Billets qui ont 'Iran' comme autre lieu.

Convalescence

Plus de fièvre, je tousse encore atrocement.

Journée moins productive qu'hier (télétravail toujours). J'ai découvert que les étourneaux mangeaient les olives de notre olivier. Pourtant c'est amer.

Accepté (d'aller chez) une professeur à Dublin: je serai en immersion une semaine fin janvier.

Je pourrais parler des retraites, des grèves qui vont à coup sûr éclater dès que le projet va être présenté; de l'électricité, de ceux qui paniquent à l'idée d'en manquer deux heures alors qu'il suffit d'une tempête pour en être privé des jours; des syndicats de cheminots qui ont pris l'habitude de faire grève à chaque départ de vacances (au train (ahah) où ça va, ils vont finir par demander cinq cent euros deux fois par an en décembre et juillet chaque année); du pass navigo qui augmente alors que le service se dégrade.

Mais je vais plutôt vous mettre cette belle image:

les iraniennes personnalités de l'année 2022 - Couverture de Time


Osée et Argo

Le matin, Osée. Deux heures d'hébreu, en fait; conséquence d'avoir un professeur bibliste (la fleur, le taureau, le ventre maternel, la compassion, quelques millimètres de différence entre je et il, un jambage plus ou moins allongé).

Comment s'appelle les mmmh du cèdre du Liban? Pas les feuilles, pas les aiguilles, c'est autre chose, nous dit le professeur1. (Au secours, monsieur Pic!).
Le Liban, le paradis. Pleurer le Liban.

Puis Argo, in extremis, j'avais abandonné l'espoir de le voir.
Film haletant. Images des années 70 (j'aime). Souvenirs des otages, mais aussi du shah, avant, dans Paris-Match, avec les images de Beyrouth et de Jackie Kennedy. Je lisais au bord de la piscine parmi les orangers mes premiers récits de torture.
Mea culpa américain, la vérité est dite en début de film, rappelée une ou deux fois dans les dialogues.


Film haletant, disais-je.
— Tu crois qu'ils vont s'en sortir?
— Tu sais, l'époque a besoin de mythes, pas d'échec. Je ne crois pas qu'ils auraient tourné en ce moment un film sur un échec américain en Iran2. (Le lendemain, l'oscar viendra appuyer mon analyse).





1 : S'est-il trompé? Je ne trouve rien en ce sens sur Google. Songeait-il à un autre arbre? Il décrivait quelque chose de palmaire, de palmé.
2 : Il aurait fallu un Kubrick pour cela, pensais-je en me souvenant de Dr Folamour.

Quelques liens

Des jeunes en colère pillent un magasin Damart;

Günther, encore et toujours (je mets le lien vers un billet sur Bill Brandt. J'aime beaucoup ses photos de corps déformés par la perspective);

LE site sur l'Iran (en anglais, désolée);

comment peindre des pointes de sein à sa Barbie (même si vous ne lisez pas l'anglais il y a des photos);

une vente de photos de Richard Avedon chez Christies le 20 novembre;

les manuscrits de la Mer morte bientôt disponibles en ligne;

le virus Stuxnet dans la guerre cybernétique;

une histoire de la typographie

et la mort de Mandelbrot.

Iran

A lire oli2be jour après jour mon cœur se serre d'angoisse.

Je songe à Tienanmen, bien sûr, mais aussi à ces marins prisonniers de la Baltique, à leur mort silencieuse vécue en directe, je songe à ce billet terrible de Gvgvsse, je songe à notre impuissance, permanente.
Plus le temps passe, moins je me résigne, plus c'est douloureux : est-ce normal?

Je songe à Boulgakov, Les œufs. Dans ce conte, les soviétiques ont inventé un incubateur qui permet d'obtenir des poulets dix ou vingt fois plus gros que la normale. A la suite d'une erreur, ce sont des œufs de serpents qui sont mis dans l'incubateur. Les serpents sont invincibles.
En plein mois d'août cependant, un gel brutal met fin au cauchemar.

Je ne suis pas sortie de la pensée magique, je ne suis pas sortie de la pensée mythique. J'espère encore les Mers rouges qui s'ouvrent et le gel en plein mois d'août.
Cependant, je suis consciente de ce ridicule.

Otages

L'une des grandes ruptures de mon enfance est notre retour en France, en juillet 1975 (dont je n'ai pris vraiment conscience qu'à la rentrée, en septembre). Nous avions loué une maison à La Chaussée-Saint-Victor, nous n'avions pas la télévision, je me souviens de la cuisine, des flancs gris d'aluminium du four encastrable posé sur une table d'écolier, la radio parlait de Tabarly, d'Alain Colas et de Madame Clausse, prisonnière du Polisario Claustre. Personne ne se souvient de Madame Claustre, mais je me souviens des semaines à se demander si cette femme et ses deux collègues français seraient libérés ou tués, cela se passait dans mélangeait dans mon esprit avec la guerre dans le désert marocain, je me sentais concernée, l'un des otages était l'ami d'amis de mes parents, ils le connaissaient (et quelques années plus tard nous avons pris le thé chez lui à Annemasse)[1].
Je me souviens des otages retenus dans l'ambassade américaine en Iran entre 1979 et 1981, cela n'en finissait pas et j'ai bien cru qu'ils seraient tous tués. Je me souviens de mes premiers drapeaux américains brûlés, de la découverte de la haine idéologique, impersonnelle, impossible à raisonner.
Je me souviens confusément d'enlèvements et de meurtres, je n'y comprenais pas grand chose et cela ne m'intéressait pas, la bande à Bader, Carlos, le baron Empain, un doigt coupé, Patricia Hearst, les Brigades rouges, tout cela créait une rumeur confuse de monde violent, dangereux et absurde. Des avions étaient détournés et assaillis, il y avait des morts, j'ai su très tôt ce qu'était le syndrome de Stockholm (chez ma grand-mère, à côté des Pif gadget prêtés par la voisine, il y avait Sélection du reader's digest et ses histoires haletantes).
Plus tard il y eut les journalistes enlevés au Liban, cela recoupait mes lectures de SAS, là encore cela dura des jours, le journal du soir commençait avec le visage des otages et l'énoncé du nombre de jours de captivité, il y avait les gens pour et les gens contre, c'était le début de l'"otage business" mais on ne le savait pas. Michel Seurat est mort, je pensais qu'aucun n'en reviendrait, je me souviens du livre de sa femme paru alors que je travaillais à la librairie Mollat, je ne peux pas entendre le nom de Jean-Paul Kaufmann sans tressaillir (je me souviens d'un jour pas si lointain où il est venu parler de cigares sur France Inter: j'en suis restée interloquée, comment pouvait-il être aussi futile après ce qu'il avait vécu, c'était le monde à l'envers, son histoire semblait m'avoir davantage marquée que lui).

Ensuite j'ai dû faire moins attention ou la prise d'otage est passée de mode. Il reste malgré tout dans ma mémoire la prise d'otages dans l'école maternelle de Neuilly, l'angoisse pour les enfants et la fin pas très propre qui laisse un goût étrange (de l'art de faire un exemple pour dissuader d'éventuels imitateurs (et plus tard, la terrible fin de la prise en otage d'une école par des rebelles tchétchènes me rappellera Neuilly, ce qu'aurait pu être Neuilly, ce que n'était pas la France par rapport à la Russie)) et la délivrance spectaculaire d'un avion retenu à Alger. Depuis septembre 2001, personne n'a essayé de détourner un avion (si, une fois: les passagers ont maîtrisé le détourneur, la leçon a été bien retenue).

Il y a eu il y a trois ans (2005) l'enlèvement de Florence Aubenas. Curieusement je n'ai jamais réellement craint pour sa vie, avais-je vieilli et étais-je blasée, ou le traitement journalistique de l'affaire me faisait-il trop considérer tout cela comme du cirque, quelque chose de pas vraiment sérieux et destiné avant tout à faire de l'audience?
Il s'est produit un peu le même phénomène pour Ingrid Bettancourt. J'ai toujours pensé qu'elle s'en sortirait, qu'elle était une monnaie d'échange et qu'on ne tuait pas une monnaie d'échange. Je ne m'y intéressais pas et d'une certaine façon, je ne m'y suis jamais intéressée.
Cependant, en décembre ou janvier dernier, pour la première fois, j'ai eu peur et pitié pour elle: que se passait-il? Pourquoi cette photo d'Ingrid Bettancourt blême et défaite? Voulait-on nous préparer à l'annonce prochaine de sa mort? Pour la première fois, j'ai eu peur pour elle, j'ai pensé qu'elle allait mourir ou qu'elle était peut-être déjà morte, j'ai espéré que "tout irait bien" et qu'elle s'en sortirait — non parce que c'était elle, mais parce que c'est à peu près ce que je souhaite à chacun.

Et voilà. Elle est libre. Elle va bien. Je suis heureuse pour elle, mais plus que ça: lorsqu'on a comme moi une conception globale du bien-être et du mal-être de l'humanité, lorsqu'on se demande dans quelle mesure il est possible de faire reculer le mal (le mal et le bien sont-ils un jeu à somme nulle, ne peut-on faire croître l'un sans faire croître l'autre, ou est-il possible d'obtenir un total positif? (ou négatif...)), toute libération, tout acte positif, est un point gagné contre le malheur.

J'entends dans les conversations et je lis sur les blogs des inepties: ceux qui pensent qu'elle n'est pas assez maigre, ceux qui la trouvent bête, ceux qui la trouvent intelligente, ceux qui jugent ses enfants, ceux qui font des calculs compliqués pour savoir si elle a été libérée au bon moment par les bonnes personnes pour la bonne cause..., ceux qui finalement se demandent, à voix haute ou à voix basse, si elle en valait la peine, si elle valait la peine de tant de mobilisation et d'attention, et se faisant, exposent seulement leur unique préoccupation: faire les malins, se faire remarquer, ne pensant pas plus aujourd'hui ce qu'ils écrivent que ce qu'ils écrivaient hier...

Dimanche, je cherchais dans La Prédominance du crétin une référence aux «intellectuels pouf-pouf» (les marxistes fumeurs de pipe). Je suis tombée sur ce passage (il s'agit d'éditoriaux italiens écrits dans les années 70):

Une guerre de larmes, déchirante, serpente à travers les milieux les plus illuminés d'Europe.
«Pourquoi ne pleurez-vous pas sur le Cambodge?» «Personne ne peut nous accuser de ne pas avoir pleuré sur le Viêt-nam!» «Ceux qui n'ont pas pleuré sur Prague n'ont pas le droit de pleurer sur le Liban!» «Si vous avez pleuré pour les Biafrais, vous devez pleurer pour les Afghans!» «Faisons honnêtement notre autocritique: nos pleurs pour l'Iran sont moins copieux que nos pleurs pour le Chili.»
Fruttero & Lucentini, La prédominance du crétin, p.126

Il me fait penser a contrario au "cas" Bettancourt. Il est stupide de larmoyer sur commande pour exposer son bon cœur et ses convictions politiques.
Il est abject de regretter d'avoir pleuré pour jouer les esprits forts.


Notes

[1] Non, vérification faite, les noms ne correspondent pas: c'est cet ami qui avait été enlevé par le Polisario, peu après, presque au même moment. Cette prise d'otage-là a duré beaucoup moins longtemps que celle de Françoise Claustre. Mes souvenirs ont confondu les deux enlèvements.

Punk is not ded

À midi, au cinéma rue Pasquier.

J’ai enfin vu Persépolis. À lire les critiques ça et là sur différents blogs, je savais que c’était un bon film, je ne pensais pas le trouver si drôle et si émouvant. Je n’imaginais pas dire un jour de la musique d’Iron Maiden qu'elle constitue un fond sonore approprié à certaines images.

Commençons par le plus rébarbatif : à travers un récit familiale, c’est un cours d’histoire, très simple, l’histoire telle qu’on la vit et non telle qu’on la comprend des années plus tard, de loin, expliquant d’une phrase le rôle déstabilisateur de la Grande-Bretagne après la seconde guerre mondiale, et plus tard celui de la CIA, luttant à tous prix, y compris le sort des populations locales, contre l’influence communiste. Il montre l’oppression au jour le jour, quand l’acte le plus simple aussi bien que les convictions les plus affirmées peuvent conduire à la prison, à la torture et à la mort.

Le dessin est beau, plein d’inventions, sachant prendre des accents orientaux pour raconter l’avènement du père du shah, faussement naïf et simpliste quand il schématise la ligne des voitures ou des immeubles la nuit, tendre quand il souligne le flottement des foulards dans le vent, pudique mais explicite quand il montre ou suggère la mort, ironique dans ses détails. Dieu a de beaux yeux et une belle barbe mais il est dépassé par la situation (il paraît d’ailleurs un peu las lors de sa dernière apparition).

Les dialogues sont drôles, à l’image de ce qui a fait le renom de Marjane Satrapi, toute déclaration un peu solennelle ou utopique étant suivie d’un contrepoint réaliste qui fait rire, ou plus tard, Marjane grandissant, pleurer, par sa justesse et son décalage : la réalité n’est pas une idée, c’est la réalité.
La vacuité des adolescents nihilistes/anarchistes viennois est égratignée, sans appuyer, mais aussi l’inconscience de Marjane capable d’accuser un passant pour se débarrasser de la police. Le rôle des pays occidentaux est dénoncé en passant, sans insister, comme un fait, et non comme un sujet de débats ou de propagande.
C’est un film qui montre sans démontrer, un récit qui rend hommage à un pays et une grand-mère disparue. C’est avant tout une histoire familiale racontée de façon tonique, un témoignage qui vise le particulier, et l’accuser de ne pas être assez politique (je crois que certains l’ont fait), c’est sans doute le juger sur un critère non pertinent ici.


Et je me rappelle mon amie de lycée aînée de quatre filles, dont le père psychiatre avait fuit le régime iranien, qui me racontait comment sa mère, devant produire une photo d’identité où ses cheveux n’apparaîtraient pas et n’ayant rien d’autre sous la main, s’était fait photographier une bombe d’équitation sur la tête.

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