Billets qui ont 'Allemagne' comme autre lieu.

Puis la Pologne

Autoroute, autoroute, autoroute. En sortant de Gießen, H. choisit de rejoindre la Pologne par Dresde plutôt que Berlin: «comme ça on évitera les bouchons autour de Berlin.»

Et donc nous eûmes les bouchons de Dresde.

Comment ne pas visiter un pays? En le traversant par autoroute. Mais on apprend des choses malgré tout. La conduite allemande n'est pas agressive, vous n'avez jamais un type qui colle à votre capot à cent trente kilomètres/heure pour que vous le laissiez passer. Les distances de sécurité sont respectées et c'est très agréable. En revanche, une voiture qui arrive derrière un camion n'hésite jamais à déboiter, à la limite de la queue de poisson (d'un point de vue français). Autre spécialité, le camion qui en double un autre dans une côte, faisant ralentir toutes les voies.

Comme d'habitude il y a des travaux, régulièrement des travaux. Imaginons des travaux sur un axe ouest-est: en France les deux ou trois voies deviennent une, et l'axe est-ouest n'est pas affecté. En Allemagne, les voies est-ouest sont rétrécies, de façon à créer deux voies rétrécies ouest-est. Bien mieux, ces deux voies sont nettement séparées par un terre-plein et les véhicules se partagent, voie de droite les camions et les voitures qui souhaitent emprunter une sortie, voie de gauche les voitures plus rapides.

En approchant de Dresde (vingt kilomètres, trente? je ne sais pas, puisque comme je ne m'y attendais pas, je n'ai pas fait attention), la quantité de camions devient phénoménale. Ils se suivent sans discontinuer sur la file de droite, c'est très impressionnant.
Le lendemain (moment où j'écris), nous tenterons une estimation: si un camion fait quinze mètres (trois voitures par camion), il faut six camions pour cent mètres, soixante camions par kilomètre. Y avait-il trois kilomètres ou dix kilomètres de camions (que nous avons doublés par la voie de gauche due aux travaux)? cent quatre vingt à six cent camions, «c'est plus une fourchette, c'est un éventail.»

Autre particularité allemande: le break. L'Allemand préfère le break au SUV, et je suis d'accord avec lui.
Echantillon sur l'aire d'autoroute où nous sommes arrêtés, près de Bautzen-Bolbritz: une Honda, une Skoda, une BMW, une Vokswagen, une Ford.

cinq breaks sur une autoroute allemande


Dresde, Görlitz, nous passons en Pologne. (Franchissement de la Neisse, ce voyage fait prendre chair à mes cours d'histoire du lycée.) Quelle limitation de vitesse? 120 km/h paraît-il, mais si c'est vraiment le cas, personne ne le respecte. Nous nous adaptons au flux.
Lorsque j'étais au lycée, le symbole de la puissance américaine était le coca-cola, l'exemple donné pour expliquer «l'offre crée la demande». Le long des autoroutes de Pologne, c'est MacDonald et KFC: immenses panneaux publicitaires dans les champs et l'une ou l'autre enseigne systématiquement associée aux stations-services.
De l'autoroute, le pays est vide, très peu de toits ou de bétail dans les champs. Forêts de pins au tronc plus foncé que les pins landais.

Abrégeons: peu avant Breslau, au croisement de la A4 et de la A8, nous jouerons de malchance: travaux, bouchons, accident, violent orage. Petit détour dans le but de couper à travers les bouchons et rejoindre l'autoroute une entrée plus loin. Détour amusant dans le village du coin sur une route pavée. Pas sure que cela ait servi à grand chose.

Notre but était Varsovie, nous avons perdu une ou deux heures sur la route, nous sommes moites et gluants, le coucher du soleil est prévu à vingt heures, nous décidons de nous arrêter à Łódź (prononcé Voutch, nous a dit mon père). Les abords de la ville sont étonnants, pleins de barres d'immeubles plus ou moins pimpantes, plus ou moins délabrées, la chaussée est déformée, bordée de flaques d'eau (un autre orage?), les trams sont rouges et jaunes. Nous suivons la route qui nous mène jusqu'à l'intérieur de la ville, nous ne savons pas où nous sommes, hauts immeubles de bureau carrés, je vois «Katedra»: «suis ça, ça nous amènera au centre».
Cela ne nous a pas amené au centre mais devant la cathédrale. Une recherche internet plus tard, nous sommes à l'Holiday Inn du coin. C'est une solution de facilité, rien de typique, mais nous avons eu une journée éprouvante et j'ai envie d'une clim et de gens qui parlent anglais. Nous nous garons dans le parking de l'hôtel, entre des voitures luxueuses surveillées par les immeubles décatis alentour. Ce côtoiement de richesses et de délabrement nous laisse perplexes. Est-ce plus sain que de rejeter les logements sociaux au loin?

Très belle chambre, bon restaurant à l'hôtel. En entamant nos dumplings (piroguie? raviolis?), H. et moi échangeons un regard: lui le mi-yougoslave, moi la mi-polonaise, nous avons le même souvenir d'enfance, le même souvenir d'assaisonnement d'une farce très fine. C'est très réconfortant.

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Journée compliquée. Sentiments compliqués envers la Pologne. Tout ce que j'en connais, c'est par Shoah de Lanzmann. La famille s'attend à ce que j'aille voir tel ou tel village où s'est marié ma grand-mère ou que je rende visite à une cousine, mais ce que je souhaiterais, c'est une ou deux semaines, seule, de pélerinage, à ressasser l'éternelle question sans réponse: «que s'est-il passé?»
Après seulement je pourrai m'occuper des vivants.
Mais je ne peux pas expliquer ça, ça ferait de la peine ou même, ça vexerait.

Sept sites et un film

J'ai enfin vu la Révolution silencieuse, tirée d'une histoire vraie. Une histoire d'amitié et de trahison, une ambiance Signe de piste, pour ceux qui connaissent.
Au niveau personnel, cela pourrait être une réflexion sur la répercussion de nos actes. L'intermède du début, la noisette lancée sur les soldats soviétiques, ajuste (rend juste) la façon de voir ce film. (On s'en rend compte après coup, vous le dire vous permettra de le faire de façon consciente).
A un niveau politique, historique, philosophique, cela ouvre un abîme de réflexions: qu'est-ce que c'était qu'avoir dix-huit ans en Allemagne de l'Est en 1956? Etre né en 1938, avoir grandi sous les bombes puis dans les ruines puis sous occupation étrangère… Que vous racontaient vos parents, quels silences, quelles vérités? «Tout le monde a ses raisons» prend une fois de plus tout son sens. Finalement la seule vérité reste celle qui nous unit à notre entourage direct: mentir (pour protéger: bonne ou mauvaise idée?), trahir, rester fidèle, accepter ou pas ce que subissent les gens qu'on aime — ou qu'on aime moins.


Assisté à la remise des prix "créateurs de confiance" :
- Pour vendre ses céréales au meilleur prix.
(Je n'ai pas bien compris à qui cela servait: qui achète directement des céréales? J'ai posé la question à un céréalier de Champagne:
— C'est réservé à de très gros acheteurs. Le prix n'est pas un prix brut, mais un prix qui intègre le transport, «le prix rendu Rouen», par exemple. Cela permet de connaître l'état du marché.
— Ah. Merci. Et pendant que je vous ai sous la main, que pensez-vous du glyphosate? C'est une question sans piège, je voudrais connaître l'avis de quelqu'un du métier.
— C'est un faux problème en France. Le glyphosate tue tout ce qui est organique. Aux Etats-Unis, ils utilisent des OGM résistants au glyphosate. Donc ils balancent du glyphosate, deux fois, trois fois, sur les cultures. En France les OGM sont interdits. Si je fais ça, je tue ma récolte, je n'ai plus rien. Donc j'en utilise très peu, un petit coup sur les sols en inter-culture entre l'ensemençage en avoine puis en colza, par exemple. On peut tester mes céréales : on ne trouvera pas trace de glyphosate dedans.
(NB : je n'oublie pas les abeilles, les vers de terre, le ruissellement, le labour trop ou pas assez profond, etc. Mais je trouve intéressant le point de vue d'un agriculteur qui cultive. Remarque d'H. à qui je rapporte cette réponse: «je m'étais toujours demandé comment ils utilisaient le glyphosate puisque ça tue tout.))

- Partager ses dépenses effectuées en carte bleue (Sharepay): à l'origine conçu pour les potes qui partent en vacances ensemble, à l'usage beaucoup utilisé par les couples (sans compte joint, je suppose).

- Echange de maisons entre particuliers: l'idée est non seulement d'échanger les maisons pour les vacances, mais d'introduire de la souplesse dans cet échange: parce que vous n'avez pas forcément envie d'aller chez celui qui a envie de venir chez vous. Donc si un Napolitain veut venir à Paris mais que vous voulez aller à Montevideo, cela vous permet de le faire par un système de points.
La beauté de la chose est que c'est non monétaire, plutôt de l'ordre du troc.

- Faciliter la location de locaux professionnels en mettant en rapport des entreprises ayant des locaux inoccupées et des entrepreneurs ayant de petits besoins.

- Un feu de freinage pour les motard qui fait aussi balise de détresse. Commercialisé dans les semaines à venir. Va exister pour les cyclistes, les skieurs. Réflexions pour le BTP (les ouvriers sur les échafaudages, etc).

- Récupérer et partager les médicaments entre hôpitaux: c'est l'idée qui m'a le plus enthousiasmée (le genre de chose qu'on ne pensait pas qu'elle ne pouvait pas ne pas exister). Il s'agit de ne pas laisser perdre des médicaments qui pourraient être utiles à d'autres, ailleurs. 50 millions d'euros de médicaments périmés perdus en France par an.
L'autre application (hospiville) est destinée à permettre à tous les professionnels de santé interagissant avec un malade d'être au courant de l'ensemble de son traitement. (Et pour avoir vu les conséquences d'un diabète en hospitalisation (quels médicaments prendre si on est à jeun? Faut-il les prendre?) je vois bien l'intérêt de cette appli. Comme dirait Jaddo: «si vous voulez sauver votre grand-mère, mettez dans son porte-monnaie la liste des médicaments qu'elle prend tous les jours.»)

- Une appli pour les aphasiques (plus de cordes vocales suite à un cancer, plus de voix suite à un AVC, certains autismes, etc). Ma surprise aura été que cela soit nécessaire, j'aurais pensé que "l'accessibilité" des ordinateurs permettait cela depuis longtemps.
Apparemment on peut se créer son propre clavier en fonction de ses besoins et habitudes, pour retourner acheter le pain, aller chez le coiffeur, etc (et soudain je me demande si cela pourrait être utilisé dans un contexte de pays dont on ne parle pas la langue).


Au cours de la soirée j'apprends que demain Groupama SA (re)devient Groupama Mutuelle. Cela me fait profondément plaisir. J'aime l'utopie mutualiste, l'idée qu'il est possible de s'entraider plutôt que s'entretuer.

Suite et fin

De nouveau messe à Orienbaum, avec un prêtre différent. Cette fois-ci il y a une quête, ce qui infirme notre supposion de jeudi: qu'il n'y aurait pas eu de quête parce que nous étions en Allemagne et que le culte était subventionné par l'Etat.
Apparemment l'église a été construite en 1957, ce qui bat en brêche quelques idées sur la religion en DDR. (Mais que comprendre? Et comment savoir?)

De nouveau à Wörlitz pour voir l'église. Montés en haut du clocher. Etrangement, les jardins ne donnent rien vus d'en haut, ils paraisent étriqués et plats. Ils ont vraiment été conçus pour être vus à hauteur d'homme.

Tentative de manger au Cornhause mais nous n'avons pas assez de temps. Crépuscule des dieux un peu brouillon mais meilleur d'acte en acte.

Pizzeria après la crêperie d'hier: «le service allemand, c'est comme ça: ils te servent, puis ils disparaisent. Si tu as besoin de quelque chose, il faut réussir à attirer leur attention.»

Weimar

Aller en décapotable par les petites routes soit trois heures pour faire 140 kilomètres; retour par l’autoroute soit une heure et demie pour 160 kilomètres. (A. a un peu exagéré).
Lire le guide vert en même que l’on roule est une tentation permanente: nous passons à trente ou quarante kilomètres du lieu de naissance et de mort de Luther, plus tard un panneau indique la ville de Gutemberg sans que nous sachions si cela a un rapport avec l’imprimeur.

Nous arrivons peu avant midi à Weimar et la première chose que nous repérons en arrivant sur la place devant la maison de Goethe est une citation de Jules Renard peinte en hauteur sur le mur d’une maison d’une rue adjacente (c’était en allemand, je ne m’en souviens plus (quelque chose du genre «si vous trouvez la vie, donnez-moi son adresse»)).

Trop de choses à voir en trop peu de temps (deux jours de visite, dit le guide, nous devons y passer une après-midi), d'où hésitations, d'où encore moins de temps.

Maison de Goethe, église St Pierre et Paul (la toiture est percée régulièrement de petites lucarnes, c’est très joli), retable de Cranach. Les stalles ont été décapées pour retrouver la couleur du bois sous la peinture grise.
Déambulations dans le cœur de la ville, paillasson «Ici Goethe n'est jamais entré».

Sur la façade du Stadtschloss une banderole proclame: «Cranach est chez Schiller» (comprendre: les Cranach sont en exposition à la maison de Schiller).
Le rez-de-chaussée expose des icônes russes et des peintures de la Renaissance (et des photos des tableaux de Cranach déplacés), le premier étage est magnifique, enfilade de pièces au parquet marqueté et lustres resplendissants, nous sommes seuls, de loin en loin un gardien nous regarde passer. Nous n’aurons pas le temps de visiter le deuxième étage dédié à l'impressionnisme (une cathédrale de Monet dit le guide), le château ferme.
Un tableau (Henrietta Stuart von Oranien, Henriette Stuart d'Orange, non pas la fille d'Henri IV comme nous l'avons pensé sans y croire (ce d'Orange, vraiment, était étrange), mais sa petite-fille) me fait comprendre qu’Oranienbaum à côté de Dessau doit faire référence à la maison d’Orange.

Pas vu le cimetière (les tombes de Goethe et Schiller), ni la cabane de Goethe, ni la chapelle orthodoxe d'une princesse russe épouse du duc du lieu.

Crêpe au roquefort dans une crêperie bretonne. Un peu de pluie.
J’ai acheté une peau de mouton sur la place du marché, destinée à la voiture.


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Bonus: histoire du poulet racontée par A.
Les Américains ont inventé un canon à poulets pour tester la résistance de leurs avions aux oiseaux.
Les Belges qui travaillaient à leur train à grande vitesse ont voulu utiliser ce canon pour des tests. Le poulet a explosé la vitre du train, traversé le fauteuil du mécano, défoncé la console d'instrument de bord avant de s'encastrer dans le panneau arrière de la cabine de pilotage. Les Belges ont alors demandé aux Américains si leur appareil était bien réglé.
Ceux-ci ont vérifié. La conclusion du rapport était: «il faut décongeler le poulet».

Wörlitz

«On me réveille, on m'emmène, on revient, je me douche, on part à l'opéra, on revient, je me couche, et le lendemain ça recommence.»

En chemin pour Wörlitz, nous nous promenons dans les jardins du château d’Oranienbaum. De grandes serres sont réservées à la culture des orangers et des citroniers. Ces serres sont des granges dont les parois sont composées de petits carreaux vitrés. De grands volets en bois permettent de protéger du froid ou d’un soleil trop fort.

Les jardins de Wörlitz sont des jardins à l’anglaise dont l’art consiste à dérober leurs surprises au promeneur pour les lui présenter au hasard de trouées habilement disposées dans la végétation.
C’est le printemps, il fait frais à l’ombre et chaud au soleil, les rhododendrons et les lilas sont en fleurs (toute la région est couverte de lilas), les couvées des cygnes sont écloses. Des barques passent avec huit ou dix passagers et un seul rameur, musclé. La table est mise, ils déjeunent sur l’eau (apparemment, les participants du colloque Wagner sont en goguette).
Ce paysage serein recélant des trésors est très apaisant, que l’on ait représenté le paradis sous forme de jardin devient une évidence.
(«— Qui eut cru que le paradis se trouvait en Allemagne? — Qui plus est en DDR.»)


Île Rousseau


P. est déçu: les dépliants indiquaient que l’exposition Cranach dans l’une des demeures du château (une demeure de brique ornée d’arêtes blanches soulignant des formes ogivales) commençait aujourd’hui; en fait, l’ouverture (avec cocktail, supposons-nous) a lieu à quatre heures: trop tard, Siegfried commence à cinq heures à trente kilomètres de là.
Nous profitons de la durée ainsi libérée pour déjeuner, le premier vrai repas depuis vingt-quatre heures. La serveuse a l'air enchantée que nous trouvions les plats excellents. Les gens sont généralement très gentils et prévenants, cherchant à comprendre notre sabir qui mélange inconsciemment anglais et allemand (l'allemand me revient plus spontanément que l'anglais, me semble-t-il).

Nous arrivons un peu plus tôt qu'hier pour un Siegfried qui boit des canettes et joue aux jeux vidéos (à Skyrim, nous dit A). Mime joue à Tetris («et il avait du mal», commentaire de la même A.).

Trois Lillets aux fruits des bois.
Nous avons enfin découvert comment dîner après le spectacle: il suffit de descendre sous le théâtre. Saucisse et salade de pommes de terre, un repas plaisant en forme de cliché.

Wittemberg

Le centre commercial à deux pas est fermé (ouverture à sept heures, proclame l'affiche), je parcours la ville à la recherche d'un magasin ouvert. Je trouve une boulangerie salon de thé et achète beurre, confiture, pain (ce sera notre nourriture de base de la semaine, avec les coktails aux entractes).

Nous décidons in extremis d'aller à la messe de l'Ascension à Oranienbaum. Le long de la forêt les pistes cyclables sont envahies de cyclistes avec enfants, fleurs, packs de bière (selon l'âge).
L'église est plutôt laide à l'extérieur, clocher en forme de tour carrée de béton sale, mais l'intérieur peint en jaune clair avec de grandes ouvertures vitrées en petits carreaux violets, roses et mauves est charmant. Nous sommes très peu nombreux, mais je m'étonne qu'il y ait des catholiques ici, sous la double hypothèque du protestantisme et du communisme. Pourtant la communauté semble vivante car les lieux de culte sont étonnamment nombreux, je dirais presque plus nombreux qu'en France en proportion de la population baptisée catholique (enfin, ce n'est qu'hypothèse de ma part).
Pendant toute la liturgie nous nous débattons avec le livre de chants (avec variations d'un land à l'autre, apparemment). Chantent-ils très faux, ai-je l'oreille peu entraînée? Bien qu'ayant compris le système de numérotation des chants, je ne reconnais les paroles qu'à quatre ou cinq syllables de la fin à chaque fois.
Le prêtre sort seul tandis que les paroissiens restent calmement assis pour se lever une fois qu'il est en place pour saluer chacun à la porte. Avec cette méthode, nous ne coupons pas aux explications. Le prêtre parle un peu, très peu, français, mais les phrases qu'ils prononcent sont fluides. Il parle très bien hollandais et polonais, nous dit-il; il a autrefois parcouru l'Ile-de-France à vélo en dormant à la belle étoile.
Il part faire une conférence à Wörlitz sur la Bible et voudrait bien nous y entraîner, mais «Meine Tochter wartet auf uns».

Sur la suggestion de JY nous passons l'après-midi à Wittemberg, lieu des 96 propositions de Luther. L'anniversaire (30 octobre 1517) aura lieu dans deux ans et tout ce qui concerne Luther, maison, église, université, est en travaux.
La ville est magnifiquement restaurée, pimpante et colorée. Nous découvrons tout d'abord une plaque nous apprenant que Lessing a fait ses études ici, mais bientôt, nous nous apercevrons qu'une maison sur dix ou sur huit a sa plaque, la plupart de théologiens inconnus, mais également des noms très connus, à croire que tout le monde est venu un jour à Wittemberg: le maréchal Ney et Napoléon, Gorky, Schiller, Pierre le grand, Giordano Bruno… Cranach y a sa pharmacie et une plaque affirme que Faust pourrait avoir habité telle maison.



Des Allemands nous arrêtent pour nous demander d'où nous venons, ce que nous pensons de la ville. Nous essayons de transmettre un peu de notre ravissement.

Au dos du retable de Cranach se trouve une étrange représentation de serpent sur la croix, représentation que je retrouve sur une autre tableau d'une présentation de Jésus au temple (une carte postale m'apprendra plus tard qu'il s'agit d'un tableau de Peter Spitzer, Darbringung im Tempel). J'interroge mes amis FB (pensant qu'ils ont plus de facilité à chercher que moi sur mon téléphone) et apprends qu'il s'agit de la représentation du serpent d'airain de Moïse préfigurant le rachat de l'humanité par le Christ ainsi que la continuité entre l'ancienne Loi et la nouvelle. Ce symbole aurait été couramment utilisé au Moyen-Âge, c'était la première fois que je le voyais. (Merci à ceux qui se reconnaîtront).

Parenthèse vétérinaire: pendant le déjeuner, et pour une raison que j'ai oubliée, A. nous a fait un cours sur les haras nationaux : le Percheron est le cheval de trait le plus exporté au monde tandis que le mulassier poitevin et le xx (j'ai oublié) sont en voie de disparition.
Les haras nationaux ont été créés sous Louis XIII, le but était d'élever des chevaux d'apparat ou de chasse français pour l'aristocratie (les paysans, ces rustres, ne se préoccupaient que de chevaux de trait et tous les beaux chevaux étaient importés d'Espagne, ce qui revenait extrêmement cher à l'économie nationale).
Les résultats en furent médiocres car la jumenterie était pauvre: «en Angleterre, on avait compris qu'il fallait de bonnes juments, mais en France, on considérait que cela n'avait aucune importance, que tous les caractères venaient de l'étalon. C'est Napoléon qui a changé cela.» Je commente à mi-voix qu'avec Joséphine et Marie-Louise, il savait à quoi s'en tenir sur l'importance de l'élément féminin dans la descendance…

Nous partons en retard, en retard.

Nous arrivons après la deuxième sonnerie pour écouter et voir une Walkyrie électrique et multicolore. Cette œuvre me navre profondément.
Lillet aux fruits des bois.
Errance vaine dans Dessau pour trouver un restaurant après le spectacle. Nous nous couchons sans manger — mais sans avoir faim.

Todtnauberg et Freiburg

Arrivée à Mulhouse hier. Flâné dans la ville ce matin, puis Todtnauberg à travers la Forêt noire (avec dans la tête «Heidegger protège de la débauche»); la "hutte" qui est un chalet ne se visite pas, elle appartient aux descendants; puis Freiburg. Des chorales donnent la sérénade à chaque coin de rue, un peu surprenant de voir sortir de l'ascenseur du parking des chanteurs de l'armée rouge, casquette incluse (c'est-à-cela que nous les avons reconnus).

La Grande Illusion

Le cinéma Racine présente cet été un festival des "films maudits". C'est ainsi que nous nous retrouvâmes hier soir devant La Grande Illusion, sans trop savoir ce que c'était, faisant confiance au nom de Renoir.

C'est un film terriblement émouvant, moins à cause de lui-même qu'à cause de tout ce que nous savons qui attendait la France et l'Allemagne deux ans plus tard. C'est le témoin d'une époque à jamais révolue, celle où l'on pouvait encore concevoir une guerre en gants blancs, celle où l'on pouvait imaginer des prisonniers danser le french-cancan et manger du foie gras.
En 1937 ce film devait permettre de croire à la paix, de se convaincre que toute paix valait mieux que la guerre, que les hommes comme la nature se ressemblaient partout et se moquaient bien des frontières (cf. l'une des répliques de la fin); en 2007 il permet de constater qu'on n'y croit plus, que la guerre semble une malédiction permanente, toujours à l'œuvre dans quelques points du globe, et qu'elle est animée par une haine viscérale qui empêche le respect de l'adversaire tel celui mis en scène par Jean Renoir: la grande illusion, c'est finalement celle-ci, avoir cru à une dignité de la guerre.
Si le film ne tombe pas dans le cliché sentimental, c'est que sous l'apparente simplicité du propos le dilemme représenté est tragique, au sens classique du terme: confrontation de deux absolus, "les hommes sont frères" et "le devoir est le devoir", avec l'éternelle hiérarchie selon les sexes: la femme peut choisir la fraternité contre le devoir, l'homme doit choisir le devoir contre la fraternité.

«Des enfants qui jouent aux soldats, des soldats qui jouent comme des enfants»: si le film est si drôle, si l'on rit si souvent, c'est que l'enfance, l'esprit de l'enfance, affleure chez les soldats. Si la guerre est un sujet sérieux, si l'on risque la mort, alors il est important de ne pas la prendre au sérieux, et je pensais au Caporal épinglé, à Exobiographie, à L'épopée du Normandie-Niémen, tous livres évoquant la deuxième guerre mondiale eux aussi dans cet esprit léger, ce refus d'être sérieux.

J'aime particulièrement dans ce film son art de l'ellipse, son exigence de ne jamais rien montrer qu'on ait deviné: dès que le spectateur a compris ce que devraient être les images suivantes, la séquence est terminée, l'image fond, on passe à la suite. Il n'y a pas d'image inutile.


Dans les petits plaisirs, Carette chantant «Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite...».
(Une recherche m'a amenée sur cet étonnant blog.)

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