblige à y penser.

J'en viens à ma question (car j'ai une question. Je raconte tout cela à cause de l'ambiance actuelle, de l'idée tout de même étrange à mon avis qu'Israël est un lieu plus sûr que la France, mais j'ai une question personnelle.) En avril 2012, après que RC eut annoncé qu'il voterait Le Pen, je découvris que Rémi en ferait autant. La raison qu'il donna fut l'affaire Merah, provoquant mon désarroi: impossible pour moi de comprendre qu'un universitaire et juriste puisse cautionner l'extrême-droite, surtout lui si sensible au fait que l'antisémitisme allemand était passé par la définition juridique du juif.
— Mais enfin, tu te rends compte qu'il a tué des enfants juifs?!
— Mais quel est le rapport avec le fait qu'ils soient juifs? Est-ce qu'ils ont plus de valeur que les miens parce qu'ils sont juifs?

Rémi2 m'a regardée d'un air profondément scandalisé.
Il était sincère, j'ai vu que ma question lui faisait horreur. Mais je n'ai toujours pas compris pourquoi. Est-il vraiment logique de rallier l'extrême-droite pour défendre les juifs? (Non, je suis sûre que non.) Ai-je vraiment dit quelque chose de scandaleux? Suis-je antisémite en pensant que mes enfants valent des enfants juifs, que des enfants juifs valent mes enfants, et surtout est-ce antisémite de ne pas voir, de ne pas faire, de différence, de ne pas comprendre la différence? (Pourquoi ai-je la sensation que ne pas voir ou ne pas faire la différence est sain, que ne pas la comprendre est une anomalie ou un handicap pour saisir notre monde contemporain? (Ou l'inverse? Si tout le monde était dans la même incapacité que moi, une partie du problème, voire tout le problème, serait-il résolu?))



1 : je trouve leur nom dans ce document en cherchant ce soir, mais ce ne sont peut-être que des homonymes.
2 : je donne le prénom pour ceux qui le connaissent. (Rien de confidentiel, il ne cache pas ses positions.)

Annette

En ouvrant ma boîte mail tard ce soir j'y ai trouvé une photo d'Annette.

J'avais huit ans, c'était mon premier automne en France, ma mère est entrée dans la salle de jeu au sous-sol de la maison que nous louions en attendant la construction de la nôtre et elle m'a dit: «Annette est morte.»

Je suppose qu'elle n'avait personne à qui le dire, personne à qui en parler.

Annette était notre voisine de la maison d'en face à In*ezgane. Son prestige tenait à ce qu'elle avait eu des jumeaux, de faux jumeaux. Son mari avait un nom alsacien. Ma mère critiquait beaucoup leur façon d'éduquer leurs enfants, de ne pas les éduquer, en somme. C'était les mêmes critiques qu'elle proférait à l'encontre de ma tante Marion: trop de joie et de fantaisie dans ces maisons pour que cela convienne à son austérité maternelle. (Mais elle devait avoir raison sur quelques points malgré tout, car je me souviens que le fils aîné, âgé de trois ou quatre ans, s'était très gravement brûlé le palais en mettant une prise électrique branchée dans la bouche.)

Annette est morte dans un accident de voiture, la poitrine défoncée par le volant. Sa petite fille est morte également. Je pense souvent à elle, chaque fois que je ne mets pas ma ceinture.

Le plus étonnant dans tout cela, c'est que la photo (ancienne, accompagnée d'une actuelle de la famille) a été transmise à ma mère par ma sœur, qui a retrouvé sur internet le fils aîné et a pris contact. Tout m'étonne: que ma sœur ait pris la peine de le chercher et de lui écrire, qu'il lui ait répondu, qu'elle ait pris la peine de transmettre les photos à maman.
Ma sœur avait six ans quand nous avons quitté le Maroc. De quoi se souvient-elle, qu'est ce qui lui est cher? Avait-elle des amis? Qu'est-ce qui l'a poussée à écrire? Autant de questions que je n'aurais jamais songé à poser.

Winston

Quand nous étions à Agadir, nous passions tout notre temps à "L'Hacienda", un hôtel à bungalow pas loin de l'oued entre In*zgane et Agadir (à l'époque, c'était une zone de terrains vagues autour de l'aéroport, il paraît qu'aujourd'hui tout est construit). Il y avait une piscine, des orangers, des cours de tennis et un club d'équitation (ma récompense quand j'avais bien travaillé, c'était une balade à cheval de deux heures qui permettait d'atteindre la plage. Comme j'étais excellente élève et que mes parents n'avaient pas envie de me l'accorder car ils trouvaient que deux heures, c'était beaucoup pour mon âge (six ou sept ans), ils avaient choisi le pire critère: mes notes en écriture. J'ai dû faire deux balades en tout et pour tout).

Bref, "ce que je voulais dire, c'est que" il y avait un cheval blanc qui s'appelait Winston. Il avait tourné dans un film et savait se coucher sur commande. Il s'appelait Winston car il avait été dans ce film la monture de Churchill.

Le cheval de Lone Ranger lui ressemble beaucoup, en plus fantaisiste.

Grec ancien

Je suis en train de tomber dans le grec ancien.

H. se moque parce que c'est du faux grec, évidemment, la Septante, ce n'est pas Eschyle. Et encore, même pas la Septante, mais le Nouveau Testament.

En attendant je m'amuse bien. Les trajets en RER en sont raccourcis. J'aime la façon dont le doute remonte de strate en strate, douter d'une construction, douter du sens d'un mot, douter de la graphie correcte du copiste… et remplacer les mots, proposer l'ajout ou le retrait d'une syllable, recréer le texte, mettre cinquante ans à stabiliser une hypothèse à force de discussions entre savants.

Quel travail, quelle ascèse. Tout ce qui approche de la folie me plaît, cet irrationnel le plus pur sous couvert de scientificité.


Philo. Ce soir Saint Augustin. De Trinitate. J'ai l'impression de tomber en enfance, je revois ma première année de catéchisme, tout cela est tellement naturel, tellement immédiat que j'en deviens perplexe. Je devrais faire une recherche, il devrait être possible de retrouver les pères blancs qui faisaient le catéchisme à Agadir. Je donnerais ma main à couper qu'ils étaient imprégnés d'augustinisme.

Les deux chiennes

A l'Hacienda, il y avait deux chiennes berger allemand. L'une était très douce, amie de tous les touristes, placide, l'autre était méchante, inapprochable, dangereuse. Un jour la chienne "gentille", qui s'appelait Wappy, du nom d'une ville du nord, fut renversée par une voiture et blessée à la hanche. La blessure s'infecta, on parlait de "bols de pus" retirés de la plaie, on crut qu'elle allait mourir. Cela dura des semaines. On la sauva.

Je me souviens de ma mère disant: «Si c'était l'autre qui avait été blessée, il n'aurait pas été possible de la soigner. Elle serait sans doute morte.»

Roxane

Roxanne en musique d'ambiance quand je descends du RER à la gare de Lyon.

J'ai connu une fille qui s'appelait Roxane, c'était au CE2, elle devait avoir huit ans. Plus tard quand j'ai découvert que ce que j'entendais "Rock scène" s'écrivait "Roxanne" j'ai pensé que son prénom devait provenir de là : mais je viens de vérifier, elle était née dix à onze ans avant la chanson (une légende s'écroule), il faut donc supposer des parents amoureux de Cyrano...

Je n'aimais pas beaucoup cette fille, elle était grande à cheveux lisses, un peu bécasse, j'imaginais qu'elle aurait joué une version châtaine de Ficelle dans Fantômette tout à fait acceptable.
Au CE2, et peut-être déjà au CE1, je remplissais un album d'images d'animaux sur le modèle des albums de joueurs de foot. Nous avions tous notre album, il contenait trois cent deux ou trois cent six images, nous passions nos récréations en négociations et trocs, nous fanstamions sur les cartes les plus rares, dont la dernière, une panthère noire.
Tout mon argent de poche y passait — un dirham par semaine.
Un jour, j'ai découpé et mis à la poubelle la dernière page qui permettait, en ultime recours, de commander à la maison-mère les images manquantes. Je ne voulais pas tricher. J'aurais toutes les images par achats et échanges — sans tricher.
En découvrant que je m'étais fermée cette porte, ma mère m'a grondée.

Je me souviens du jour où j'ai trouvé la dernière image qui me manquait — pas la plus rare, un guépard.
Rituel, chacun arrive avec son paquet de cartes, le tend à l'autre, chacun regarde le paquet de l'autre, sélectionne les cartes qu'il voudrait récupérer... puis nous passons à l'échange, quelles cartes pour quelles cartes, et celles que nous refusons, arbitrairement, sans raison ou pour des raisons perverses, d'échanger.
Poker-face en apercevant cette dernière carte qui me manquait, cœur battant, que personne ne remarque à quel point je la voulais, à quel point il me la fallait... Déjà je savais que montrer un trop grand désir était un moyen assez sûr de ne pas obtenir satisfaction (et quand je lis Proust, le narrateur désirant si fort être présenté à Mme Swann et le montrant, grave erreur, à M. de Norpois — c'est ce moment qui affleure aussitôt).

Et voilà, elle était à moi, j'avais fini mon album — et la dernière carte, bien sûr, m'était venue de Roxane.

Paradis perdu

L'Hacienda était un hôtel construit sur le principe de bungalows blancs éparpillés parmi les orangers sur une vaste étendue de pelouse (du kikuyu, sorte de gazon rampant dont les feuilles coupées par les tondeuses devenaient tranchantes et nous entaillaient de minuscules coupures quand nous jouions, en maillot de bain, à dévaler les pentes étendus de tous notre long en roulant comme des tonneaux).

Les orangers côtoyaient les trois ou quatre courts de tennis et la piscine, près des bougainvilliers. De l'autre côté de la route se tenait "le ranch" — le club hippique.

Pendant les sept ans que j'ai passés à Agadir, nous ne sommes presque jamais allés au bord de la mer. Nous allions à l'Hacienda, le soir après la classe, le week-end, durant les vacances scolaires... La "fatime" s'occupait de tout à la maison (sauf le dimanche).

Ce week-end, ma mère a reconnu sans y penser: «Pendant sept ans, je me suis dit que je vivais au paradis.»
Voilà qui est nouveau, elle a toujours soutenu que j'idéalisais mes souvenirs.

Yvan

Entre six et huit ans, j'ai beaucoup joué dans les dunes avec Yvan. On lisait le journal de Mickey, il préférait Mandrake et moi Guy l'Eclair, il était mon principal fournisseur de Langelot.
Bien sûr nous jouions aux agents secrets. Le méchant dans les Mandrake de l'époque s'appelait Le Cobra. Pendant longtemps la signature d'Yvan s'est terminée par un cobra.
Il avait les yeux très bleus, un visage rond, sa sœur lui avait cassé une incisive avec une boucle de ceinture.

Il avait une particularité incroyable à mes yeux : il ne mentait jamais, même pour se tirer d'un mauvais pas, même pour éviter de se faire gronder. Je l'admirais beaucoup pour cela, j'aimais ne pas dire où j'allais et je mentais beaucoup, ou pour reprendre l'argument d'un petit garçon : — Pourquoi tu ne m'as pas dit où tu allais? — Parce que tu me l'aurais interdit.
(J'ai bien peur de fonctionner encore sur ce mode.)

Mais ce trait de caractère qui semblait si bien répondre à ce qu'on attendait de nous quand nous avions six ou huit ans n'a pas tardé à lui poser des problèmes. A l'usage, on se rend compte que ne jamais mentir n'est possible que si 1/ on est parfait 2/ on vit dans un monde parfait.

Plus tard, alors que séparés par des centaines de kilomètres nous avions perdu contact, sa mère racontait à la mienne les problèmes rencontrés :
« Il n'avait pas fait son devoir de math, mais quand la prof lui a demandé s'il l'avait oublié à la maison, il a répondu qu'il ne l'avait pas fait.»
ou
« Quand l'inspecteur lui a dit qu'il marquait trop le stop, il a répondu que la dernière fois on lui avait reproché de ne pas l'avoir assez marqué.» (Tant et si bien qu'il a raté son permis quatre fois et qu'on a vu le moment où il devrait repasser le code).

Il a passé deux semaines en classe préparatoire (math sup) avant de décréter que c'était une boîte de fous et qu'il ne restait pas chez les dingues. C'était vrai, bien sûr, et dans un sens je l'admirais d'avoir le courage de tirer les conséquences pratiques de ce que nous pensions tous, d'un autre côté je lui en ai un peu voulu de céder si facilement: à quoi bon les héros de notre enfance si c'était pour abandonner si vite?

Etc, etc. Il a fait plusieurs CDD mais n'a jamais réussi à se faire embaucher de façon définitive. Avec sa maîtrise MIAGE, cela doit faire plus de quinze ans qu'il est au RMI, qu'il vit dans un foyer, qu'il vient tondre la pelouse chez ses parents (agrégés de math et de français) le week-end. Eux ne parlent jamais de lui, il n'apparaît même pas sur les photos du mariage de sa sœur.

Où est-il, que fait-il, nous n'osons pas poser la question.

(J'ai trouvé son frère sur FB. Il vit en Australie et ressemble incroyablement à son père. Lui ne doit pas se souvenir de moi. Il était si jeune quand j'ai quitté le Maroc: trois ans, quatre ans? Il était la terreur des apéritifs familiaux, il terminait tous les verres restés sur la table ce qui était un peu dangereux vu son âge. C'est drôle de contempler la photo d'un parfait inconnu vivant à des milliers de kilomètres en sachant cela de lui.)


Nous avons appris il y a quelques jours que V. quittait E., après plus de vingt ans de vie commune. J'ai aussitôt pensé à Yvan: pourvu que E. ne se laisse pas glisser.

Pierre blanche

J'avais moins de huit ans. Ma mère me dit :
— Tiens, ce jour est à marquer d'une pierre blanche.
— Pourquoi ?
— Parce que tu n'a pas pleuré aujourd'hui.

Je fondis en larmes.

Dilemme

Je suppose qu'il est normal de se demander de temps en temps à quoi bon bloguer, comme à quoi bon tout, finalement.

Lorsque j'étais au CE2, nous devions faire un résumé de chaque livre que nous empruntions à la bibliothèque de la classe. J'avais horreur de ça. En plus, j'étais désavantagée, car j'aimais lire, je lisais vite, je pouvais lire beaucoup de livres pendant que les autres n'en lisaient qu'un, ce qui me faisait beaucoup de résumés à rédiger. C'était pénible, car bien entendu, pendant que j'écrivais ces résumés, je ne lisais pas, et franchement, raconter ce que je savais déjà me paraissait sans intérêt.
J'avais résolu le problème en empruntant les livres en cachette pendant les récréations. Je les lisais puis les remettais en place, ni vue ni connue.

Pour le blog, c'est un petit peu plus compliqué : si je lis au lieu d'écrire, cela va se voir. Et si j'écris, quand lire?

Regrets et projet

A midi, Paul me racontait qu'enfant, il avait gagné un baptême de l'air. Le lot était convertible en argent liquide: un baptême de l'air ou cinquante francs. Comme il n'avait pas un sou vaillant, il avait choisi l'argent et le regrettait amèrement aujourd'hui.
J'ai un souvenir du même genre. Au début des années 70, mes parents faisaient chaque année en juillet le trajet Agadir-Vierzon en voiture avec deux petites filles: pour eux trois jours et trois nuits de conduite en se relayant, pratiquant sans dormir, pour nous un ennui mortel que seules les disputes venaient égayer. C'est ainsi qu'ils décidèrent une année de me renvoyer en France seule, en voyage accompagné. J'avais six ans, l'hôtesse de l'air me proposa d'aller visiter la cabine de pilotage de la Caravelle. J'étais intimidée, j'eus peur de déranger, je refusai. Je le regrette beaucoup.

Après la guerre, Paul passa son brevet de pilote. C'était plus amusant qu'aujourd'hui dans la mesure où il n'y avait pas de contact radio avec le sol: la première fois qu'on s'élançait, on était réellement seul, d'où quelques émotions fortes au moment de l'atterrissage.
Il y a deux ou trois ans, il m'avait proposé de faire un tour en planeur avec lui. J'avais refusé par peur de faire de la peine à H., qui lui aussi aimerait faire du planeur. Aujourd'hui, j'ai changé d'avis. Le temps se fait court, si je dois faire du planeur avec Paul, c'est au plus vite, dès cette année. Lâchement, je l'ai chargé de l'intendance et des détails pratiques.
A suivre.

Jeu de piste

Et tandis que nous discutions du BAFA d'O. (de l'opportunité de faire son stage technique en revenant d'une semaine à Naples pour rentrer la veille de retourner en classe deux mois avant de passer le bac), je leur ai avoué un de mes meilleurs souvenirs d'enfance: durant l'année de catéchisme, nous avions fait un week-end de camping (dormir sous la tente, quelle aventure) avec un jeu de piste dans les dunes qui m'avait émerveillée (boussole, carte, mystère, le Club des Cinq enfin).

Et plus tard dans la grande tente lors de la réunion qui rassemblait les résultats des différentes équipes, j'avais osé poser la question qui me taraudait — et je n'avais pas eu de réponse mais tout le monde avait ri, donc j'en avais déduit que la réponse était sans doute non, mais sans en être tout à fait sûre (j'aurais tellement aimé que ce soit oui):
— Mais c'est vrai que les Martiens ont débarqué?
(et quarante-deux ans plus tard mes enfants ont ri eux aussi.)

Et plus tard, dans un moment de creux, j'étais repartie dans les dunes refaire le parcours du jeu de piste, et plus tard encore, une "grande" m'avait dit, stupéfaite: «Mais tu n'as pas eu peur toute seule?», et je n'avais pas compris: peur de quoi?

Et nous avions fait des déguisements en papier crépon et c'était facile et rien n'était grave et rien ne devait être parfait. Nous étions juste joyeux et heureux.


(Date imaginaire, bien sûr: je l'ai choisi avant ma communion et au printemps, mais peut-être était-ce pendant les vacances de Pâques ou plus tard en juin: comment savoir?)

Hacienda

J'ai appris à nager dans cette piscine, mais je ne sais pas quand. J'ai aussi appris à monter à cheval, mais je ne sais pas non plus à quel âge: six ans, sept ans? Je cassais les pieds à mes parents depuis longtemps, mais il n'y avait pas de poney, j'ai commencé directement sur des étalons (les chevaux n'étaient pas castrés, il n'y avait pas de jument, si l'on tombait il ne fallait pas lâcher les rênes pour éviter que les chevaux aillent se battre avec les autres).

Ingeborg Bachmann est morte

J'écris cela tandis que je lis Une visite à Klagenfurt d'Uwe Johnson.

1973. J'avais six ans. Je ne sais pas en quelle classe j'étais, je suis toujours obligée de repartir de mon bac : 1984.
sept 83 : terminale
sept 82 : première
sept 81 : seconde. Lycée (fin des horribles années de collège)
sept 80 : troisième.
sept 79 : quatrième
sept 78 : cinquième
sept 77 : sixième
sept 76 : CM2
sept 75 : CM1. Rentrée en France
sept 74 : CE2
sept 73 : CE1
sept 72 : deuxième CP école Paul Gauguin
sept 71 : premier CP école juive
sept 70 : entrée à l'école, première année de maternelle.

Ingeborg Bachmann est morte alors que je venais d'entrer en CE1, l'un de mes très bons souvenirs d'école. Nous faisions des "auto-dictées", «Si j'avais quatre dromadaires», «à l'enterrement d'une feuille morte».

Question :«l'avion se promène dans le ciel… : pourquoi le poète dit ça alors que nous savons que l'avion va très vite?
— Parce qu'il est très loin?
— Oui, bravo, c'est ça.»
Et j'étais heureuse, si heureuse que je m'en souviens encore.


Mon livre de lecture racontait des histoires. La première était celle d'une petite fille malade, Claire, que ses parents ne pouvaient envoyer au soleil par manque d'argent. Alors les hirondelles ne partaient pas, les arbres retenaient leur souffle pour ne pas perdre leurs feuilles, le soleil brillait plus fort pour que l'hiver ne vienne pas et que Claire guérisse.
Il y avait l'histoire d'un oisillon coucou prisonnier de son nid en grandissant et qui me faisait pleurer, l'histoire du sucre d'orge inventé à partir d'une stalactite…

Des années plus tard j'ai essayé de retrouver ce livre en écrivant à mon instituteur rentré en France mais il ne souvenait pas du titre. Si j'avais une piste je pourrais sans doute le retrouver sur Abebooks ou priceminister.

Cette année-là nous avons lu Le Petit Prince. La rose, le baobab, le jardin, le mouton, le serpent, tout cela date de cette année-là.
Je me souviens que je n'avais pas compris la fin: comment avait-il pu rejoindre le ciel en étant mordu par un serpent? Je ne comprenais pas. J'avais le soupçon que cela voulait peut-être dire qu'il était mort mais ça n'avait pas de sens parce que d'abord il n'y a pas de mort dans les livres qu'on donne aux enfants (je ne l'exprimais pas aussi consciemment, mais je le ressentais instinctivement) et qu'ensuite, quand on mourait, on ne rejoignait pas "sa" planète précisément. Les risques d'erreur de planètes étaient trop grands. Etre mordu par un serpent me paraissait un moyen de transport trop alléatoire.

Rentrée

J'aurais dû entrer en deuxième année de maternelle. Mais il n'y avait pas de Français ni en deuxième année, ni en troisième année. Alors je suis entrée en CP.

C'était à l'école juive d'Agadir qui allait de la première année de maternelle à la Terminale. Tous les élèves partageaient la même cour de récréation et j'agaçais ma mère en parlant «des grands comme vous».

La salle de CP était installée dans une mezzanine au-dessus d'une grande salle solennelle. J'ai rêvé de cette salle longtemps. Les portes pour y accéder étaient au rez-de-chaussée, des portes imposantes et une salle interdite. C'était étrange de voir dans la salle sans avoir le droit d'y entrer. Ce n'est qu'en réfléchissant à cette image qui revenait dans mes rêves sans vraiment comprendre ce qu'elle était et où elle était que j'ai compris que c'était une salle de synagogue — enfin, une salle qui servait au culte.


Le bonheur

L'année de la naissance de ma sœur (en septembre), mes parents ont passé l'été au Maroc.

Cette photo est pour moi l'image du bonheur.



Je me souviens que ma tante m'a dit un jour: «tes parents étaient faits l'un pour l'autre. Ils ont eu raison de s'éloigner de la France après leur mariage».
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