Billets qui ont 'Rouen' comme ville.

Quand ça veut pas, ça veut pas

Quatre ce matin sous la pluie : trempés comme des soupes. Mais le meilleur bateau depuis longtemps.

L'après-midi en glandant (surfant) sur FB, je tombe sur l'info : la Coupe des Dames est annulée. La Maine est trop basse et une bactérie a amené le préfet à interdire la navigation.

Je suis dépitée. Je me suis tout de même entraînée tout l'été pour améliorer mes performances et faire partie de l'équipage.
H. tente de me remonter le moral:
— Vous ne pouvez pas faire une autre course?
— Il y avait bien Rouen une semaine avant… On avait laissé tomber, c'était trop compliqué d'emmener les bateaux d'un endroit à l'autre à une semaine d'intervalle.
— Alors c'est peut-être l'occasion ?
— Tu sais maintenant, Rouen… ce n'est pas vraiment le moment.
Il me regarde un moment sans comprendre, puis nous nous mettons à rire.









Note pour les temps futurs: à Rouen, incendie dans une usine chimique classée Sévéso dans la nuit du 25 au 26 septembre.

Rouen

Excursion à Rouen, comme l'année dernière à la même époque, pour voir l'exposition sur Sienne, aux origines de la Renaissance. (Commentaire de Laurent: «Les musées de Sienne doivent être en travaux pour avoir prêté autant de tableaux.» Ou il s'agit des réserves, qu'ils devraient envoyer à Liévain, pour que ce soit plus pratique, jugeons-nous).

Visite somptueuse à recommander.
Certes, les fonds dorés cèdent progressivement la place aux fonds bleus et aux paysage, mais surtout, les visages gagnent en expression, ils s'individualisent. Ce n'est plus l'homme en général, idéalisé, qu'il faut représenter, mais l'homme en particulier (et surtout la femme, la Vierge), incarné, fragile, qui est montré, rappelé, immortalisé.
Une explication très dictatique de la peinture a tempera me fait sourire: nous voyons sur plusieurs carrés de bois la préparation successive du support et enfin une peinture vernie à l'œuf : je ne sais qui a fait le petit tableau final, mais il est hideux: il ne suffit pas de maîtriser la peinture a tempera pour réussir un grand tableau, velouté et lumineux.
Une salle présente des films explicatifs plutôt longs qu'A. et moi choisissons de ne pas regarder car nous nous imaginons être en retard (j'en regarderai un l'après-midi) car nous avons perdu le reste de la compagnie et sommes persuadées qu'elle est devant (alors qu'elle est derrière), ce qui nous fait accélérer alors qu'il faudrait ralentir. Nous ne la retrouverons que par un sms de rassemblement pour déjeuner (mais comment vivre sans portable?)

Une pluie battante nous attend. J'ai prévu le parapluie après consultation des prévisions météo ce matin, mais bizarrement (ou pas bizarrement: par manque de temps, tout simplement) je n'ai pas tenu compte de la température annoncée, et je suis habillée bien trop légèrement pour les 14° ou 15° degrés ambiants. «En haute Normandie il pleut, mais en basse Normandie il mouille», proclame A. toujours empressée d'étaler un chauvinisme de dernière venue.

Tous les restaurants sont fermés, mais pourquoi était-ce ouvert l'année dernière? (réponse en écrivant ce billet: l'année dernière, nous sommes venus un jeudi.)
Nous finissons au chaud les pieds plus ou moins trempés dans l'un des restaurants face à l'église Sainte Jeanne d'Arc (mais qui a commenté: «par ce temps, les Anglais n'auraient jamais pu allumer le bûcher»?)
Le repas est le temps des bêtises : l'œuf parfait, nouveau snobisme des restaurateurs, la tarte au citron déstructurée («maintenant, ils ne préviennent plus qu'elle est déstructurée, mais elle l'est. — Tu veux dire que c'est la tarte reconstruite qui est l'exception? — La tarte déconstruite, ou tarte Derrida»).
J'apprends que le vélo hollandais n'a pas de frein, qu'il faut rétropédaler: il perd soudain tout son charme (j'aime beaucoup son guidon très haut, j'avais envie d'en ramener un en TGV), j'ai eu un vélo ainsi, cela signifie qu'il faut pédaler (faire le mouvement) même dans les descentes. C'est horrible, on voit bien qu'Amsterdam est plate.
Et il faut visiter Haarlem, bien plus calme qu'Amsterdam.
A. babille, raconte son expérience d'apicultrice (je suis impressionnée, elle a découvert et pratiqué énormément de choses), nous parle des trois cents cochons d'Inde:
— Quand il y a des malades, Luc les tue en les frappant contre le mur. Lise me demande pourquoi je ne leur fais pas un c0c1 ("cézérocéhun") mais moi je ne peux pas.
— Un c0c1?
— Cervicale zéro, cervicale un. Tu fais une décoapatation, tu tournes un coup sec, et crac. (Dans ma tête les légendes des trente façons de tuer à main nue.) C'est pour ça que les ostéopathes n'ont pas le droit de toucher aux cervicales.
— Décoaptation?
— C'est décoller les deux parties d'une articulation. En Angleterre, ils ont résolu le problème autrement: les ostéos ne font pas de décoaptation mais l'inverse, ils appuient sur la tête pour manipuler. Comme ça ce n'est pas dangereux.

En sortant nous visitons tout naturellement l'église Sainte Jeanne d'Arc. C'est sans doute l'une des églises modernes les plus réussies que j'ai vues, la charpente est très belle et l'ensemble très lumineux. Les vitraux Renaissance proviennent de l'ancienne église Saint Vincent.

Nous retournons au musée (re-)visiter les collections permanentes. J'aime beaucoup revenir dans les musées, cela permet d'acquérir une familiarité avec les œuvres, de les aborder autrement. Une partie des salles est fermée, cela interrompt le cours naturel de la visite, je me perds un peu (je ne verrai pas les Jacques-Emile Blanche de l'année dernière). Je contemple l'âne pelucheux de Rubens, Laurent me raconte le Démocrite de Velasquez (la transformation d'un portrait de buveur en philosophe).

Nous rentrons par le nord, vers Andresy. Il fait froid aussi à Paris, mais il ne pleut pas.

Les Cathédrales à Rouen

RER de 7h23, train de 8h50. Tout le charme de l'excursion est dans la conversation à bâtons rompus dont il est difficile de se souvenir.
Café, cigarettes, donjon où fut prisonnière Jeanne d'Arc.

Exposition sur le mythe des cathédrales (très belle affiche).
Test de ce que j'ai retenu, en vrac (c'est un bon test, le problème étant que plus je me souviens, plus je me souviens (je veux dire qu'au début j'ai l'impression de me souvenir de rien, puis tout revient en tirant le fil)):

- le couronnement de Charles X, les cathédrales pavoisées lors des victoires, des sacres, la bénédictions des drapeaux: «Louis XVIII n'a jamais été couronné. — C'est vrai? — Oui, de toute façon, vu sa corpulence, cela aurait été difficile, il faut s'allonger… — Ah tiens, ça va me faire un moyen mémotechnique pour ne plus confondre Charles X et Louis XVIII, le grand maigre et le petit gros… — Ça n'a pas empêché Louis XVIII de se faire faire un costume de sacre.»

- l'extraordinaire succès de Notre Dame de Paris publié en 1931 par Victor Hugo à 29 ans: «Je ne m'étais pas rendue compte qu'il avait mis les cathédrales à la mode. — Il ne les a pas mises à la mode, elles étaient déjà à la mode. Tu as vu tous les produits dérivés à la suite du livre? — Mais ce n'est pas ça, lancer une mode, je veux dire ce n'est pas provoquer des produits dérivés?»

- les dessins de Victor Hugo. Quelle force, de loin on voit tout de suite que c'est bon, on est tout surpris de découvrir qu'il s'agit de Victor Hugo en s'approchant: il était vraiment bon.

- de Staël: «J'aime beaucoup de Staël. Il y a une exposition au Havre, je vais y aller — seul s'il le faut.»

- l'incendie de la cathédrale de Reims en 1914 et son utilisation par la propagande.

- les premières photos de cathédrales — de très belles photos.

- la construction de la flèche de Notre-Dame de Paris au XIXe siècle, l'achèvement de la cathédrale de Cologne.

- la phrase «Les cathédrales ont pris la place des ruines antiques dans les tableaux.»

Nous déjeunons en terrasse d'une andouillette à la mémoire de Foucault. Visite des collections permanentes l'après-midi. C'est immense. Caravage, Véronèse («à La Palisse, ils ont un Véronèse hideux. Il ferait mieux de le vendre pour refaire le toit de la chapelle.»), nous repérons deux portraits de RC, LE David d'Angers (pensée pour Aline) (dieu que cette salle est froide), les Emile Blanche ont disparu («la dernière fois nous avons demandé aux gardiens où ils se trouvaient, ils ont téléphoné partout, personne ne le savait»). Je suis surprise par le nombre de peintres femmes exposées, avec à chaque fois la même explication sur le cartouche: elles n'avaient pas droit de suivre des cours avec les hommes; le portrait et les natures mortes leur étaient réservées car elles ne pouvaient faire des études de nus.
Achat de quelques cartes postales, détour par le Palais de Justice (Laurent connaît admirablement la ville), rafraîchissements en terrasse (un lait orgeat en mémoire de Claude et François Mauriac), pas de gâteau somptueux à photographier. Partage des vaches pour timbrer les cartes postales.

Nous rentrons, paysages de la Seine, nous attendons Zola («à l'époque, ils s'installaient à deux pas de la gare, nous ne ferions plus ça») et ratons Marly à cause d'un malencontreux train en sens inverse qui nous bouche la vue. Conversations, Patrick demande à la contrôleuse (une photographe, la chance!) de nous photographier tous les trois. Nous aurons peut-être la photo un jour, quand il aura changé d'ordinateur. Quoi qu'il en soit, nous nous souviendrons.
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