Billets qui ont '2017-06-11' comme date.

Lundi : atteindre la mer

Le ciel est voilé, il y a beaucoup de papillons dans la lavande et un insecte avec une trompe qui ressemble à un colibri (après recherche: un papillon, le moro-sphinx). Les lézards contre les pins sont parfois bicolores, hésitant entre le vert de l’herbe et le brun des écorces. En contrebas du jardin en terrasse se trouvent des poules à qui je lance tous les déchets organiques.

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Le but était d’atteindre de la mer. Cecina semblait la ville la plus proche et un site (température de l'eau partout dans le monde: magique internet) annonçait une température de l'eau acceptable. Nous sommes donc partis avec un maillot de bain et de la crème solaire — et les serviettes du gîte.

Nous avons réglé Waze sur "le plus court" selon une habitude bien établie chaque fois que nous avons l'intention de nous amuser en prenant notre temps et découvrir des lieux oubliés des grands axes1 et nous nous retrouvons sur de véritables routes de montagne à épingles à cheveux. Nous arrivons à Volterra, un beau palazzo à notre droite, et si nous nous arrêtions?

C'est ainsi que nous avons failli ne jamais arriver à la mer.
Remparts, jardin public, ruines étrusques (peu à voir quand on ne sait pas construire des demeures en 3D à partir de quelques pierres), vue spectaculaire sur la campagne et les collines. Billet tout inclus, nous entrons donc dans le musée étrusque Guarnacci, ce qui ne nous serait pas venu à l'idée sans cela. Des urnes et des urnes, des centaines d'urnes funéraires sculptées, les premières rondes, en forme d'amphores, puis des caisses rectangulaires.
Les sculptures me laissent songeuses, quelle époque, quelle influence, certaines paraissent primitives, d'autres très grecques, les Grecs — ou les Phéniciens? — ont colonisé les côtes, à quelle époque, je suis perdue. Tant pis. Il faut se faire une raison, je ne suis pas et ne serai pas une spécialiste de l'art étrusque, il faut renoncer à comprendre, pas assez de temps.
Mosaïques, outils, bijoux.
C'est très impressionnant, par la finesse, par la quantité, par le travail de reconstitution des archéologues.

Déjeuner presque en face du musée dans une cave à vin, découverte des tripes à la Toscane (appelées aussi tripes à la Florentine). Remontées dans la ville, deux spécialités, le sel de terre (mais nous n'en trouverons pas) et les truffes. J'achète du miel, du sel, de la confiture de poires aux truffes («Nos poires», nous apprend avec fierté la jeune vendeuse. Et leurs chiens, en photo sur le mur: des épagneuls noirs.) Dans le magasin, nous succédons à des Français et précédons des Français.

Dans les rues, un ruban rouge est attaché à la plupart des portes. Mes amis FB à qui je pose la question m'apprennent qu'il s'agit d'une œuvre d'art. Je copie le résumé traduit de Robert: «En hiver, un mur datant de la période médiévale s'est écroulé, laissant un trou béant. Le ruban rouge symbolise " la blessure ", la trace de la douleur incise dans le corps de la cité, suite à l'éboulement. Un groupe d'artistes, Archivio Zeta, a réuni d'un ruban rouge de plusieurs km les lieux emblématiques de la ville pour finir par se précipiter dans la "blessure" (ferita )…»

Visite du palais des prieurs, assez vite. Après Sienne tout paraît un peu fade. Nous montons au sommet de la tour sur un malentendu (nous ne savions pas que cet escalier menait là). Nous sommes seuls, nous étions seuls dans le palais, nous sommes heureusement seuls dans les escaliers très étroits («Ne pas toucher le mur»: de peur qu'il ne s'effrite?), il y a beaucoup de vent en haut de la tour dont il me semble avoir lu que c'était la plus haute de Toscane (172 mètres de tour en haut d'une colline de 531 mètres).

Il est tard, nous ne verrons pas la pinacothèque, nous sommes fatigués et nous n'arrivons jamais à la mer à temps.

Cecina plage. Nous rachetons des draps de plage (comme à la Rochelle: la prochaine fois il faudra en emmener un! (et si nous sommes en gîte, du sel, du poivre, un rouleau de sopalin, de l'huile, du vinaigre, un torchon, un paquet de pâtes pour le premier soir)) et des tongs pour H.
Il n'y a pas beaucoup de monde qui se baigne (deux très jolies jeunes filles), H. essaie et revient presque aussitôt: «je comprends pourquoi personne ne se baigne: la plage plonge à pic, les graviers roulent et le courant entraîne au large». Nous allons prendre une glace et rentrons par un autre chemin, un peu moins accidenté dans une campagne baignée par le soleil couchant.

Il y a des flaques d'eau dans les nids de poule en arrivant au gîte: orage il y a quelques minutes. La propriétaire nous dira que c'est la première pluie depuis trois mois.

H. fait quelques brasses dans la piscine.
Est-ce la mer, l'iode, la glace au lait, le soir je suis épuisée.


Note
1 : Lu par dessus l'épaule d'H. : «Après tout, il est permis de rêver que le progrès mécanique s'arrache à lui-même cette rançon où se loge notre espoir: l'obligeant à rendre une menue monnaie de solitude et d'oubli, en échange de l'intimité dont il nous ravit massivement la jouissance.» Tristes Tropiques p.126, 1955.

Samedi : Toscane

Après études et concertations l'année dernière à St-Rémy, nous étions parvenus à la conclusion que le meilleur moment pour partir ensemble en vacances était juin: après l'envoi du matériel de vote aux électeurs de la mutuelle, avant l'AG, et du côté de H., ça correspondait pas tout à fait à un creux d'activité (après les ponts de mai) mais presque. C'était une période moins chaude que l'été, moins encombrée, moins chère. Septembre aurait sans doute été mieux du point de vue de la température de la mer, mais c'est un mois ou l'activité reprend à plein (considérons qu'en France nous travaillons de septembre à avril), impossible de s'absenter à ce moment-là.
J'ai donc systématiquement refusé tout engagement pour juin (aviron, concert, invitation) et attendu que H. m'indique quand poser une semaine de vacances.
Il a fait des réservations la semaine dernière alors que je commençais à ne plus y croire. Nous partons en Toscane, il a loué un gîte et une voiture.

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Arrivée à Pise. Recherche des comptoirs de voiture de location: ils sont à cinq cents mètres, une navette tourne sans arrêt pour y emmener les touristes.
Beaucoup de monde. Nous regardons avec effarement. «It's chaos» murmure avec fatalisme un Américain accompagné de sa femme et de jumeaux de deux ou trois ans très sages qui croise mon regard.

Guichet Avis. H. a réservé une Giulietta mais nous tentons notre chance (en anglais plus ou moins maîtrisé: H. fait tout en anglais, je mets ma fierté de Latine à vouloir comprendre l'italien et supposer qu'ils comprendront le français):
— Vous n'auriez pas un cabriolet ?
L'Italienne à la peau fatiguée par le soleil (genre Valeria Bruni-Tedeschi plutôt que Claudia Cardinale) nous regarde, semble peser le pour et le contre: «Attendez une minute» et disparaît discuter dans les bureaux.
Elle revient, demande: «Vous avez beaucoup de bagages?» Nous lui montrons notre valise rouge, le cartable d'H., mon sac à main (à l'épaule).
— J'ai un spider. Une fiat spider 124.
Il était réservé, mais le client n'est ni venu la prendre ni n'a décommandé, d'où son hésitation.

Spider rouge, magnifique, taché de sable (la pluie). Neuf (4000 km).
Nous comprenons pourquoi elle a posé la question des bagages: la valise s'encastre exactement dans le coffre, nous ne glissons les deux sacs supplémentaires qu'en tassant.

Je prends le volant. Il faut me réhabituer à une boîte manuelle. Les Italiens conduisent plus lentement que dans mon souvenir: nord de l'Italie ou multiplication des radars (fixes et signalés légalement par Waze)? H. m'assure que l'Italie a un nombre de morts sur la route inférieur à la France, il faudra que je vérifie.

Gîte sur le haut d'une colline à Gambassi Terme dans une ferme qui produit de l'huile et du chianti. Deux pièces emménagées sans doute dans une dépendance de la ferme, très propres, sobres, au dos des pièces habitées par la propriétaire. Des moustiquaires aux fenêtres, des poules en contrebas, beaucoup d'oiseaux, des pins.
Wifi en panne, H. grince des dents, mais il capte la 4G: ça ira.
Comme souvent, la piscine est davantage pensée pour le bain de soleil que la baignade.
Comme il y a trois ou quatre ans à Venise, ce gîte est entièrement dépourvu de toute nourriture (c'est agaçant: pas même du sel ou du poivre. Est-ce une tradition italienne? En France, il y a toujours un "fond", parfois comique dans ses choix, de farine, condiments, pâtes.

Nous allons donc au restaurant ce premier soir. Prosecco et poisson. La vue s'étend jusqu'à la plaine, magnifique. Le soir tombe, la nuit est d'un bleu profond. Parfois une clameur monte assourdie de la ville lointaine, je suppose le stade de foot local, nous apprendrons demain que c'était le match Juventus de Turin - Real Madrid. Il s'agissait les cris devant la télé…

(Pour l'histoire : à la suite d'une mauvaise blague (fausse alerte à l'attentat), il y aura une bousculade et des blessés. C'est Madrid qui a gagné.).
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