Billets qui ont 'maladie' comme mot-clé.

Négatif

H. était cas contact après le salon des maires.
Nous étions à peu près sûrs qu'il était négatif, mais c'est confirmé officiellement (après deux tests, un le 22 et un aujourd'hui).


Journée sans histoire. J'ai fini La paix des ménages qui est une variation sur le même thème que Madame de….

Décompte malsain

Liste des gens touchés que je connais personnellement

23 mars : Bénédicte (en cours) et Marin. Marin à l'hôpital et sorti d'affaire.
24 mars : les parents d'Anne F. malades le 6 mars. Sa mère un simple rhume, son père en réanimation à Dijon depuis le 12 mars.
Marin pas sorti d'affaire. En réanimation.
26 mars : RC en réa depuis hier.
27 mars : RC sorti. Ce n'était pas cela.
?? avril : France l'a eu. Elle est retournée travailler.
14 avril : de maman "Albert notre ami alsacien a été bien malade. La fille des A. a été à la limite de l’intubation et on lui dit qu’elle n’est peut-être pas immunisée".
14 au 15 avril: mort de Laurent Chamontin.
21 avril : Marin sorti de réanimation.
22 avril. Michèle D. sortie de réanimation.

Sortie de coma

X. sort de coma artificiel au bout de trois semaines. Premières paroles à sa femme: qu'elle prévienne son travail qu'il était hospitalisé depuis hier et qu'il serait absent.

Allergie

Ce n'est pas le pollen, c'est la poussière. #rangementdugrenier

J'éternue beaucoup; dans le jardin ça résonne dans tout le quartier (dans la cuisine j'entre en résonnance résonance avec le radiateur).
Je vais être malade, c'est sûr : un médecin m'avait expliqué que l'irritation causée par l'allergie rendait les muqueuses plus réceptives au moindre virus, bactérie, microbe, qui passait.

Premier samedi à l'isolement

Matinée de lecture et d'écriture. J'aime bien. Ça me fait du bien.
J'en viens à fuir l'agitation, la surexcitation des réseaux sociaux. En temps normal c'est pénible mais amusant; en ce moment c'est fatiguant. J'aspire à une certaine sérénité, une retraite dans la retraite, un repos dans le repos forcé.

Je recommence à lire, timidement (je veux dire lire en dehors des lectures obligatoires). J'ai commencé hier De l'inégalité parmi les sociétés, une lecture longtemps remise.

Nous avons remonté mon bureau du dernier étage (démonté en décembre… 2018 pour les travaux).
Je me dis que je dois saisir ma chance: plus rien ne va entrer dans la maison pendant sept semaines1, si je secoue ma flemme je devrais pouvoir vider des cartons, des armoires, trier, redispatcher, donner…
Il manquera les passages à la déchetterie.


Nouvelles du front : j'ai commandé une corde à sauter, lui paraît bien.

J'ai un rhume (un simple rhume, le nez qui coule, pas de fièvre). Sans doute un peu d'allergie aussi. Aujourd'hui il a fait gris et froid. S'il avait fait ce temps depuis une semaine, les gens seraient moins sortis.
Je mets ça là au cas où ce soit utile :






Note
1: en me fondant sur la Chine et l'Italie, j'ai fixé arbitrairement la durée du confinement à huit semaines. Ce sera peut-être plus, sûrement pas moins. Le pic en France est attendu dans dix jours, avec, si j'ai bien compris, une deuxième onde de choc dix jours plus tard.

Symptômes

— Mais concrètement, qu'est-ce qu'il faut faire? J'ai un peu mal à la gorge: normalement j'achète un truc en pharmacie, mais là, je fais quoi?
— Tu as mal aux poumons?
— Non, pas du tout. J'ai juste pris froid ce week-end.
— Parce que c'est quand même une maladie pulmonaire.
— Tu sais, pour moi, une maladie pulmonaire, c'est avant tout un signe littéraire. Les maladies sont des catégories littéraires: si on te dit que le personnage a une pneumonie, une pleureusie ou une phtisie, l'auteur veut te dire que c'est grave; si c'est l'épilepsie, c'est que le personnage est fou et imprévisible. Je n'ai aucune idée de ce que ça veut dire en réalité.

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Bibliophore :
- Charles Rosen, Schœnberg
- Eric Chevillard, Du hérisson
- Eric Chevillard, Le caoutchouc décidément

Coronavirus

Tentative de se souvenir de la première fois que le sujet a été abordé en France: vers le 20 janvier?

C'est en train de devenir LE sujet de toutes les conversation. Cela attise ma curiosité et provoque un sourire sardonique. Je n'y crois pas vraiment — et quoi qu'il en soit on ne peut pas y faire grand chose. Les rayons de pâtes sont dévalisés. Des réactions étranges et choquantes sont rapportées (sur twitter), comme cette prof appelée à faire un test, mais sans que les parents des élèves ne soient prévenus (pour éviter la panique?) H. constate: «Maintenant tout le monde se lave les mains aux WC. Ça change.»

Ce week-end à Bruges se trouvait un équipage de Milanaises. Réaction exaspérée d'Anne: «Je ne comprends pas qu'on les ait laissé venir.» (Elle n'a pas tort.) Anne travaille dans l'industrie automobile: «Nous allons bientôt être en rupture de batteries [pour les voitures électriques], les chaînes vont s'arrêter.»
H. confirme: «Apple a annoncé une baisse de 20% dans le nombre de commandes qu'ils pourront satisfaire.»
C'est vraiment très intéressant. A quel point dépendons-nous de la Chine, pour les décorations de Noël ou... les masques de protection? Anne toujours (je ne sais pas si c'est vrai): «Maintenant qu'on sait que les masques sont fabriqués à Wuhan…» Quelles conclusions (et décisions) les autorités chinoises tireront-elles du fait que durant ces quelques semaines l'air est devenu respirable en Chine? Quelle bonne nouvelle, nous pouvons effectivement agir, et une action de fond produit des effets rapides.

Chez Engie, il faut déclarer au médecin du travail tout voyage hors des frontières. Dans ma boîte, nous avons appris hier qu'il y a un cas positif (porteur sain habitant l'Oise) au cinquième étage de l'immeuble d'en face. Ça se rapproche. (J'ai l'air de prendre cela à la légère, mais en fait il ne faudrait pas que H. l'attrappe. Il a les poumons délicats, encore fragilisés par le séjour en montagne à Noël.)

Je me souviens de quelqu'un (qui? un anticlérical ou un moine?) mimant la propagation des épidémies de peste ou de choléra (c'était avant le coronavirus, une simple discussion sur Dieu nous sauve): «Alors on allait à l'église prier pour que l'épidémie s'arrête. On était bien serré sur les bancs, on toussait dans le visage de son voisin…» (Ça m'avait fait un choc: P***, mais il avait raison!)

Je me souviens que lorsque nous avions vu Contagion (mauvais film), H. avait commenté: «il suffit que tout le monde reste chez lui quinze jours et ça s'arrête.» Quand je lui ai rappelé cela, il a répondu: «Vu le temps d'incubation, plutôt trois semaines.»

En bonus, quelques dessins de Boulet à propos du ciel qui nous tombe sur la tête. J'aime beaucoup la dernière photo.

Contagion et quarantaine

Un virus très contagieux (Coronavirus) est apparu en Chine (enfin, "apparu": ou en est à sa x-ième mutation, qui lui permet désormais de se transmettre d'homme à homme). La ville de Wuhan a été mise en quarantaine, ce qui est le moyen le plus sage d'endiguer la propagation du virus.

Cependant, différents pays dont la France ont annoncé qu'ils allaient rapatrier leurs ressortissants (il y a de nombreux étrangers à Wuhan car c'est le Détroit chinois: la ville des usines de voitures). Ils voudraient propager le virus sur le reste de la planète qu'ils ne s'y prendraient pas autrement.



Remarque pour plus tard (quand nous aurons oublié): à priori c'est très contagieux, mais pas plus (ou autant) dangereux que la grippe. En meurent les personnes les plus faibles (ma surprise en apprenant que ce dont mourraient les malades de la grippe, c'était d'épuisement).

Vincent Lambert

Faut-il ou non cesser d'apporter des soins à un homme dans le coma depuis dix ans?
Son épouse dit oui, ses parents disent non; la justice consultée dit oui, puis non, etc, selon les instances consultées.
(Que dit l'I.A. ? Il paraît que les machines font des pronostics sur les chances de réveil à partir de la concaténation des cas déjà survenus. J'aurais tendance à avoir confiance dans ce genre d'analyse.)

Deux souvenirs.
Je pense avoir déjà parlé du premier. Quand j'ai commencé à travailler à la GMF en 1990, j'avais un collègue qui venait d'avoir un bébé mal formé. Cela n'avait pas été détecté à l'échographie, cela n'avait pas été détecté à la naissance. Mais le bébé ne grossissait pas on avait fini par diagnostiquer qu'il n'avait pas d'œsophage ainsi qu'un cerveau atrophié.
Comme on ne s'en était pas aperçu tout de suite et puisque le bébé ne grossissait pas, à la première hospitalisation il a été nourri par une sonde, ce qui compensait le problème de l'œsophage — dont on ne savait pas encore qu'il manquait ou était insuffisant.

Souvenir de lecture : mon grand-père était abonné au Reader's digest. A l'américaine, cette revue aime beaucoup les récits de persévérance et réussite dans l'adversité. Je me souviens du récit de trois naufragés dans le Pacifique. La surface du radeau ne permettait d'accueillir que deux hommes, donc l'un des trois restait dans l'eau et ils se relayaient régulièrement.
Cela a duré des jours. Je ne sais plus combien de temps mais c'était impressionnant, bien plus qu'il ne paraissait possible. Et lorsqu'on leur avait demandé comment ils avaient tenu, ils avaient répondu: «Une fois que nous avions commencé, nous ne pouvions plus abandonner. Nous ne pouvions pas laisser mourir celui qui était dans l'eau.»

C'est toujours à cela que je pense lors de ces dilemmes. J'avais posé la question à Pascal quand il m'avait dit que le bébé était condamné: «Mais vous ne voulez pas le débrancher?» (il était possible d'en discuter car il était dévasté mais rationnel, il en parlait). Il m'avait répondu: «Comment veux-tu faire? Ce serait le laisser mourir de faim, on ne peut pas faire ça.»
Et non, on ne pouvait pas. La famille vivait le drame, l'équipe hospitalière avait interdit à la mère de voir son bébé car cela la bouleversait et elle devait conserver des forces pour s'occuper de ses deux autres jeunes fils. Le bébé a mis huit mois à mourir.

Je pense aux naufragés : une fois qu'on a commencé, comment arrêter? Débrancher quelqu'un qui respire artificiellement et donc cesse de respirer quasi instantanément, oui, mais condamner quelqu'un à mourir de faim ou de soif?

Circonstances inattendues

Huit. Acacia planté au milieu du petit bras, comme tombé du ciel.
Caroline est devenue nauséeuse à la barre durant le dernier tour (migraine ophtalmique). Je propose de la ramener chez elle.
C'est ainsi que vers midi un cabriolet rouge décapoté s'est arrêté devant les militaires anti gilets-jaunes au centre de la place de l'Etoile. Un militaire s'est approché pour savoir ce que nous voulions: «elle est malade», ai-je expliqué tandis que Caroline ouvrait la portière pour vomir. Le militaire s'est retiré.

Nettoyage du canapé réinstallé sur la mezzanine et projection de Triple Frontière sur le mur.

Kapuściński (que je suis en train de lire) décrit exactement ce film (spoiler alert ?):
Mais l'avidité du tyran [Cyrus] va provoquer sa déroute, de même que l'insatiabilité causa naguère la déchéance de Crésus. De plus, le châtiment frappe toujours l'homme au moment où il croit être sur le point de réaliser son rêve, rendant son malheur encore plus cruel et destructeur. Désillusion, immense rancœur contre le sort vengeur, sentiment accablant de soumission et d'impuissance s'ajoutent alors à la lourdeur de la peine.

Ryszard Kapuściński, Mes voyages avec Hérodote, Pocket p.117


Fin de Daesh. Moins de cinq ans. Mais ce n'est pas fini. Que va devenir la Syrie? Et les hommes entraînés et dispersés?

La tache

Une heure et demie de voiture ce matin: la A86 extérieure par un beau soleil. But: un garage de Courbevoie, élu le garage le plus pratique pour la révision de la voiture rouge.
A pied du garage à Nanterre préfecture: Courbevoie est encore un village. En profiter avant l'arrivée d'Eole (RER E) en 2022 au niveau du stade Aréna.



Découvert avec surprise une grosse tache rouge dans mon œil gauche. Moi qui attribuais la douleur à la fatigue… Aucune idée de comment je me suis fait ça. (Ce n'est pas grave, c'est le principe d'un bleu, vaisseaux éclatés, ça passe en quelques jours.)


2018-1114-oeil-tache-rouge.jpg

Inquiétant

Journée de rattrapage de blog. Il faut bien avouer que le visionnage de séries entières ne favorise pas le blogage. Encadrement à l'aviron le soir avec Camille. Bataille d'eau avec Grégoire.

Pizzeria. H. quasi aveuglé de l'œil droit suite à un passage chez l'ophtalmo. Sa vue a beaucoup baissé de ce côté-là, sans explication.



Aller et retour en voiture — je conduis au retour (habituellement je laisse toujours O et H conduire quand nous sommes ensemble car la place passager est plus étroite). Le retour le long de la Seine rive droite est pure merveille par ce temps. J'aime passer à Ivry, Vitry, Villeneuve. J'aime les quartiers populaires.

Je ne suis pas inquiète, tout va bien se passer

Je n'ai pas fini mon grec, je n'ai pas osé me lever trop tôt pour ce faire de peur de m'endormir au volant dans la journée.

Je dépose O. à la gare, récupère Kamel à Versailles Chantier (une heure et demie pour faire trente kilomètre ; je suis passée devant les parc du château de Sceaux, il faudra le visiter un jour. Larges pans de friches aux abords de Fresne), nous partons pour P***.

Impossible d'avoir du réseau, Waze en carafe, pas de carte routière dans la voiture (erreur) : « On va faire ça à peu près : commençons par Chartres. » Il fait gris, froid (six degrés : je surveille la température pour décapoter si possible). Quand j'ai envoyé mardi un mail à mes camarades de classe pour leur dire que j'allais à l'enterrement, j'ai proposé trois places. Le seul qui m'a répondu est Kamel, qui a abandonné les cours il y a deux ans mais que nous voyons encore (il faisait partie des buveurs du soir, au café, du temps où les cours étaient à huit heures trente. A. aussi. Aucun des autres, apparemment, n'a pu se libérer). Cela confirme ma conviction : les enterrements sont le seul événement familial où nous ne sommes pas invités — nous sommes prévenus. Ceux qui se sentent concernés viennent.

Nous discutons de nos motivations, de nos hésitations. Nous avons eu les mêmes interrogations : n'allons-nous paraître déplacés, ostentoires à avoir fait tant de kilomètres pour quelqu'un que nous ne voyons que deux heures par semaine (depuis sept ans malgré tout, avec qui nous partageons des convictions fortes) ? La femme de Kamel était plutôt réticente, pour ma part j'avais posé la question lundi soir au professeur qui nous avait avertis : « il y aura sans doute des collègues de travail. Et le cycle C est important pour A. puisqu'il nous a prévenus. »
A. n'a pas abandonné les cours durant la maladie de sa femme. Il a toujours répondu très librement à nos questions, les traitements suivis (des protocoles d'avant-garde), la rémission, le retour de la maladie depuis l'été, la fatigue et la pugnacité de sa femme, son regret d'avoir passé tant de temps loin de chez lui toutes ces années, de ne pas avoir été davantage présent durant les presque quarante ans de ce mariage. (Mais comment savoir le temps qui nous reste ? Et à partir de quand juger qu'il en reste suffisamment pour qu'on puisse s'autoriser à s'absenter ?) Oui, nous comptons pour lui. C'est ce qui m'a décidée à y aller, malgré la peur d'être intruse. A ma grande surprise, seul Kamel s'est libéré pour m'accompagner.

Nous parlons Orient, Occident. Il a quitté le Liban à douze ans à cause de la guerre. Nous avons des vues proches sur de nombreux sujets. Est-ce que cette façon de nous sentir concernés vient de l'orient, la slave et le Libanais ? (Non, je pense que non.)

Campagne de France. Chartres puis Le Mans, hors autoroute puisque j'espère décapoter. Cependant, comme je n'ai ni Waze ni carte routière, nous restons sur les grands axes, nationales tout du long, parfaites, à se demander pourquoi prendre l'autoroute. Le temps se dégage en approchant du but, il fait doux, la 3G redevient accessible, nous décapotons pour traverser des forêts encore endormies. Peu de monde, il est midi.

Pas de café à P***. Du monde autour de l'église. Nous rebroussons chemin. Une vieille dame nous interpelle :
— Vous cherchez un café ? Vous pouvez venir le prendre chez moi. Je suis la religieuse du village.
— Nous voudrions déjeuner aussi. Nous venons pour l'enterrement.
— Allez derrière l'église, il ont prévu de quoi manger.
— Nous ne voudrions pas gêner, nous ne sommes pas de la famille.
— Vous savez, ils attendent trois cent cinquante personnes.

Pour déjeuner, elle nous conseille d'aller au village suivant.

Très belle cérémonie.

Nous rentrons par l'autoroute, je lâche Kamel à Anthony sur le RER B. Je vais en cours de grec (une heure de retard, j'ai prévenu). A la fin la professeur nous apprend qu'elle vient d'obtenir un poste à Genève dans l'université de Calvin. Formidable ! « Mais je vais continuer ce cours ; je suis persuadée que si je l'abandonne il ne sera pas remplacé. »
C'est fort probable. Mais tout de même, faire quatre ou cinq heures de train pour une une dizaine d'élèves auditeurs libres ? Je n'en reviens pas que nous ayons autant d'importance à ses yeux (ou la présence de ce cours au sein de la catho ?)

« Je ne suis pas inquiète, tout va bien se passer » sont les dernières paroles de la morte.

Les SMS de la nuit

Arrivés aux urgences vers dix heures. Attente. H. est appelé vers onze heures moins le quart. Je reste en salle d'attente. Je retranscris ses SMS avec les heures qui apparaissent sur mon téléphone.

dimanche 23:00
— Je suis tombé sur une pas rapide.

Il revient : « ils m'ont pris une pinte de sang. Maintenant ils le mettent en culture, il faut attendre une heure.» Evidemment. Incompressible. Nous attendons. Un navet à la télé doublé par des voix perçantes. Escapade à Noël. Peu de monde, quatre ou cinq familles, des fillettes de huit à douze ans. Nous avons sommeil, les bancs sont durs et la lumière crue, impossible de trouver une position confortable. Je me lève et fais les cent pas.

Il est à nouveau appelé. SMS.

lundi 01:03
— Médecin toujours pas là.

— Bien installé.

— Je vais être sous antibiotiques. L'opération va sans doute être avancée

— On a eu raison de venir
(C'était la grande question : étions-nous en train de sur réagir ?)

— Antibiotics en perfusion

— Je sors ce soir pour sans doute revenir me faire opérer demain

— L'urgentiste appelle l'urologue demain

— J'attends que l'on me pose ma perfusion et après y en a pour 15 mn
(Et moi qui croyais que c'était en cours…)

— Non. J'ai eu droit à une oscultation en règle. Demain échographie à 10h.

— Je suis sous perf.

Il me propose de venir mais je refuse : je tombe de sommeil, j'ai mal partout, je marche pour tromper l'attente sans pouvoir échapper au nouveau film débile (Le plus beau char de Noël). Je ne me sens pas la force de rester assise sans rien faire dans la pièce où il est perfusé.

— Complication. Je fais une allergie à qq chose.

— Allergie à l'antibiotique.

— Je suis sous anti-istaminique et un produit genre ventoline en micronisation.

— Plaques rouges partout.

Finalement ils l'ont gardé et je suis rentrée seule à trois heures du matin.

Zachée

C'est l'un de mes week-ends théologiques. Combien de week-end sans ramer, deux, trois ?

Catéchisme pour les enfants de CM2. Episode de Zachée. J'explique, j'explique, j'explique. Est-ce que je les ennuie ? Avoir tort et faire du tort, non, ce n'est pas la même chose ; non, salut ne veut pas dire (ici) bonjour ; la lèpre peut faire tomber le nez mais oui on peut respirer car on respire avec les trous ; ex-il et ex-ode ont le même préfixe ex- qui veut dire sortir (expirer, extérieur) ; exil à Babylone, puis les Perses puis les Grecs puis les Romains ; quel grand empereur grec connaissez-vous ? (je ne sais pas ce qu'ils savent, je n'ai aucune idée de ce qu'ils apprennent à l'école ou à la télé. Un ou deux ne semblaient pas connaître Noé).

Une fillette est persuadée que si Zachée est monté dans l'arbre, c'est parce que c'était dangereux et qu'il forcerait ainsi Jésus à lui dire de descendre. On a dû lui interdire de monter aux arbres, elle illustre parfaitement le biais biographique du lecteur qui se projette sur le récit.

« Fais appel au cerveau » m'a dit Jacques, mon camarade d'allemand protestant avec qui je comparais les méthodes pédagogiques de nos deux confessions (catastrophiques dans les deux cas).


H. a mal et jongle avec ses anti-douleurs : il ne faudrait pas attaquer son foie qui est fragile depuis l'hépatite A de 2000. Vers le soir il a de la fièvre, 39°. Que faire, urgences ou pas ?
Toujours nous nous référons à mon oncle vétérinaire : qui dit fièvre dit infection. Urgences.

La cosse

Rendez-vous à neuf heures chez le médecin généraliste, d'abord pour O. qui n'est pas convaincu de la complète guérison de son eczéma, ensuite pour H. qui avait rendez-vous avant l'épisode d'hier et en profite pour prendre quelques conseils.

Rendez-vous à dix heures avec le chirurgien urologue qui ressemble à un héros de roman-photo (toujours je pense à Rémi en train de dire drôlement à propos de X ou de Y : « il est bôôôôôôhhh »). Il nous dessine des reins au dos du scanner (des années d'entraînement) et fixe l'opération à jeudi. Si vite ? Je n'ose y croire. Bien, H. sera serein pour Noël, bonne nouvelle.

Nous rentrons. H. s'endort, terrassé par la douleur et les anti-douleurs.

Vers quatre heures, coup de fil de O. : la voiture qu'il a laissée à la gare ce matin ne démarre plus.
— Je pense que c'est la batterie : la voiture s'est allumée puis tout s'est éteint.
— Bouge pas j'arrive. En attendant regarde sur youtube comment démarrer une voiture avec des câbles.

Je passe à la station-service acheter des câbles, demande quelques conseils. Coup de bol il y a de la place devant la Mazda, je gare la Lexus tête-bêche, descends sous la pluie fine dans la nuit quasi-tombée. Nous ouvrons les capots.
Impossible de trouver la batterie de la Lexus. Elle se trouve sans doute sous un couvercle d'aluminium solidement vissé1.
Bon ben…
J'essaie de contacter un voisin, O. une amie qui n'habite pas loin, dans l'espoir de trouver une autre voiture pour nous dépanner. Personne ne répond.
Rentrons.

Appeler l'assistance de l'assurance ? Attendre le voisin ? H. réveillé a une idée inattendue : téléphoner au concessionnaire qui nous a vendu la voiture. A ma grandes surprise et confusion, le vendeur propose de passer après ses heures de travail (il habite la ville d'à côté). Est-ce pour son questionnaire de satisfaction client ou aime-t-il vraiment ses voitures ?

Il nous emmène à la gare. (Du machisme contraint : H. doit-il venir, sachant que la douleur et les médicaments lui interdisent de conduire ? « Je peux y aller toute seule, tu sais. — Oui, mais s'il sait que je suis là, je vais passer pour un cake. »)

Le vendeur n'a pas un câble mais un booster de batterie. Avant de l'utiliser, il ouvre la portière de la voiture de quelques centimètres : « quelquefois le choc électric bloque la fermeture centralisée et si vos clés sont dedans vous êtes foutu, ça m'est arrivé. Donc pour ce genre de manip prenez l'habitude d'ouvrir la portière. »
Il soulève le capot, enlève le cache en plastique du pôle positif de la batterie et… constate que la cosse est desserrée.

Il l'a resserrée à la main, la voiture a démarré, nous lui avons dit merci et nous sommes rentrés.



Note
1 : nous apprendrons plus tard que cette voiture étant une hybride, brancher nos câbles dessus aurait provoqué un gigantesque court-circuit qui aurait tout carbonisé : d'où la batterie inaccessible pour éviter une telle catastrophe.

Urgences

Au moment où je m'apprête à entrer en cours d'allemand, coup de fil de H. : il a terriblement mal au ventre, il voudrait aller à l'hôpital, il ne veut pas prendre un taxi.
— J'arrive. Mais tu sais, j'en ai pour une heure à rentrer.

Je demande à un élève de m'excuser auprès du professeur et je file. Je passe sur les péripéties du RER (en arrivant gare de Lyon, j'apprends que tous les trains entre Melun et Villeneuve-St-Georges sont supprimés. Cependant ce n'est pas clair, peut-être est-ce seulement dans le sens Melun-Paris. Les quais commencent à se remplir. Je prends un RER A pour retourner aux Halles en ayant l'intention de monter dans le premier RER D qui m'emmène jusqu'à Villeneuve-St-Georges… et c'est un Zaco qui se présente : à croire que les informations gare de Lyon sont fausses. Le train est déjà bondé mais j'arrive à me hisser à l'étage. (Tout le monde n'arrivera pas à monter gare de Lyon)). Entretemps H. téléphone : la femme de ménage a proposé de l'emmener à l'hôpital, il est aux urgences à Boussy.

Je passe par la maison, salue la femme de ménage que je n'avais jamais vue (c'est la quatrième fois qu'elle vient et ça me change la vie : quel soulagement, une maison auto-nettoyante), prépare une "valise d'accouchée" (pyjama, robe de chambre, livre, affaires de toilettes) et part. J'ai reçu un sms, il passe un scanner.

Urgences. Scanner : « ah non, il vient de repartir ». Gentiment la secrétaire à l'accueil téléphone et m'aiguille. Ils sont charmants ici (Claude Galien à Boussy). Je trouve H. par hasard en passant devant une porte ouverte. Il est étendu sur un lit dans un couloir, il attend le résultat de divers examens.

Devant lui sur un autre lit dans le couloir se profilent à contre-jour les mains fantômatiques qu'un vieillard tend vers le plafond. Il râle par instants seul sur ce lit dans la lumière crue. Ses mains sont si maigres qu'elles ne sont pas plus larges que le bras, les doigts sont immenses. J'apercevrai son visage décharné bouche trouée. Soudain horreur : il regarde sa montre. Ainsi donc il est conscient, conscient du temps qui ne passe pas, de la douleur, de la solitude, de la lumière.

Nous rentrons vers huit heures. Calcul rénal, sept millimètres. Rendez-vous pour le lendemain avec un chirurgien.

Dix ans plus tard

Les boutons sur le visages de O. prennent un aspect inquiétant. Ils gagnent du terrain et croûtent, je me retiens de lui dire que cela me fait penser au Grand Pouvoir du Schnikel (pas sûre qu'il l'est lu), on dirait une lèpre galopante.
Que faire? Je suis inquiète car l'expérience que rien n'est bénin avec O. Nous sommes samedi 28 octobre, dans trois jours c'est la Toussaint, il n'y aura pas de médecin disponible avant jeudi.

Nous passons à la pharmacie qui nous conseille les urgences de l'hôpital St Louis, réputé en dermatologie.
En route.
Après-midi à l'hôpital. Attente, mais pas si longue (une heure, deux heures?) J'ai repris Balzac dans l'ordre chronologique. L'enfant maudit. Etrange, neurasthénique et romantique. Je découvre que mon tome de Pléiade est déchiré.
O. ressort avec une pommade et des antibiotiques. Fun fact: cet hôpital n'est pas spécialisé en dermatologie, mais comme tout le monde le croit et vient avec des cas particuliers, ils ont fini par acquérir une expertise sur le sujet (c'est l'urgentiste qui a expliqué cela à O.)

Nous passons à la pharmacie. Coup de fil pour rassurer H. puis déjeuner dans une brasserie proche, Le Floréal, où les clients autant que les serveurs ont tous des "gueules", un charme puissant et chaque fois unique, particulier, dans leur visage, leur coiffure ou leurs vêtements.

Puis direction le treizième arrondissement. Nous fêtons les cinquante ans de O. Cette fois-ci, bizarrement dix ans plus tard, c'est nous qui avons amené nos enfants. Ils sont seuls et détonent. Les enfants "des autres" sont adolescents, ils ne sont pas venus.
Je regrette cette erreur, nous n'aurions pas dû les amener. Cela m'a gâché ma soirée: O. est fatigué, je le ramène à la maison avant même le gâteau.

Zut.
(Je suis stupide, pourquoi ne l'ai-je pas fait ramener par sa sœur? Parce qu'elle proclame qu'elle ne veut pas conduire dans Paris?)

Loup y es-tu ?

Nous avons passé la journée chez mes parents pour fêter l'anniversaire de H., de ma tante et le mien.

Le soir, nous prenons l’autoroute pour rentrer. J’ai terriblement mal, si mal que j’hésite à demander à s’arrêter. Mais à quoi bon? Il fait froid, ils ne peuvent pas me laisser dans le fossé, il faudra repartir. Comment vais-je faire? C’est insupportable.
J’appelle les enfants à l’aide : «Il faut que vous me fassiez penser à autre chose. Racontez-moi quelque chose, sinon je ne vais pas y arriver».

Alors ils racontent des souvenirs d’enfance. (En particulier, O raconte qu’une nuit il a fait pipi dans le placard tant il avait peur de faire du bruit et de nous déranger. Je suis traumatisée: est-ce que nous étions des parents méchants à ce point-là? — J’étais petit, maman!1) C. nous raconte un jeu de colonie de vacances: le loup-garou. Parmi les joueurs, un a tiré la carte du loup-garou, il est le loup-garou. Les autres qui sont les villageois doivent deviner qui est le loup parmi eux. Il y a plusieurs rôles, le paysan, la petite fille, la sorcière, etc, avec des attributs particuliers (certains guérisseurs, d’autres immortels, etc). Les villageois décident dans la journée qui ils tuent (celui qu’ils pensent être le loup-garou, qui participe sans se dévoiler à leurs discussions), le loup-garou tue un villageois chaque nuit. (Si vous voulez jouer, il faudra vérifier les règles, je raconte à peu près).
En colonie, mes trois enfants ont vécu la même expérience: ils paraissaient toujours louches par leurs suggestions, ils se faisaient tuer tout de suite par les autres joueurs.

— Une fois, raconte O., les rôles en présence étaient tels que nous aurions tous pu vivre éternellement sans jamais nous faire tuer. J’ai essayé de leur expliquer comment s'y prendre. Il fallait réfléchir, ils ont préféré me tuer.

Cette phrase va me poursuivre le restant de mes jours, je crois. Quel résumé!

En tout cas, mission accomplie, merci les enfants: leurs récits ont été si passionnants que j’ai réussi à atteindre la maison sans trop penser à mon dos.



Note
1 : ajout en septembre 2022 : j'ai obtenu des explications supplémentaires. En fait, il jouait sur sa Gameboy sous les couvertures et comme H. travaillait très tard, O. avait peur d'être vu allant aux WC et de se faire enguirlander. Me voilà rassurée: en fait c'est sa culpabilité qui l'avait poussé à cet acte étrange.

Les signes

Et inévitablement, je commence Kertész et je tombe sur «Magdi a des métastases dans les glandes lymphatiques» (p.36) puis «Je sais que la plus belle part de ma vie a pris fin hier.» (p.37)

Diagnostic

Clément suggère que les étouffements qui me prennent après les repas sont peut-être dus à une allergie. Pas con.
(Impossible de me souvenir du moment où cela a commencé: il y a un mois environ?)

Des nouvelles du front

Nous avons un (quel est le mot? camarade de classe? de cours? coreligionnaire?) qui est parti en "Guinée forestière" (j'aime beaucoup, ça fait Marsupilami), à l'origine deux semaines pour étudier la situation, et finalement huit semaines le temps de mettre en place des structures d'urgence (il est médecin).

Discussion autour d'une bière avant le cours d'histoire. C'est la panique, il a dû convaincre une agence bancaire de ne pas fermer, personne ne veut partir là-bas, les ONG n'ont jamais vu ça :
— Alors que pour Haïti, il y en avait presque trop, elles se disputaient entre elles.
— Tu es spécialisé dans l'urgence? Dis-moi, comment ont-ils fait, après le tsunami? Les images étaient très impressionnantes.
— Oh, un tsunami, c'est particulier, il y a peu "d'urgences", très peu de blessés, c'est blanc ou noir, vivant ou mort. Ils ont creusé des fosses pour les cadavres.

Ebola: les guérisons spontanées sont de l'ordre de 20%, avec soins 45%, avec centre médical établi, 60%. Un Européen en forme qui se surveille et détecte très tôt la maladie a 80% de chances de guérir.

— Donc si tu te mets à éternuer, on se précipite aux abris ?
— Surtout si je me mets à avoir le hoquet !
— Le hoquet? une maladie qui spasme le diaphragme ?!!

Hervé à qui j'ai raconté cela n'a pas trouvé cela drôle:
— J'espère que tu ne l'as pas approché, si j'attrape Ebola, je suis mort.
(Je suis toujours estomaquée par son égocentrisme assumé. Que j'attrape Ebola n'a pas l'air de l'inquiéter une seconde. C'est formidable (sens premier) d'étaler ainsi sa préoccupation première. Sous un certain angle, je l'admire. Quelle franchise, quelle non-peur de blesser. Et dire qu'on me reproche d'être brutale.)
— Bah, il prenait sa bière à côté de moi.

(Oui, parce qu'il faut s'y faire, d'un autre côté, moi ça m'amuse.)

Le lendemain

Et donc le lendemain, je suis malade.

Journée à lire Une place à prendre, de Rowling. C'est un hasard: à l'origine je l'avais emprunté au cas où cela intéresse quelqu'un à la maison (réponse: non, il est resté deux semaines sur le meuble de l'entrée), lundi midi la bibliothèque du CE était fermée, et comme souvent, je me suis mise à le lire machinalement pendant que je l'avais à la main.

Je le finis dans la journée. C'est mauvais. Cela pourrait être un mélange de Robert Cormier (les adolescents) et d'Anne Fine (les pires sentiments qui sont en nous), mais sans atteindre l'excellence de ces deux auteurs dans leurs domaines respectifs. Trop de descriptions, trop d'explications, trop de méchanceté. Je me suis demandé si Balzac pouvait donner cette impression à ces contemporains, comment s'en rendre compte? Je ne crois pas, mais serions-nous aveuglés par l'étrangeté des mondes où nous pénétrons, les salons, les intérieurs bourgeois, les femmes de chambre, quels seraient les personnages de Balzac aujourd'hui? Plus ou moins ceux de Rowling, mais qu'en ferait-il?

"Pourquoi c'est bon?" (Par quoi est-ce bon?) restera la grande interrogation de ma vie. D'où vient cette intuition quasi immédiate?

Samedi

TG le matin, l'Antre deux, puis Le dernier des injustes.

Quand H. arrive au restaurant, il me dit que O., quinze ans, est si malade (fièvre) qu'il a hésité à le laisser seul.

Détente

C'est la première fois depuis une éternité que je reste à la maison pour un enfant malade (je n'arrive pas à me souvenir de la dernière fois: il y a dix ans, quinze ans? Est-ce que je l'ai jamais fait pour un autre enfant que l'aîné?)

C'est cool.

Inquiétude

Paul ne va pas bien. Voilà deux fois de suite qu'il décommande un rendez-vous, ce n'était jamais arrivé en dix ans.
Que c'est difficile de constater ce corps qui ne répond plus, raide, somnolent.
Il me dit en riant souhaiter des médicaments efficaces.
Et j'ai le cœur serré car j'ai compris maintenant que passé un certain âge, les médicaments efficaces sont ceux qui vous tuent (et donc on ne vous les donne pas).

Pour Chondre

Mon grand-père est mort en 1997 d'un cancer de la vessie. Ce fut long et douloureux, physiquement mais aussi moralement. Il n'acceptait pas la déchéance de l'hôpital (des choses toutes simples, comme d'être nu dans une chemise d'hôpital devant les infirmières), et des années plus tard, mon oncle pleurait encore de remords en évoquant pépé le suppliant de le ramener chez lui pour mourir: «Pourquoi je ne l'ai pas fait? Je ne savais pas qu'il restait si peu de temps».
Mon grand père était shooté à la morphine, mon père disait en souriant : «Je ne sais pas ce qu'ils lui donnent, mais je ne l'ai jamais vu aussi bavard.»

Mon grand-père est donc mort. L'année précédente, il avait fêté ses soixante ans de mariage.
L'une des phrases dont je me souviendrai toute ma vie est une réflexion de ma grand-mère: «Il était malade depuis longtemps, quatre ou cinq ans. Parfois quand j'allais le chercher pour déjeuner [nous sommes à la ferme], je le trouvais plié de douleur, assis sur un seau. Nous n'avons rien dit parce qu'on voulait qu'on nous laisse tranquilles.»

Cette dernière phrase me fend le cœur. Elle vise ma mère, qui ne vit heureuse que dans le malheur, s'agitant alors avec beaucoup d'efficacité (reconnaissons-le: on ne peut la prendre en défaut pour tout ce qui concerne l'organisation matérielle) pour tout organiser à son idée, et pour faire la morale.1 (A sa décharge, il faut savoir que maman est la femme au caractère le plus faible de la famille: elle ne peut prendre sa revanche que lorsque tou(te)s les autres sont affaibli(e)s par la maladie. (Et encore. Elle n'a jamais eu le dessus avec ma grand-mère, sa belle-mère.))

Pour ma part, j'ai fait promettre à H., s'il m'arrivait quoi que ce soit, de la banale appendicite à la maladie la plus grave, de ne pas prévenir mes parents, pour n'avoir pas à supporter ma mère.

Ceci dans une sorte de contrepoint au billet de Chondre, dont je partage l'éclat de rire (je le comprends tout à fait), sans savoir cependant ce que je déciderais ensuite (sans doute d'aller voir le malade, malgré tout, moins par compassion que pour n'avoir rien à me reprocher).



Note
1 : Elle est du genre à être déçue si un grand fumeur ne souffre pas (à en mourir) d'un cancer du fumeur. Un beau caractère proustien, en somme, à la Françoise.

Les dents de l'Alzheimer

«Ma mère ne peut plus s'habiller toute seule. Elle met son chemisier à l'envers et enfile ses bras dans les jambes de son pantalon. Quand je lui donne un stylo, elle le tourne dans tous les sens sans savoir quoi faire avec»: l'apraxie fait partie des signes de la maladie d'Alzheimer.

Pour rechercher une apraxie chez ses patients qui ont des troubles de la mémoire, un médecin avait un truc qu'il estimait infaillible: «Imaginez que vous tenez une brosse à dents dans la main et montrez-moi comment vous vous brossez les dents», leur demandait-il. Les patients qui n'ont pas d'apraxie font le geste de tenir une brosse à dents, puis bougent leur poignet de droite à gauche puis de haut en bas devant leurs dents. Les patients qui ont une maladie d'Alzheimer, incapables d'imaginer une brosse à dents dans leur main, font le geste de se brosser les dents avec l'index.

Un jour, questionné par sa grand-mère de 97 ans sur l'Alzheimer, le praticien lui raconte le coup de la brosse à dents: «Essaie, Mamy. ? Tu veux dire comme ça?», réplique-t-elle du tac au tac en faisant mine d'enlever son appareil dentaire et de le brosser. Éclats de rire… Un autre jour, un professeur de physique fait lui le geste de tenir une brosse à dents mais s'arrête, immobile, devant ses dents. «Professeur, montrez-moi comment vous vous brossez les dents! ? Mais, docteur, j'ai une brosse à dents électrique!»

Dr Emmanuel de Viel, rubrique "L'histoire du jour" du Quotidien du médecin du 23 avril 2009
dédié à Chondre et à sa grand-mère.

Une chaise, un couloir

Pendant les vacances de Noël, en ouvrant le quotidien régional chez mes parents, je tombe sur un article sur l'hôpital : photographie de couloir, gros titre accrocheur, rappel de la mort à Massy de cet homme qui n'a pas trouvé de lit aux urgences.

Mon cœur se serre et j'espère que mon père n'a pas vu l'article (ce qui est impossible).
Ma grand-mère est morte sur une chaise dans le couloir des urgences de l'hôpital de Vierzon un jour de juillet 2001 (tandis que je me souviens des dates de naissances, celles des morts m'échappent). Mon père venait de la quitter pour rentrer à Blois, elle s'est sentie mal, a appelé une ambulance ou un taxi. Elle avait quatre-vingt-sept ans, c'était l'été — avant la canicule de 2003 — on ne s'est pas occupé d'elle.

C'est moins sa mort qui me touche (bien qu'elle me manque terriblement, et de plus en plus) que les circonstances de cette mort, l'humiliation de mourir sur une chaise d'hôpital en attendant que quelqu'un veuille s'occuper de vous.

Ma grand-mère habitait une ferme très isolée. Elle avait des malaises cardiaques sans savoir qu'il s'agissait de cela. Le cardiologue lui avait donné une boîte de pilules ; elle devait en prendre une chaque fois qu'elle avait un étourdissement. Il m'avait expliqué à mi-voix : « Ainsi, en comptant le nombre de pilules manquantes, on saura combien de fois ça lui est arrivé ». J'avais admiré l'astuce.
Ma grand-mère m'avait raconté qu'un jour qu'elle déterrait des pommes de terre, elle s'était sentie terriblement mal : « Je me suis dit: "si je meurs là, on me retrouvera dans trois jours, les corbeaux m'auront mangée. Il faut que je rentre à la maison pour mourir". »
Elle concluait: «Et voilà, je ne suis pas morte».

Tout ça pour mourir sur une chaise dans un couloir.

Renée

Ma grand-mère est née en 1916. A huit ans, elle fut placée comme fille de ferme.
De place en place, elle arriva au service d'une famille avec laquelle elle sympathisa suffisamment pour que la fille de ses patrons devienne la marraine de ma mère.

Cette fille est née en décembre 1923. Elle boîte et est bossue. Quand j'étais petite, nous allions chez elle une fois par an pour le nouvel an. C'était de longs après-midis d'ennui, on nous recommandait d'être bien sages. Les meubles étaient en formica, il y avait un baromètre en forme de maison avec un homme et un parapluie, une femme et une jupe printanière, qui étaient montés sur un axe obligeant l'un à être dedans quand l'autre était dehors, cela m'intriguait beaucoup mais on n'avait pas le droit de toucher, il y avait des cactus sur du sable coloré dans une coupe profonde, des napperons, cela sentait la cire, chez Renée, c'était exactement comme dans la chanson de Renaud: «Sur la tabl' du salon / Qui brille comme un soulier / Y'a un joli napp'ron / Et une huitr'-cendrier / Y'a des fruits en plastique».

Renée vivait avec sa mère. Elle m'a offert trois ans de suite Les cavaliers de Joseph Kessel dans la collection "1000 soleils". J'imagine la conversation avec la libraire: «C'est pour une fille qui lit beaucoup et qui aime beaucoup les chevaux». Je remerciais poliment, je ne disais rien, on allait l'échanger le lendemain dans une librairie qui n'existe plus. Les conversations se composaient exclusivement de commérages et encore de commérages, j'apprenais à détester les commérages. Il y eut des histoires étranges, comme celle du tablier pleins d'écus amené dans la vacherie [l'étable] où ma grand-mère trayait les vaches (je regrette de ne pas avoir mieux écouté), ou mesquines, comme celle du réveil offert à une voisine: la voisine mourut, et comme Renée détestait l'héritier, elle profita d'une visite des pompes funèbres pour aller récupérer le réveil — «Il était tout neuf», précisait-elle.
Et ma mère et ma grand-mère de hocher la tête autour de la table pour approuver.

Un jour ma mère en mal de confidence, ou trouvant le secret trop lourd je ne sais, me raconta l'histoire de Renée.
A dix-sept ans elle avait été engrossée par un garçon d'écurie. Celui-ci avait été bien sûr renvoyé, et l'enfant abandonné.

Avec sa bosse et son pied-bot, Renée ne se maria pas. Quand sa mère fut veuve, elle vendit la ferme et acheta une minuscule maison à X. Elles y vécurent ensemble de longues années, trente ans au moins. Puis sa mère mourut. Renée resta seule dans la maison.
Aujourd'hui, Renée est à son tour en train de mourir, seule, à l'hôpital. Elle ne peut plus se nourrir mais son cœur est solide. Ma mère et quelques amies lui rendent visite.


Maupassant m'est beaucoup plus proche que Flaubert pour des raisons qui ne sont pas littéraires.

Semaine 17

Samedi 19 avril

Levée état caoutchouteux. Tellement à la bourre qu'on a fini au chinois. Après-midi dans un gymnase de Ste-Geneviève-des-Bois. Dans les tribunes, un canapé et un fauteuil en velours râpé. Je m'endors dans le fauteuil. Il n'y a pas de micro, l'atmosphère est étrangement calme malgré le poc obsédant des balles, je dors. Plus tard, un père et son fils de huit ans jouent à la DS sur le canapé. Le père refuse de jouer en réseau, il ne veut pas se prendre une tôle, avoue-t-il en riant.
Il fait beau, la municipalité de Sainte-Geneviève a dû recevoir une dotation en tulipes. Elles sont magnifiques.

Dimanche 20 avril

On m'a laissé dormir. Je ne me souviens de rien.

Lundi 21 avril

Bêche et pioche. Ampoules. Chaque fois je pense à Martine, qui m'avait dit que l'un des passages qui l'avait le plus impressionnée dans Autant en emporte le vent (le film) était celui où Rhett saisit les mains de Scarlett venue lui rendre visite en prison et s'aperçoit aussitôt qu'elle a travaillé la terre et comprend qu'elle est dans la misère: les mains d'une vraie dame sont blanches et douces.

Mardi 22 avril

Je range l'étage en laissant tourner Out of Africa. Je connais si bien ce film que les dialogues me suffisent à voir les images. J'aime profondément la voix de Meryl Streep qui intervient en off dans la bande-son.
Mail de Thessalonique: c'est oui !
Corvée de pluches. Gratin dauphinois (du lait des pommes de terre de la crème, jamais de fromage). Beaux-parents.
Lorsque je fais remarquer à H. que nous avons dix-huit ans de mariage depuis la veille, il s'exclame avec conviction: «Putain!!!». Parfois j'aimerais avoir droit à des réponses de roman-photos (mais résisterais-je alors à la tentation de me moquer?)

Mercredi 23 avril

Dans le RER, malendus agaçants avec notre voisine de banquette qui veut à toute force faire la conversation. Elle suppose: «? Journée à Paris pour une sortie culturelle?» Euh non, pas exactement: j'abandonne les monstres qui vont voir Bienvenue chez les Ch'tis pour ensuite manger au MacDo puis lire des mangas à la Fnac jusqu'à six heures du soir. Je me tais, je ne veux pas l'horrifier. Me font rire et m'agacent, ces gens qui veulent construire des enfances parfaites à leur progéniture. Je veux lui donner du n'importe quoi et de la liberté, afin qu'elle se fabrique des souvenirs.
Le coiffeur me trouve une ressemblance avec Adeline, je ris, et encore plus en tapant ces lignes après avoir cherché une photo. Je regarde des photos de Gilardi dans Gala, et d'autres de J-Lo et de ses jumeaux (Rien de plus faux que ces photos, une mère de jumeaux ne ressemble pas à ça, et si elle y ressemble, c'est dommage). Je viens dans ce salon parce que les coiffeurs sont adorables. La shampouineuse est une jeune grosse blonde à la poitrine abondante, pas du tout 8e arrondissement, du genre à mettre en toute inconscience un soutien-gorge noir sous un haut rose trop transparent qui la boudine. Elle aussi est très gentille. J'aime les gens gentils, ils me rassurent, je peux traverser tout Paris uniquement pour retrouver des commerçants gentils (et puis il faut boycotter les cons).
Je passe à la librairie, mes livres sont arrivés, je commence dans Vie politiques le chapitre sur Isak Dinesen, l'écriture d'Hannah Arendt est toujours aussi concise. (Et ce soir, en vérifiant l'orthographe de "Meryl Streep", je tombe sur cette phrase extraordinaire de Wikipédia à propos de Karen Blixen: «Sa syphilis semble avoir été guérie de son vivant mais pourrait avoir été une cause de sa mort.»)
Vélib. Il fait beau. Arrêtée au feu devant l'Assemblée nationale, je contemple la Seine et les toits gris du Louvre qui flottent au-dessus des frondaisons des arbres le long des quais. Paris.
Trois livres dans les bacs de Gibert, je confonds Le Ranch de Flicka et L'herbe verte du Wyoming (zut) et je trouve Le Jeu de la dame en grand format. T. le connaît, ça me fait plaisir.
Cantine, rires, peine d'amour, vélos, côte, librairies, il faudrait sans doute que je recharge mon compte Vélib, ma carte ne me permet plus de retirer de vélo. J'arrive en retard chez Mariage.
Ma mère arrive ce soir, stress. Ne pas y penser.

Jeudi 24 avril

Journée dans le jardin. Epuisée à midi par une matinée de piochage, j'ai honte. Jardiner une journée n'est pas qu'une utopie d'emploi du temps, c'est également une utopie physique: je n'en suis pas capable.
Sieste. Je commence L'Aliéniste.
Je tonds malgré tout la pelouse l'après-midi. Peu de temps après, il pleut. Je coupe mes ongles très courts pour me débarrasser de la terre et des traces d'herbe (je découvre sur wikipedia des précisions kâmasûtriennes sur l'usage des ongles... (mdr)).

Vendredi 25 avril

Nous ne sommes pas retournées travailler au jardin. Perdu la matinée je ne sais comment, en parlant avec ma mère, je suppose (ou en l'écoutant). Nous ne nous sommes pas disputées, nous ne nous sommes pas disputées, elle n'a pas pleuré, tralala...
L'après-midi, maman veut rendre visite à une amie opérée à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, elle craint de se perdre dans le RER, je l'accompagne. L'opération est impressionnante, ouverture de la boîte cranienne pour atteindre l'arrière de l'?il, un énorme bandage entoure la tête de l'opérée, on se croirait dans un film. Délicatement, la panseuse a laissé une oreille accessible. L'amie de maman n'a pas perdu son humour (assez remarquable vu les tribulations de sa vie par ailleurs). J'apprends que c'est elle qui m'a portée sur les fonts baptismaux en l'absence de ma marraine.
Nous rentrons de la gare à pied. Soleil. Maman part. Deux jours sans se disputer. Elle a même paru apprécier les périodes de délire que sont (souvent) les repas. A retenir des conversations du déjeuner: dans l'hémisphère sud, le soleil se trouve de l'autre côté de l'écliptique, il convient d'en tenir compte lorsque qu'on essaie de planter sa tente au mieux pour la sieste (souvenir d'un voyage de ma mère au Bostwana).
H. est rentré furieux d'un passage chez les revendeurs Apple rue du Renard: son écran 30 pouces vire au vert depuis deux ou trois semaines, en anglais le bug s'appelle "dancing pixels". Verdict: le défaut est connu, cet écran n'est pas réparé, les revendeurs en font l'échange standard, s'il n'est plus sous garantie, cela revient à en acheter un neuf... Une petite fortune. Quelques recherches sur Internet plus tard, nous trouvons la cause du problème et sa solution (c'est si bizarre que je l'écris ici, dans l'espoir de rendre service à quelques geeks égarés): l'écran chauffe trop, il convient donc d'en régler la luminosité et la bande passante (voir la réponse de Richard Jacobson ici (le 27 octobre 2005)), le logiciel de contrôle de l'écran se télécharge ici.
Je ramasse Le Jeu de la dame qui traîne sur la table du salon, H. l'a relu hier, je l'ouvre, je m'y plonge, je prépare du thé.
Je me demande si je vais bloguer ce soir, moins on blogue, moins on blogue, je ne sais plus si j'ai envie/le courage d'être sérieuse ou pas, par instants je voudrais ne connaître aucun de mes lecteurs pour me sentir libre de pondre soit des posts à mourir d'ennui, soit des posts total délire, mais je sais bien que les quelques personnes avec qui j'ai "naturellement" envie de discuter désormais sont toutes des blogueurs ? ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes avec toutes les autres (je m'ennuuuiiiie. Rien à leur dire).
Je décide de me plonger dans cette recension lacunaire, temps qui passe. Il s'agit d'écrire ou de cesser d'écrire. Il n'y aura pas, as usual, de juste milieu ("le sens de la mesure", dirait le psychiatre dans Mrs Dalloway).
Pendant que je tape ces lignes, H. et C. hurlent de rire en lisant les commentaires de ce post (si vous m'offrez le T-shirt trollesque des commentaires, je jure de le porter). C'est très geek, ce soir.

jeudi 7

Arrivée en retard au cours d'histoire de l'art. Il n'y avait personne dans la salle habituelle, montée jusqu'aux salles des terminales. Magnifique coucher de soleil sur les toits gris et inégaux. Pas trouvé le cours, peut-être était-il supprimé suite à la visite de la Cité de l'architecture la semaine dernière ?
Pas cherché, à pied jusqu'à la bibliothèque Buffon, (pas de vélo), la plante des pieds brûlées par le nylon.

Le Journal de Gide dans la Pléiade de 1951 commence par ces mots : «Avec Pierre.»
Les notations de mai 1921 à propos de Proust ressemblent à celles de Proust à propos de la maladie de tante Léonie: malade véritable ou malade se mettant en scène ? Malade véritable, décide Gide. Je pense à cette phrase de Proust que j'aime tant à propos de sa tante: elle avait fini par mourir, donnant à la fois raison à ceux qui disaient que son régime finirait par la tuer et à ceux qui disaient qu'on avait tort de se moquer, qu'elle était réellement gravement malade. Et la notation de Gide: "je cite comme Proust, de mémoire" (que moi-même je cite comme Proust, de mémoire).

Feuilleté Against Dryness repris en français dans L'attention romanesque (ce mot d'"attention" semble venir de Simone Weill: l'attention lui paraissait plus importante que la volonté.) Un peu surprise, ne ressemble pas à ce que j'attendais après avoir écouté Compagnon. Plaidoyer pour des personnages crédibles. (C'est drôle, je retrouve ici la remarque de Walser). Intéressante différence entre les "images" et les personnages. Seul Shakespeare aurait réussi à créer les deux à un même niveau. Iris Murdoch résolument contre le classissisme (qu'étrangement elle appelle romantisme) : contre le concept, l'épure, la stylisation, pour le foisonnement.

Emprunté Charles Taylor (L'Identité de soi). C'est gros. Dans un siège devant les guichets d'emprunt dormait un homme très laid sentant le chochard. L'odeur de crasse chaude me fait éternuer. Pensée reconnaissante envers les bibliothécaires qui le laissent dormir au chaud, et interrogation: comment font-elles pour supporter l'odeur ?

Rentrée à pied gare de Lyon. Trop chargée pour pouvoir lire en marchant.

Le soir, feuilleté les deux Thibaudet que je possède à la recherche de l'éléphant. Pas trouvé.

Un demi-siècle de cravates

La femme de Paul est en train de mourir.
Elle était devenue très faible depuis septembre, elle avait si mal à la gorge qu'elle ne pouvait quasiment plus manger. Elle allait chez son médecin qui la renvoyait chez elle avec une tape sur l'épaule et la phrase informulée mais qui tranparaissait sur son visage: «C'est normal à votre âge».
Paul se désolait mais n'arrivait pas à la faire changer de médecin ? «Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances»... En mars elle est entrée à l'hôpital, les examens ont révélé une leucémie. Les médecins ont prescrit des médicaments pour faire dégonfler sa gorge et l'ont renvoyée chez elle en lui conseillant de mener une vie tranquille et agréable.%%%

Paul était en colère, mais également fataliste: «Ils m'ont dit qu'on ne pouvait pas la soigner, que les traitements risquaient de la tuer.»1
La semaine dernière il a annulé un rendez-vous, ce qui a dû lui arriver une fois en sept ans. Sa femme était hospitalisée d'urgence.

J'ai déjeuné avec lui jeudi. Il m'a dit ses craintes, en particulier de la voir souffrir. Il redoute l'acharnement thérapeutique. Il ne se sent pas la force (les forces) d'une hospitalisation à domicile. Il est fatigué.
Depuis combien de temps est-il marié? Il s'est marié pendant la guerre, ou juste après. Cela fait donc au moins soixante ans. Au cours des mois, j'ai écouté beaucoup de récriminations contre sa femme, très bavarde, régentant l'appartement, interdisant l'accès de certaines pièces devant "rester libres pour les enfants" (qui ne viennent jamais), prenant à mon avis sa revanche sur ce mari qui n'a pas dû être très présent durant toutes ces années (Il a arrêté de travailler à 70 ans, me disait-il jeudi. Certains jours il me fait rêver en me racontant ses promenades à cheval quotidiennes au Bois tôt le matin avant d'aller travailler. Non, il ne devait pas être très présent).
Mais tous ces agacements ont disparu depuis septembre, il ne reste que l'inquiétude.

Nous avons parlé d'autres choses, des petites choses quotidiennes. Parce que j'évoquais la difficulté de faire tenir dans les armoires pendant trois semaines ou deux mois (selon les caprices du temps) les vêtements d'hiver et les vêtements d'été, il a ri: «J'imagine! Moi, j'ai toujours mes cravates.»

Périodiquement il essaie de mettre de l'ordre, de classer, de ranger, les papiers, les vêtements, les livres. C'est ainsi qu'il y a deux ou trois ans il m'avait parlé de ses cravates: cinquante ans de cravates, toutes de marque. Qu'en faire?
— Hermès coûtait cher, j'ai peu de cravates Hermès, précise-t-il.
— Mais il y en a beaucoup, au total?
— Je ne sais pas, deux cartons. Voyons…
Il se tait, estime: — Peut-être deux cents?

Que faire de toutes ces cravates? Qui a une idée?


Note
1 : Le risque de cancer se multiplient après 70 ans (une personne sur trois meurent du cancer après cet âge) mais les personnes âgées sont cinq fois moins représentées dans les essais cliniques, on ne sait pas et on essaie peu de les soigner. Voir ici un article de vulgarisation.

Un coup de téléphone dans la nuit

V. a appelé: le frère (vrai jumeau) d'Eric vient de faire un infartus, il est à l'hôpital (père de trois enfants. Le dernier a trois mois).
Eric est en catalepsie. A bout de ressources, V. a pensé à Hervé.

Il s'habille, s'apprête à partir. Je lui tends un paquet de gâteau en pensant à San-Antonio, évoquant la sagesse paysanne devant une personne anéantie par la mort d'un proche: «Heureusement elle va manger».

Et maintenant, l'attente.
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