Billets qui ont 'Coluche' comme nom propre.

La vérité, au fond

H. était à Tours pour la journée. Un ami cherche à recruter des informaticiens et H. les rencontrent pour vérifier leurs compétences.

Ils recherchent des candidats qui croient et aiment l'informatique tout en ayant compris que cela s'appuie sur les mathématiques. C'est volontairement que je décris cela de cette façon un peu étrange car H. se heurte toujours aux mêmes limites : des candidats qui n'ont pas le réflexe d'utiliser les mathématiques (même au niveau le plus simple, les problèmes d'ordres de grandeur, de dichotomie, de tri, de matrice), des candidats pour qui l'informatique n'est pas un mode d'être (il recherche des enthousiastes, des amoureux, des personnes qui vivent par l'informatique. Evidemment, c'est non seulement difficile à écrire dans une offre d'emploi, mais c'est également rare).
Je le rejoins gare de Lyon. Il oscille entre découragement, ébahissement (il me raconte un entretien de la journée : « il avait envie mais il ne savait rien»), exaspération.

Nous rentrons en voiture sous une pluie battante.

Je lui parle de l'invitation de Nicolas, de mon souhait d'inviter mes camarades de la catho. Il soupire. Je parle tout doucement:
— Mais pourquoi soupires-tu? Ce sont des médecins, des ingénieurs, des contrôleurs de gestion. Vous avez des sujets en commun, tu t'entendras avec certains, tu n'es pas obligé de parler religion et ils n'essaieront pas de te convertir.
Il répond, lui aussi très bas:
— Mais justement, pourquoi… (sous-entendu, pourquoi des gens comme ça, avec ce cursus-là, croient-ils en Dieu? Quelle bêtise, quel dommage, quelle perte du bon sens…)
Pour une fois je dis le fond de ce qui est, de ce que je n'ose jamais dire parce que c'est personnel, aussi personnel qu'une déclaration d'amour:
— Parce que nous avons rencontré le Christ et que nous l'aimons.
Silence.
Il reprend du poil de la bête:
— Comme dirait Coluche, si tu le croises, salue-le de ma part.

Les risques

— Pourquoi ça ne m'arrive pas, à moi?
— Parce que tu es tiède. Parce que tu ne te mouilles pas, tu ne t'engages pas. Alors il ne t'arrive rien.

Me revient une phrase, il me semble qu'elle est de Coluche: «Ma mère me disait quand je quittais la maison: "fais attention, surtout qu'il ne t'arrive rien!". Mais quand tu es gosse, ce qui peut t'arriver de pire, c'est qu'il ne t'arrive rien.»

Coluche, l'histoire d'un mec

Les critiques sont mitigées, et je pense comprendre pourquoi: ceux qui vont voir ce film en pensant rire pendant deux heures devant des sketches doivent être très déçus. Ceux qui connaissent l'histoire de Coluche (et qui supportent le personnage, mais dans le cas contraire, pourquoi aller voir un tel film?) sont tristes. Ce film ne leur apprend rien mais leur rappelle beaucoup de choses.

Ce film est un déclencheur de nostalgie. Je ne sais pas ce que peuvent y comprendre les trentenaires, les vingtenaires. Je repense à l'époque qui s'annonçait en 1980, dix à quinze ans de Reagan/Thatcher/Mitterrand/Jean-Paul II. La compagnie créole chante «T'es OK, t'es bath», Georges Marchais donne des interviews (je n'avais jamais vu Marchais à la télévision... je l'ai vu pour la première fois ce soir. Je vivais dans une famille un peu bizarre, pas de sexe, pas de politique, pas de films en noir et blanc, pas de films sous-titrés, pas de westerns, du sport, «t'as fait tes devoirs?» (et la réponse était toujours oui même quand c'était faux), et c'était tout), les postes de radio sont énormes, les lunettes aussi. Je n'avais jamais écouté un sketch de Coluche à la maison (trop vulgaire (plus tard, quand il animerait une émission sur Europe 1, je l'entendrais en revanche chaque fois que je serais dans la cuisine: ma mère n'écoute qu'Europe 1 («parce qu'on écoutait obligatoirement RTL chez moi quand j'étais petite» (Moralité j'écoutais RTL, Les grosses têtes et Julien Lepers... tout cela est tellement prévisible)))), mais j'avais une copine qui les connaissait par cœur, Coluche, Renaud, Magdane, Balavoine, un peu Desproges, que le monde était étroit et l'horizon resserré. (Coluche sur Europe 1, c'était le plus souvent insupportable de vulgarité. Il s'est passé pour Coluche la même chose que pour les Guignols de l'info: j'ai eu la chance de ne pas l'écouter en direct, mais de n'en connaître que les moments les plus pertinents, les phrases les plus justes, sélectionnés par mes amis.)

Je me souviens de Jean-Louis disant dans les écuries, alors qu'on lui apprenait la grève de la faim de Coluche, «Coluche fait la grève de la faim? Mais non, il est au régime», je me souviens de la façon dont j'ai appris l'élection de Mitterrand, assise sur un seau dans le hangar à bateau après une régate, attendant que mes parents viennent me chercher, je me souviens de la mort de Coluche, de la rumeur qui a couru (était-ce vraiment un accident?) et du disque de Renaud. Souvent je me dis qu'il manque aujourd'hui un œil aussi vif, un esprit aussi prompt à saisir et saisir l'essence d'une situation. Je me demande ce qu'il l'aurait pensé des émeutes de 2005 ou d' Entre les murs, par exemple. Il ne faisait pas spécialement dans le politiquement correct. En tout cas, il se serait bien moqué des "cinq fruits et légumes par jour" sous la pub Coca zéro imitant James Bond, et ça m'aurait fait du bien. Personnellement, il me manque davantage que Philippe Muray.

En regardant le film, l'accueil que les petites gens dans les villes touchées par le chômage (1,5 million de chômeurs, c'était effrayant et ça fait rêver) réservait à Coluche, je me dis qu'il ne faut pas chercher loin ceux qui ont voté Le Pen en 2002: on ne peut pas éternellement désespérer et Billancourt, et Longwy, et Saint-Etienne, et...
Coluche, Le Pen, Bayrou : le système est à la recherche d'une possibilité de fonctionner autrement, mais il est trop bien verrouillé. Est-ce un bien, est-ce un mal?

Le film se termine sur une allusion aux Restos du cœur. Quelques minutes avant, je venais de dire à H.: «J'ai beau savoir que c'est injuste, pour moi Mitterrand, c'est l'apparition des SDF». (Ç'avait été l'un de mes étonnements de retour du Maroc à huit ans: il n'y avait pas de mendiants. Etaient-ils enfermés? Dix ans plus tard, j'avais ma réponse.)

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